Consacrée à la Cité des Anges et à sa scène artistique, l’exposition du Centre Pompidou montre une ville laboratoire qui, entre 1955 et 1985, a permis à une nouvelle génération d’éclore.
Au carrefour d’un brassage culturel
Si la première chose que l’on fait en arrivant à Los Angeles est de chercher le centre, on s’aperçoit rapidement qu’à L.A., le centre… c’est soi.
Plus que partout ailleurs dans le monde, la ville californienne est véritablement une somme d’expériences individuelles, une somme d’histoires personnelles. Dans les arts plastiques, dans le cinéma, la musique ou la littérature, Los Angeles produit de la culture autant qu’elle en consomme. C’est ce qui donne à son art sa saveur, ce goût particulier que développe l’exposition.
Los Angeles est traditionnellement une ville d’immigration. Les implications culturelles de cette immigration constituent un fait capital dans l’histoire de l’art de Los Angeles. Il y a une tradition
d’artistes qui viennent de partout pour trouver ici un refuge. Le sens de l’histoire est plus léger qu’à New York ou en Europe. Les gens portent moins un fardeau d’idées préconçues. Il n’y a ni école de L.A., ni mouvement de L.A., ni de style L.A. Au contraire, il y a un extraordinaire foisonnement dans des directions diverses. Cela a à faire avec la géographie de la ville, avec le fait que tout est tellement dispersé. Il y aurait une tradition de la non-tradition ! Indépendance, diversité, excentricité même.
La ville artistique la moins esthétique
Los Angeles est une ville paradoxale. Une ville qui condense les fondamentaux du mythe américain et où tout concourt à construire une identité atypique. La scène artistique est à l’image de cette complexité : facilement abordable par les spectateurs, mais d’une diversité qui la fait résister à l’analyse superficielle.
À la différence des villes-musées, comme Paris, Londres ou New York, polies par le temps et l’histoire, elle s’offre comme un melting-pot de séductions et de répulsions qui se conjuguent pour former une expérience proche de celles proposées par les créateurs contemporains.
Il apparaîtra tout aussi évident que la culture populaire – Disneyland, le surf, etc. – soit recyclée dans l’art. La performance, la vidéo, le film, l’installation… participent à cette conception vivante de l’art. Catherine Grenier, la commissaire de l’exposition, souligne : « La ville, ses échanges culturels, ses communautés, son économie, ses industries s’intègrent, aux côtés de l’histoire de l’art, des mouvements artistiques internationaux contemporains et de l’histoire américaine, à une large palette dans laquelle les artistes piochent, sans souci hiérarchique, les constituants de leur art ».
Hollywood, usine à fabriquer des rêves
Los Angeles attire les jeunes artistes qui veulent entrer dans les écoles (Pasadena Art Center, Otis College…) ou demeurer en résidence (Villa Aurora, Getty Center…). Le langage ici a beaucoup d’importance et devient un élément visuel. Le langage, ce sont les panneaux signalétiques, la publicité aussi bien que le titrage des films. Le cinéma est lié intrinsèquement à la ville qui est une sorte de scène pour séries télévisées. Le spectacle est une idée essentielle comme le démontre le grand usage de la performance, de la vidéo chez Kelley, Burden, McCarthy, Kaprow, Viola, Yonemoto, Lamelas... Les plasticiens pensent en décor, ont une réflexion sur la représentation, y compris dans des esthétiques éloignées du cinéma. Difficile d’échapper aux réminiscences cinématographiques lorsqu'on parle de La Mecque de l’entertainment.
L’humour... pas la guerre
Sartre disait que L.A. est comme un ver de terre coupé en 20 morceaux et reliés par des parkings. Il y a aussi cette chanson de Joni Mitchell : « It was Paradise, and they built a Parking Lot… ».
L’exposition reflète la situation d’artistes « underground », donne à voir la Cité des Anges à la manière d’une improbable combine painting : un assemblage de villes indépendantes. Les grands studios inondent le monde à coups de superproductions et les « natifs », propagent une culture populaire marquée par le Pacifique, le Mexique et l’Asie. Il n’y a pas de distinctions de communautés dans l’exposition. Néanmoins, le propos et la violence politique ont bien entendu chez certains artistes une orientation spécifique. Parmi les artistes chicanos est montré le groupe ASCO qui s’approprie le vocabulaire de la « guérilla urbaine » sur un mode qui utilise les formes de l’humour. On note une absence de privilège aristocratique dans une société naissante et fluide où grades et titres sont inopérants. Foi dans le progrès et optimisme pugnace sont toujours des impératifs. L’égalité des chances est le maître mot de l’idéologie de l’Ouest.
