SAINT-PAUL-DE-VENCE
Surréaliste dans la manière, Arroyo est avant tout un artiste engagé, qui plus est féru d’art et de littérature. Démonstration dans la rétrospective de la Fondation Maeght.
Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes). Serait-il ironique ce sous-titre de l’exposition d’Eduardo Arroyo à la Fondation Maeght, « Dans le respect des traditions » ? Sans doute, car il correspond à l’esprit de l’artiste qui, dans ses toiles, manie la dérision acerbe. L’histoire de l’art n’est pas près d’oublier le scandale de la série de tableaux réalisée en 1965 avec Gilles Aillaud et Antonio Recalcati, « Vivre et laisser mourir ou la fin tragique de Marcel Duchamp », une critique violente de ce que l’on dénommera plus tard l’art conceptuel. Pourtant, devant cette peinture composée d’aplats colorés aux contours très nets, le spectateur reste souvent troublé. De fait, si l’humour pratiqué par Arroyo se lit parfois facilement, d’autres œuvres, quand le collage se fait puzzle, ne sont pas simples à déchiffrer. L’artiste lui-même parle de « peinture cryptique ». On comprend mieux la complexité, voire l’ambiguïté de ses allusions, quand on sait qu’il a hésité au début de sa carrière entre littérature et peinture. Son penchant constant pour la littérature (il a écrit un livre sur un boxeur, Panama Al Brown) ou pour le théâtre (il a réalisé à Berlin des décors pour le metteur en scène Klaus Michael Grüber) explique la place importante accordée à la narration.
Ainsi, en toute logique, Arroyo fait partie du mouvement qui se développe en France dans les années 1960 sous l’appellation de Figuration narrative. Sa particularité vient de ses origines espagnoles et de ses prises de position fortes contre le régime franquiste. À la Fondation, une toile majeure, La Mujer del minero Perez Martinez, Constantina, llamada Tina, es rapada par la policia, 1979, qui figure le visage d’une femme de mineur, à la tête rasée publiquement par les Franquistes, s’élève tel un cri contre la brutalité du régime dictatorial. Cependant, si l’Espagne et l’exil constituent l’obsession d’Arroyo, si son œuvre reste toujours inscrite dans l’Histoire, sa thématique picturale est d’un éclectisme étonnant. En premier lieu, c’est un dialogue continu, admiratif et irrespectueux à la fois, avec d’autres artistes et écrivains. Ici, des toiles récentes : Hodler et son modèle (2017), Van Gogh sur le billard d’Auvers-sur-Oise, de la même année, en réactivent de plus anciennes comme le très drôle Titan White Rembrandt I, 1969. Rembrandt, que l’on retrouve avec cette « copie » étonnante et monumentale du chef-d’œuvre de l’artiste hollandais, Ronde de nuit aux gourdins (1975-1976).
Arroyo peut toutefois passer allègrement d’une série telle « Le meilleur cheval du monde » à des représentations de ramoneurs qui, pourvus d’un masque et d’un chapeau haut-de-forme, prennent des allures d’Arsène Lupin. Ailleurs, la Lutte de Jacob et de l’ange se transforme en un match de boxe où un éléphant est assis posément sur une tête aux yeux écarquillés (La Vie à l’envers, 2016). Surréaliste, Arroyo ? Les associations inattendues, les combinaisons d’images hétérogènes, les effets de collage, empruntent à cette esthétique sa manière de court-circuiter le sens. Toutefois, la dénonciation politique et sociale récurrente chez le peintre espagnol évoque davantage le procédé du photomontage dadaïste berlinois.
Le parcours qui, à l’image de l’œuvre, saute du coq à l’âne, montre les différentes facettes d’Arroyo, y compris ses travaux en trois dimensions. Dans ce registre, les plus remarquables sont les Vanités, soit des visages-masques réalisés à partir de pierres et de plomb. Stylisées à l’extrême, pouvant être shématisées à l’aide d’un minimum de signes plastiques – deux petits ronds (les yeux), un triangle (la bouche) –, ces faces n’ont pas besoin de raconter des histoires.
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Arroyo, ses combats et ses maîtres
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°485 du 22 septembre 2017, avec le titre suivant : Arroyo, ses combats et ses maîtres