Le LaM s’est penché sur l’usage grandissant depuis les années 1960 de la photographie dans l’œuvre peint ou sculpté de l’artiste allemand. Un propos qui aurait gagné à être mieux documenté.
Villeneuve-d’Ascq (Nord). L’importance de la photographie dans la pratique artistique d’Anselm Kiefer (né en 1945) n’avait jamais fait l’objet d’une exposition ni d’un livre. Aussi l’exposition programmée sur le sujet par Sébastien Delot, ancien directeur-conservateur du LaM, fait-elle figure d’événement. Son titre, « Anselm Kiefer. La photographie au commencement », sonne d’ailleurs juste pour ceux qui connaissent le travail, et plus encore pour ceux qui ont pu visiter, un jour, l’atelier de l’artiste à Croissy-Beaubourg (Seine-et-Marne). « On est entouré de photographies : de photographies pour réaliser ses tableaux et de photographies encadrées », explique Jean de Loisy, commissaire invité par Kiefer à concevoir l’exposition, aidé par l’atelier de l’artiste. « Je ne fais rien sans photos », confirme Kiefer dans le catalogue du LaM (1). Pour comprendre et mesurer la place décisive du médium dans l’environnement, la pensée de l’artiste et les thématiques de l’œuvre de ses débuts à aujourd’hui, mieux vaut d’ailleurs se rapporter à l’ouvrage. Les textes et la biographie détaillée fournissent des informations précieuses. Ainsi sur l’usage fait par Kiefer dans les années 1970-1980 des photos de ses différents ateliers ; ou sur son intérêt, à Barjac (Gard), pour les champs de fleurs et paysages d’Auvergne auxquels renverront des tableaux comme Der Morgenthau Plan.
Diffusé dans l’exposition, l’entretien filmé à l’été 2023 entre Anselm Kiefer et le cinéaste et écrivain allemand Alexander Kluge est aussi peu éclairant que l’exposition, sauf dans cette phrase de l’artiste : « Quand je fais une photo, il me vient chaque fois quelque chose du monde, des mots à l’esprit, tout le temps. »
Seule la frise chronologique placée à l’arrière de la première salle apporte quelques repères et éclairages, en particulier sur l’iconographie de ses photographies et son évolution : l’atelier, la forêt, la ruine… De l’atelier de Croissy, on ne verra toutefois rien, bien que ce monde peuplé de tirages et d’archives photo soit mentionné en introduction au parcours et dans le carnet de visite. Pour satisfaire sa curiosité, le visiteur se reportera à Anselm. Le bruit du temps, le film documentaire réalisé par Wim Wenders sur l’artiste (en salle depuis le 18 octobre). Instructif relativement à l’usage de l’archive dans l’œuvre, il l’est aussi quant aux réactions d’incompréhension à la suite de la parution en 1969 de la série « Besetzungen » (Occupations). Ces photographies le montrent revêtu de l’uniforme de la Wehrmacht de son père et parodiant le salut hitlérien devant des monuments ou paysages en France, Suisse et Italie.
« La photographie n’est pas le sujet de l’exposition, mais elle est l’objet de l’exposition, souligne Grégoire Prangé, co-commissaire de l’exposition, chargé de la coordination de la conservation au LaM. Nous ne voulions pas que les visiteurs sortent en disant “Kiefer : quel photographe !” Il est un peintre, un sculpteur, pas un photographe. » Cela ne fait aucun doute, y compris pour le néophyte. Et ce dès la première salle où sont réunis en particulier des originaux issus de « Besetzungen » et réalisés alors qu’il est encore étudiant, accompagnés des réappropriations par l’artiste de ces images dans les années 2000. Toujours en 1969, Kiefer se met en scène, et se travestit également, en hommage cette fois à Jean Genet et à son livre autobiographique Journal du voleur, des photos qui seront, de même, reprises, retravaillées et insérées dans ses œuvres ultérieures.
La photographie donc, au commencement même de l’œuvre, mais aussi de ses premiers livres d’artiste avant de devenir une composante fondamentale de ses peintures ou sculptures. Tandis que l’usage du révélateur en photographie (solution chimique permettant le développement de l’image latente) est concomitant de son intérêt pour les transmutations, transformations dans l’image provoquées par la chimie et la physique. Les trois premières salles sont à cet égard intéressantes, bien que dépourvues de documents d’archives (pour deux d’entre elles). Une remarque qui vaut pour le reste du parcours, même si l’on ne boude pas son plaisir devant les œuvres exposées. Mais cette « déambulation dans la mystique de Kiefer », pour reprendre les termes de Jean de Loisy, n’est pas la première.
(1) Éd. Gallimard/LaM, 208 p., 36 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°619 du 20 octobre 2023, avec le titre suivant : Anselm Kiefer et la photographie à l’épreuve de l’exposition