Art moderne

Compiègne (60)

Carrier-Belleuse, enfin

Musées et domaine nationaux du Palais de Compiègne Jusqu’au 27 octobre 2014

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 25 août 2014 - 323 mots

De lui, on célébra la manière et le raffinement. De lui, on vanta la facilité à rendre le frémissement de la chair, quand celle-ci s’offre et se dérobe à la fois, quand un sourire se dessine ou qu’un regard se perd.

De lui, on loua l’habileté à toucher tous les matériaux, qu’ils fussent terre, marbre ou albâtre, à y loger la grâce. De lui, on oublia pourtant jusqu’au nom – Carrier-Belleuse –, la faute à une injustice qui vit dans la délicatesse et dans le style de la préciosité et de l’affèterie. Un nom qui, pourtant, sonnait si juste tant il permettait de dire, réunis par un trait d’union, le carrier et l’artiste, le technicien et l’esthète. Riche de cent trente œuvres, l’exposition de Compiègne remet l’œuvre d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887) à sa place, et quelle place. L’artiste ne fut pas seulement un grand portraitiste, capable de pénétrer les remous de l’âme et, plus encore, les caprices de la peau quand celle-ci se déploie sur une gorge opulente (Marguerite Bellanger, vers 1866), il fut aussi un remarquable imagier, susceptible de digérer, quitte à l’adoucir – sans jamais l’émousser –, la leçon de Michel-Ange (Léda et le Cygne, vers 1870). Sa virtuosité technique et sa science de la composition, Carrier-Belleuse les réserva également à des œuvres décoratives qui trahissent souvent une influence bellifontaine (Coupe, 1886) et qui le firent nommer en 1876 directeur des travaux d’art à la manufacture de Sèvres. À mi-chemin entre Cellini et Clodion, le sculpteur tint un atelier où travaillaient fiévreusement cinquante praticiens parmi lesquels le jeune Rodin. Cette collaboration, cristallisée par un délicieux portrait du maître par l’élève, devait éclipser celui-là au profit du celui-ci. Histoire vieille comme le monde. Histoire aveugle que le titre de la présente rétrospective, la première jamais réalisée, va jusqu’à reprendre malgré elle, Carrier-Belleuse devenant « le maître de Rodin », triste fantasme génitif, triste concession commerciale, quand l’exposition défend magistralement un artiste hautement singulier.

« Carrier-Belleuse, le maître de Rodin »

Musées et domaine nationaux du Palais de Compiègne, place du Général-de-Gaulle, Compiègne (60), www.palaisdecompiegne.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : Carrier-Belleuse, enfin

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