Figure majeure de la lutte contre les nazis, Heartfield s’est illustré par une production de photomontages aussi corrosifs qu’inventifs. Une centaine de ces « brûlots » sont présentés à Strasbourg.
Fils de socialiste et futur révolutionnaire
Issu d’un milieu modeste, aîné de quatre enfants dont le père est un poète socialiste et la mère une ouvrière textile, John Heartfield (1891-1968) – de son vrai nom Helmut Herzfeld – est orphelin dès l’âge de huit ans. À quinze ans, il est apprenti libraire à Wiesbaden ; il décide de devenir peintre et suit des études à Munich et à Berlin. Mobilisé puis réformé, il crée en 1917 une maison d’édition avec son frère. Il rejoint l’année suivante le mouvement Dada en même temps qu’il adhère au nouveau parti communiste allemand. Invité en 1931 par le Bureau international des artistes révolutionnaires, Heartfield se rend en URSS où il reste un an, multipliant contributions journalistiques et conférences.
De retour à Berlin, il est pourchassé dès 1933 par les nazis. Il se réfugie à Prague, mais quand, en 1938, l’Allemagne envahit la Tchécoslovaquie, il est contraint à un nouvel exil et va s’installer à Londres.
Il rentre en Allemagne de l’Est en 1950 et consacre alors son temps à organiser des expositions de ses travaux dans la plupart des pays socialistes, de Berlin à Moscou et à Pékin.
Aux côtés des dadaïstes berlinois
Originaire de Berlin, John Heartfield (qui a anglicisé son vrai nom, Helmut Herzfeld, dès 1916 en signe de protestation contre la guerre) s’impose très vite comme l’une des figures déterminantes de l’expression berlinoise du mouvement Dada.
Peintre, sa passion pour les arts imprimés l’entraînent à créer avec son frère revues et maison d’édition, qui lui servent à faire passer ses idées et à se fabriquer une image de marque de combattant du régime en place.
En 1920, sa participation à la « Première foire internationale Dada » à Berlin, à la galerie du Dr Otto Burchard, le place aux avant-postes de ce mouvement par la violence imagée et textuelle de ses photomontages. La couverture du catalogue dont il est l’auteur, et qui sert aussi de carton d’invitation, témoigne de ses préoccupations dans l’art de la typographie et de la mise en page.
Surnommé le « Dada-monteur », John Heartfield s’éloigne toutefois de Dada dès l’année suivante pour s’engager plus avant dans les rangs communistes.
Un maître dans l’art du photomontage
Précédée dans la seconde moitié du xixe siècle par une production d’images recourant à toutes sortes de trucages photographiques et de superpositions de clichés, la technique du photomontage a été mise au point par les dadaïstes berlinois entre 1916 et 1918.
Si, à juste titre, Raoul Haussmann, Georges Grosz et Richard Huelsenbeck revendiquent d’avoir été les premiers à instituer ce moyen d’expression, John Heartfield a choisi de l’utiliser dès 1919 dans un but expressément militant. Fondée sur la notion de montage, cette technique procède de l’organisation d’une image par juxtaposition de photographies récupérées ici et là, notamment dans la presse, puis découpées et contrecollées sur un support commun.
La façon dont le photomontage détermine une nouvelle conception de la réalité ne pouvait qu’intéresser par la suite les surréalistes, à l’instar de Max Ernst ou Man Ray. De même s’imposa-t-il au fil du temps comme l’un des modes privilégiés de toute éducation artistique.
Caricaturer pour rire ou dénoncer ?
Lointaine parente des « têtes d’expression » qui composaient l’un des exercices déterminants d’admission à l’Académie au XVIIe siècle, la caricature gagna ses lettres de noblesse au cours du XIXe avec l’avènement de la presse illustrée.
Si Honoré Daumier en a porté le genre sur le terrain politique, les dadaïstes en ont fait une arme dans leur combat contre tous les pouvoirs.
Le numéro spécial que publie la revue AIZ (Die Arbeiter Illustrierte Zeitung) le premier juillet 1936, parodiant la publicité officielle faite par le régime nazi à l’occasion des Jeux olympiques de Munich, est l’occasion pour John Heartfield de concevoir notamment un photomontage qui en dit long sur sa maîtrise du genre.
Intitulé Come and See Germany !, ce photomontage montre les athlètes, le nez percé par les anneaux olympiques, en marche derrière le ministre de la Propagande, Joseph Goebbels. Si ceux-ci dont l’allure est vigoureuse sont ainsi transformés en bêtes de somme, celui-là offre à voir une mine chétive et arbore un pied bot en forme de sabot qui le rattache au monde animal.
