Lion d’or à Venise en 2005, l’artiste française fait partie des créateurs qui mêlent le tragique et le ludique. Une évidence pour celle qui considère l’art comme un jeu « très sérieux ».
L’œil : Le principe de la collection qui fonde votre démarche réfère votre art au monde de l’enfance, voire du jeu. Qu’est-ce qui vous y avait motivé dès le début ?
Annette Messager : C’était une sorte de timidité. Me définir comme collectionneuse, ce n’était pas vraiment me définir comme artiste, c’était me protéger un peu. C’était accepter le réel tout en jouant parce qu’en faisant des collections, on peut jouer beaucoup et le jeu, c’est une manière de dire des choses très sérieuses. Les enfants, par exemple, sont très sérieux avec leurs jouets.
L’œil : En 1973, vous avez présenté pour la première fois vos « pensionnaires », une série d’oiseaux empaillés que vous aviez habillés de tricots et que vous câliniez, éduquiez, punissiez, comme le font les enfants avec leurs poupées. Quel était votre propos ?
A. M. : Je jouais le rôle d’une directrice d’école un peu méchante. Tout avait commencé alors que j’avais marché en tongs sur un moineau. Ça m’avait fait un drôle d’effet cette petite chose douce mais froide. Comme un contact avec la mort. Les moineaux, il y en a plein autour de nous, comme les humains, mais on ne sait pas grand-chose d’eux : combien de temps ça vit, si ce sont des mâles ou des femelles. Un peu comme on ne sait pas grand-chose de ses voisins…
L’œil : Voulez-vous dire que c’est le même type de relations que les enfants ont avec leurs jouets et que, comme ils n’en savent pas grand-chose, ils s’en inventent toutes sortes d’histoires ?
A. M. : Les jouets, c’est l’apprentissage de la vie. C’est le contact avec l’autre. On dit plein de choses à ses jouets que l’on ne dit pas à ses proches. C’est un rapport avec ce qui vous est étranger et qui est, en même temps, très proche de vous.
L’œil : Par suite vous vous en êtes prise à tout un monde de peluches auxquelles vous avez fait subir des expériences violentes. N’y a-t-il de création possible que dans une forme de recréation contre nature ?
A. M. : Je me suis définie très tôt comme une manipulatrice, dans tous les sens du terme. J’aime bien toucher, manipuler, déformer, contre-former. Ce n’est pas loin de la création, effectivement : on s’approprie le réel, mais ça n’est pas du tout réaliste.
L’œil : À la Biennale de Venise, en 2005, vous avez réalisé une monumentale installation dont le héros était la figure de Pinocchio. Qu’est-ce qui vous intéresse en lui ?
A. M. : Pinocchio, c’est un peu l’image de l’artiste. C’est un aventurier. Les aventures de Pinocchio, c’est un voyage initiatique pour devenir humain. Il ne rencontre que des mauvaises personnes, il n’a que des mauvais copains et en même temps tous ses voyages, toutes ses expériences le rendent finalement humain.
L’œil : Y a-t-il d’autres figures mythologiques de l’enfance qui vous fascinent pareillement ?
A. M. : J’ai adoré Alice. Elle aussi est un peu artiste, elle va de l’autre côté du miroir, fait tout plein de découvertes… Mais elle était un peu trop bourgeoise pour moi.
L’œil : Et la poupée Barbie ?
A. M. : J’ai horreur des Barbie, mais elles représentent bien notre société. Elles sont super-sexy, elles ont des seins, des formes et ont fait évoluer les jouets. Mais elles sont toujours avec Ken, qui doit quand même beaucoup les ennuyer. Elles devraient bien en changer.
L’œil : Enfant, étiez-vous joueuse ?
A. M. : J’étais une enfant secrète. Je n’avais pas de peluches, mais des poupées que je bichonnais sans cesse.
L’œil : Et pourtant, vous ne travaillez jamais avec des poupées…
A. M. : On ne peut pas les manipuler. Ce sont déjà des petites filles ou des petits garçons. On ne peut rien faire avec les poupées. Il n’y a que Hans Bellmer qui a réussi.
L’œil : Qu’est-ce qu’un adulte peut attendre de vos œuvres ?
A. M. : On est tous des enfants, des enfants très vieux. J’espère bien que chacun garde en lui sa part d’enfant. En tout cas, l’art le permet.
L’œil : L’art est-il un jeu ?
A. M. : C’est un jeu très sérieux. Comme la Bourse est un jeu aussi. Toute notre vie, on joue, puisqu’on sait qu’on va tous terminer au même endroit. En fait, il n’y a rien de plus sérieux que le jeu, d’autant qu’il y a « jeu » et « je ».
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Annette Messager : « Les jouets, c’est l’apprentissage de la vie »
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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°641 du 1 décembre 2011, avec le titre suivant : Annette Messager : « Les jouets, c’est l’apprentissage de la vie »