L’engagement au corps à corps
Les artistes de Los Angeles incarnent une revendication de liberté, de spectaculaire. Mais beaucoup d’entre eux sont aussi des théoriciens, des professeurs qui ont une véritable réflexion sur l’art. À L.A., le savoir et sa transmission sont des valeurs essentielles. Ce sont des vecteurs importants de l’intégration des communautés.
Les défauts majeurs de la cité, que sont l’étalement urbain, le recours obligatoire à la voiture, la superficialité des comportements portent paradoxalement un rêve : celui de la maison individuelle, celui des strass et des paillettes, celui d’une vie naturelle heureuse dans le vaste espace californien.
À Los Angeles, comme partout, tout coule, tout change, tout bouge. Mais une même énergie demeure : la remise en cause perpétuelle des acquis de la vieille Europe, l’ouverture aux sciences et à la nature, l’interculturalité.
Le week-end, comme dans une vidéo de Bruce et Norman Yonemato, il n’est pas rare de tomber sur un garage sale, un vide-grenier organisé par des particuliers où se découvre tout le bric à brac de l’Amérique. Cette fourmilière humaine fonctionne par réseaux comme un club fermé, aux règles subtiles et non écrites qui propagent un message humaniste.
Un centre tourné vers le monde
Les artistes présentés ont été souvent méconnus dans leur pays parce que leur pratique ne rentrait pas dans le modèle de l’art américain. Ils ont préservé une certaine pureté et sont souvent des contre-modèles. Ce sont aussi des artistes qui d’eux-mêmes se sont tournés vers l’avant-garde européenne : Fluxus, Fahlström, Broodthaers… Dans le minimalisme, par exemple, des artistes comme McCracken ou Kauffman trouvent un caractère esthétique à un surf ou à une voiture et ne s’adonnent pas à une véritable sophistication intellectuelle. L’esthétique de la géométrie abstraite a pris ses racines ici, avec les architectures de Neutra, Eames, Gehry, etc.
Ce qui est important, ce ne sont pas tant les influences de l’Asie et du Mexique que le fait de la multiplicité des influences. Dans les années 1950, tout est né d’un déplacement des artistes de San Francisco et du souffle de la Beat Generation. La valeur d’engagement de l’art paraît beaucoup plus importante qu’ailleurs. Tous les supports peuvent être recyclés dans la production artistique : carrosseries d’automobiles, skate-boards, céramiques asiatiques. Il y a aussi une auto-ironie : l’art est une chose sérieuse qu’il ne faut pas prendre au sérieux.
Hockney : rayon de soleil californien
David Hockney s’est transplanté très tôt à Los Angeles. La ville est souvent regardée à travers sa peinture. Il a inventé la manière dont nous la voyons : piscine, corps bronzés, intérieurs californiens… À la manière de Scott Fitzgerald, il est le chroniqueur acide d’une société oisive.
Il y a également d’autres figures marquantes : Ed Ruscha et ses représentations de stations-service en feu, John Baldessari qui donne des lectures critiques de la ville. Le cinéma s’infiltre tout au long des chapitres de l’exposition depuis la mouvance qui croise l’héritage de la Beat Generation, l’art de l’assemblage, les mouvements de protestation, l’émergence de la scène punk, jusqu’aux recherches de Turrell, Irwin et Wheeler autour de l’espace, de l’objet et de la lumière qui sont une des caractéristiques de la ville. Le questionnement et la relation du langage à l’image sont un élément fondateur très bien illustré.
L’exposition du Centre Pompidou montre que Los Angeles ne s’est jamais pensée comme une dead line mais comme une occasion, une ouverture. Et, si l’histoire du monde, comme disait Braudel, c’est l’histoire des océans et des mers, tout l’avenir est pour les plasticiens de L.A., parce que le temps du Pacifique est venu.
Informations pratiques « Los Angeles, 1955-1985 » rassemble 350 œuvres de 85 artistes. Elle se tient jusqu’au 17 juillet 2006, tous les jours sauf les mardis et le 1er mai, de 11 h à 21 h, nocturnes le jeudi jusqu’à 23 h. Tarifs : 10 € et 8 €, valable toute la journée pour les collections permanentes et l’ensemble des expositions ; gratuit pour les moins de 18 ans. Centre Pompidou, M° Hôtel-de-Ville ou Rambuteau. Tél. 01 44 78 14 63. www.centrepompidou.fr.
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7 clefs pour comprendre Los Angeles
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°579 du 1 avril 2006, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre Los Angeles