Le sous-titre est on ne peut plus explicite : « Visiteurs des Jeux olympiques, en avant, marche ! »
AIZ, le bras armé de John Heartfield
Créé en 1924 par Willi Münzenberg, responsable des éditions du parti communiste allemand, AIZ, d’abord mensuel puis hebdomadaire à partir de 1926, est le journal illustré qui s’adresse aux travailleurs. Dans la tradition des premiers magazines communistes usant de la photographie dans un but de propagande, AIZ se veut le contrepoids indispensable à une presse bourgeoise réputée mensongère et ennemie du prolétariat.
En 1930, Heartfield est engagé comme collaborateur régulier : il y publie une page par mois. La violence plastique de ses photomontages, qu’il réalise à partir du fonds iconographique de l’Association des ouvriers photographes et qui servent à illustrer de nombreuses couvertures, fera dire à Louis Aragon que Heartfield « est le prototype et le modèle de l’artiste antifasciste ».
Quoiqu’en exil à Prague dès 1933, il poursuit sa collaboration avec AIZ jusqu’en 1938, la revue cessant de paraître après les Accords de Munich.
Heartfield y aura signé pas moins de 235 feuilles ! Qualifiées de « virulentes satires », celles-ci n’ont pas toujours été considérées au sein du modernisme ambiant comme du grand art. On leur reprocha une démarche excessivement militante et politique au détriment de l’esthétique. Les ambassadeurs d’Autriche et d’Allemagne en Tchécoslovaquie ne s’y sont d’ailleurs pas trompés quand ils exigèrent qu’on décroche les photomontages de Heartfield d’une exposition internationale sur l’art de la caricature, à Prague en 1934 !
Et la photographie devient militante
Dans la suite logique de leur engagement militant, le 31 décembre 1918, John Heartfield et son frère Wieland, ainsi que Georges Grosz et le dramaturge Erwin Piscator, s’inscrivent au KPD (parti communiste allemand), fondé la veille par Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht.
Dès lors, l’artiste consacre toute son activité à servir la cause révolutionnaire. Il s’invente un slogan – « Utilisez la photographie comme une arme ! » – et mène un combat acharné contre l’ordre.
Au premier rang des artistes dont le cas est suivi et examiné avec une attention toute particulière par les organes répressifs du nazisme, Heartfield est l’objet de toutes les chasses. Le gouvernement allemand va jusqu’à demander - sans succès toutefois - son extradition quand il est en exil à Prague et révoque la citoyenneté de l’artiste et de son frère.
De séjour à Paris en 1935 à l’occasion d’une exposition qui lui est consacrée, Aragon prononce une conférence intitulée : « John Heartfield et la beauté révolutionnaire. »
Après le « dégel », la reconnaissance
Après dix-huit ans d’exil, Heartfield rentre dans son pays en 1950 et s’installe à Leipzig. Étant de ceux qui ont choisi l’Est plutôt que l’Ouest et de ces artistes d’avant-garde dont le régime soviétique est méfiant, il reste dans l’ombre.
Il lui faudra attendre la mort de Staline en 1953 et un assouplissement de la politique réaliste socialiste du gouvernement est-allemand pour retrouver une certaine considération.
À la fin des années 1950, Heartfield devient même ambassadeur culturel de la RDA et une importante monographie lui est consacrée. Éditée à Dresde en 1962, réalisée en collaboration avec son frère, celle-ci comprend l’essentiel de ses photomontages publiés dans la presse au cours des années 1930.
Cette monographie assure l’artiste d’une fortune critique des plus favorables par la force d’exemple de son combat contre la barbarie nazie. Le temps de la reconnaissance a sonné. Celle-ci sera amplifiée avec la fin de la guerre froide et la réunification de l’Allemagne.
Informations pratiques L’exposition « John Heartfield : photomontages politiques, 1930-1938”ˆ» aura lieu jusqu’au 23”ˆjuillet, elle est visible du mardi au samedi de 11 h à 19 h, le jeudi de 12 h à 22 h, le dimanche de 10 h à 18 h. Tarifs : 5 euros et 2,50 euros. Musée d’Art moderne et contemporain (MAMC), 1 place Jean Arp, 67 076 Strasbourg Cedex,tél. 03 88 23 31 31, www.musees-strasbourg.org
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7 clefs pour comprendre John Heartfield
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°580 du 1 mai 2006, avec le titre suivant : 7 clefs pour comprendre John Heartfield