La rétrospective chronologique du Musée de Céret met en évidence les tourments de l’artiste.
Céret (Pyrénées-Orientales). Le rapport à la nature est-il la « clef de lecture » la plus pertinente pour « entrer dans l’œuvre » d’André Masson (1896-1987), comme l’affirment les deux commissaires de la rétrospective de Céret ? Le sentiment qui domine en parcourant la dizaine de salles du charmant musée d’art moderne serait plutôt de l’ordre de la fureur. Partout, ce n’est que convulsion et violence. Il suffit de lire les titres pour s’en convaincre : La Proie (1925), Les Massacreurs (1927), Le Jardin saccagé (1934), Rapt (1942)…
Partout ? Pas tout à fait, la première salle semble plus apaisée. C’est d’ailleurs celle qui justifie cette exposition cent ans après le séjour de quelques mois que Masson effectua dans cette petite ville située entre mer et montagne. De nombreux artistes, à commencer par Braque et Picasso, y sont venus avant la guerre ; c’est à Céret que le cubisme commence à prendre forme et c’est là que Masson l’expérimente tout naturellement. Un cubisme très tempéré ; à la manière de Cézanne, Masson représente les paysages en géométrisant les formes, mais, à l’inverse de son aîné, il emploie une palette sourde. Même quand il va peindre dans le berceau du fauvisme, à Collioure, à quelques kilomètres de là, sa palette n’a rien de fauve.
Cette première période devrait être la plus agitée. Masson a fait la guerre des tranchées, il a été laissé mourant sur le champ de bataille avant d’être retrouvé et soigné. Le traumatisme de la guerre est sans nul doute à l’origine de cette fureur rentrée. Mais pour l’heure, à Céret en 1919, tout se passe comme si Masson voulait canaliser ses tourments dans une peinture doublement rassurante, figurative et géométrisée.
Cela ne va pas durer. Par la suite, il ne peut s’empêcher de laisser transparaître ses affres tout en cherchant – ou en renouvelant, c’est selon – son style. Nathalie Gallissot et Jean-Michel Bouhours, les deux commissaires, ont su composer avec les espaces contraints du musée pour scénographier les diverses périodes de l’artiste. Car à chaque fois que Masson fait de nouvelles rencontres, sa pratique change. À Paris, il se rapproche des surréalistes qui lui apportent un outil pour exprimer son inconscient. S’il garde un pied dans le cubisme, l’iconographie s’éloigne des paysages pour explorer son imaginaire (Chevaux attaqués par des poissons, 1932). Et toujours sa peinture convulsive sature l’espace de la toile.
Quand il s’installe en Espagne en 1934 avant de fuir la guerre civile (une autre guerre), son art prend des couleurs plus vives et les silhouettes de ses personnages deviennent plus anguleuses et squelettiques. Une peinture très oubliable qui a pourtant les honneurs de la plus belle salle (est-ce en raison de la proximité avec la frontière espagnole ?). En Martinique et en Amérique – pendant la guerre (!) –, la figuration tend à disparaître au profit de formes inquiétantes. De retour en France, la toile s’assombrit encore et prend des accents expressionnistes parfois mâtinés d’influences chinoises. Car chose que l’on apprend curieusement qu’en toute fin de parcours, même si on s’en doutait, Masson s’intéresse à la peinture chinoise depuis très longtemps.
Cette exposition très bien construite ne prétend pas à l’exhaustivité, mais elle est suffisante pour se faire une opinion sur l’artiste.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°528 du 6 septembre 2019, avec le titre suivant : André Masson, une furieuse nature