COLMAR
Le photographe du XIXe siècle n’était pas qu’un entrepreneur visionnaire. Le Musée Unterlinden à Colmar revient sur ses apports artistiques dans une rétrospective édifiante.
Colmar (Haut-Rhin). Ce n’est pas la première exposition que le Musée Unterlinden consacre à Adolphe Braun (1812-1877), mais c’est la première de cette ampleur. Adaptant la rétrospective organisée cet hiver par le Münchner Stadtmuseum (Musée de la Ville de Munich), le musée de Colmar ne fait pas que reconstituer l’histoire passionnante de Braun, il propose un réexamen inédit des réalisations du photographe.
Adolphe Braun a été l’un des photographes les plus réputés du XIXe siècle, de même que son fils Gaston Braun, partie prenante du développement de l’entreprise Ad. Braun & Cie. L’activité prospère des ateliers en Europe ou aux États-Unis, le succès des catalogues en donnent la mesure. En Alsace, l’entreprise de Dornach (Mulhouse) est alors le leader mondial des tirages photographiques. Leur grande qualité en fait la renommée. Les photographies de paysages de Ad. Braun & Cie, comme les reproductions des œuvres d’art collectionnées par les plus grands musées d’Europe, sont passées à la postérité. « Au cours du XXe siècle, cette production est pourtant en grande partie tombée dans l’oubli », rappelle Ulrich Pohlmann, directeur de la collection de photographie du Müncher Stadtmuseum et co-commissaire de cette rétrospective. Excepté le Musée Unterlinden, détenteur d’un fonds important, et l’expert collectionneur Christian Kempf, auteur en 1994 d’une première grande exposition au sein de ce musée, Adolphe Braun a de fait assez peu retenu l’intérêt des institutions françaises. « En raison peut-être des activités de l’homme d’affaires prospère qui, pendant plusieurs décennies, ont occulté les réalisations du photographe et son ambition artistique », avance Ulrich Pohlmann en guise d’explication.
Certes, à partir de 1860, Adolphe Braun n’est plus guère derrière l’objectif. La prise de vue revient à son fils Gaston et aux divers opérateurs de l’entreprise. Comme dans les différents studios du XIXe siècle, le cachet de la société fait généralement office de signature. Il n’en demeure pas moins qu’Adolphe Braun est « le créateur d’une esthétique de l’image aussi singulière que novatrice », souligne Raphaël Mariani. Cet attaché de conservation du patrimoine au Musée Unterlinden a contribué à la conception de cette exposition en prenant appui, à la suite d’Ulrich Pohlmann, sur la thèse de Paul Mellenthin, historien de l’art, rattaché à l’Université de Bâle.
En dix chapitres, le parcours relate la vie et l’œuvre d’Adolphe Braun en se fondant ainsi sur des recherches menées par des historiens de l’art, évoquées dans les essais publiés dans le catalogue (1). Négatifs sur verre originaux, plaques de verre au collodion, tirages sur papier albuminé ou au charbon rivalisent en qualité et racontent en creux l’intérêt constant de Braun pour les découvertes ou innovations techniques photographiques de son époque. Sous l’influence de son employeur l’industriel textile Daniel Dollfus, photographe par passion, le dessinateur de textile qu’il est encore en 1853-1854 a ainsi rapidement vu l’intérêt de l’utilisation du collodion humide, une technique disponible à partir de 1851. Les fleurs photographiées, sa première série, le succès qu’elles rencontrent auprès des créateurs de textiles et, au-delà, auprès des peintres de natures mortes et des cours européennes, ont décidé de sa reconversion à l’âge de 40 ans dans la photographie.
Le recueil des 120 épreuves albuminées de L’Alsace photographiée puis celui des Vues de Suisse imposera Braun parmi les grands photographes de paysage et d’architecture œuvrant officiellement pour Napoléon III, grand amateur de photographies.
Section après section, sur le modèle des chapitres du catalogue, les tirages sont mis en regard des peintures et autres créations de l’époque auxquelles ils servent de modèles (papiers peints, toiles imprimées et tableau de fleurs de Lyon Simon Saint-Jean, notamment, pour la partie consacrée aux compositions de fleurs). « Les animaux de ferme » (vers 1860), série méconnue, sont mis en parallèle avec un tableau de Rosa Bonheur, les « Trophées de chasse » avec une composition de Claude Monet, et le château de Chillon au bord du lac Léman (1874) avec une peinture de Gustave Courbet.
L’invention du panoramique en 1862 permet de réaliser des vues inédites de Paris ou de l’Égypte, et de mesurer l’étendue des destructions de la guerre de 1871. Braun l’Alsacien passe après guerre pour un Allemand en France et pour un Français en Allemagne. À partir de 1872, le roi Louis II de Bavière n’en commande pas moins au studio Braun des photographies d’architectures et de décors intérieurs français pour la construction de deux de ses châteaux.
Gaston Braun, aidé par son mariage en 1873 avec la fille du célèbre portraitiste Pierre Louis Pierson, développe les activités de l’entreprise. Photographes officiels du Vatican, de l’empereur Guillaume Ier, de Bismarck, les Braun étendent leur réputation aux musées. Après un premier contrat conclu avec le Kunstmuseum de Bâle pour la reproduction de ses chefs-d’œuvre, l’entreprise passera un accord avec le Louvre et le British Museum, entre autres. La saga Braun se dévore, et ses tirages au charbon n’ont rien perdu de leur splendeur.
(1) Adolphe Braun, une entreprise photographique européenne au XIXe siècle, éd. Schirmer Mosel.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°499 du 13 avril 2018, avec le titre suivant : Adolphe Braun, une entreprise très florissante