L’Orangerie dresse le portrait et raconte l’univers foisonnant du poète Guillaume Apollinaire dans une mise en scène très étudiée.
PARIS - Si l’Orangerie avait voulu montrer toute l’étendue de la sensibilité artistique, de la curiosité ou du goût éclectique de Guillaume Apollinaire (1880-1918), elle ne s’y serait pas prise autrement. Cet hommage est constitué d’une quantité impressionnante d’œuvres d’art, de photographies d’époque, de livres, de lettres, de manuscrits illustrés, de calligrammes, ces créations à la fois visuelles et poétiques… Une prolifération qui offre le plaisir d’un vagabondage ponctué de surprises, au risque de perdre parfois pied.
Les commissaires ont soigné la mise en scène. Ainsi, les sections qui se nomment « Apollinaire et son époque », « Le regard en liberté », « Méditations esthétiques » ou encore « Apollinaire et Picasso » présentent le poète sous divers angles. Si chaque chapitre garde sa spécificité, il est impossible d’éviter certaines redites. Toutefois, l’homme qui semble se déplacer avec des antennes et capter tout nouveau phénomène artistique qui pointe à l’horizon, a un côté sismographique stupéfiant. Capacité qui justifie pleinement la déclaration d’André Breton, pour qui Apollinaire avait « situé une fois pour toutes la démarche d’un Matisse, d’un Derain, d’un Picasso, d’un Chirico […] au moyen d’instruments d’arpentage mental comme on n’en avait plus vu depuis Baudelaire ». À l’entrée, une sculpture de Picasso (Le Fou, 1906) des œuvres cubistes (un très beau Juan Gris et un immense Jean Metzinger) et un imposant fétiche africain offrent un aperçu rapide des préoccupations principales d’Apollinaire : le cubisme et le primitivisme. Suit une salle qui décrit le parcours chronologique du poète, où l’on croise l’incroyable aréopage d’artistes avec lesquels ce dernier a entretenu des rapports plus ou moins intenses, voire davantage – une liaison avec Marie Laurencin. Puis, « Regard en liberté » élargit encore le spectre de ses intérêts, qui vont des arts populaires au cinéma, du cirque aux marionnettes. Si la pièce Les Mamelles de Tirésias écrite par Apollinaire en 1917 est devenue mythique, on connaît moins son intérêt pour le spectacle du ballet Le Coq d’or (1914), pour lequel Natalia Gontcharova a réalisé les costumes. Natalia Gontcharova, dont les phases primitiviste et cubo-futuriste – La Lampe électrique, un splendide tableau de 1913 – sont de qualité égale à celles de Malevitch.
Témoin et critique du cubisme
La salle intitulée « Méditations esthétiques » réunit les nombreux écrits sur des thèmes artistiques d’Apollinaire et avant tout son livre Les Peintres cubistes. De fait, sa contribution la plus importante à l’histoire de l’art fut cet ouvrage qui évoque tous ceux qui ont initié ou qui ont été affiliés à ce mouvement radical. Ainsi, outre Léger, Duchamp, Raymond Duchamp-Villon ou Roger de La Fresnaye, on y trouve accrochées des œuvres de Delaunay, dont le cubisme chromatique fut baptisé « orphisme » par le poète, des toiles futuristes (un étonnant Carlo Carra, Les Nageurs, 1910-1912), mais aussi Chagall et Derain, Matisse ou Cézanne. Inévitable, la section « Apollinaire-Picasso » met en scène l’échange intense entre ces deux hommes qui ont développé une longue amitié, illustrée, entre autres, par le portrait posthume (1948) du poète réalisé par Picasso ou par le poème Pablo Picasso écrit par Apollinaire en 1917.
Plus originale est la démonstration sur laquelle s’achève l’exposition. On constate ainsi que, malgré la fascination d’Apollinaire pour les créateurs de son temps, il reste réceptif aux nouvelles tendances qui se dessinent. Ainsi, il sent la révolution que va apporter le cinéma et s’enthousiasme pour les « Rythmes colorés » de Léopold Survage, qui anticipent sur le cinéma abstrait. De même, proche d’André Breton ou de Philippe Soupault, par l’imagination et l’instinct qu’il place au cœur de sa poésie, il deviendra une figure emblématique pour les surréalistes. Pour ce visionnaire, toutefois, le futur et le passé s’entrelacent. Le meilleur témoignage de ces allers-retours dans le temps est l’importance que revêt l’art africain dans la vie d’Apollinaire.
Dans les dernières années de sa courte existence, il devient le mentor du collectionneur d’art africain Paul Guillaume, avec lequel il partage cette passion à travers la publication de l’album Sculptures nègres (1917). Passion qu’il décrit dans Alcools : « Tu marches vers Auteuil. Tu veux aller chez toi à pied, dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée. » Le passé ramené au présent.
Commissaire : Laurence des Cars
Nombre d’œuvres : 345
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Apollinaire, sismographe de son époque
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 18 juillet, Musée de l’Orangerie, Jardin des Tuileries (côté Seine), 75001 Paris, tél 01 44 77 80 07
www.musee-orangerie.fr
tlj sauf mardi 9h-18h. Catalogue éd. Gallimard, 322 p, 45 €, entrée 9 €.
Légende Photo :
Marie Laurencin, Apollinaire et ses amis, dit aussi Une réunion à la campagne, 1909 , huile sur toile, 130 x 194 cm, Centre Georges Pompidou, Musée national d’art moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN/Jean-Claude Planchet.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°458 du 27 mai 2016, avec le titre suivant : Apollinaire, sismographe de son époque