Aujourd’hui choyé et protégé, l’enfant n’a pas toujours eu un statut privilégié. Mortalité, abandon et longues journées de travail jusqu’aux premières lois de protection et sur l’éducation obligatoire, les représentations artistiques de l’enfance donnent à voir l’évolution de la société et du regard porté sur les plus jeunes.
1 Le Dauphin et l’Enfant Jésus
Philippe de Champaigne, Louis XIV offrant sa couronne et son sceptre à la Vierge et à l’Enfant, vers 1643.
La première représentation de l’enfant, morphologiquement fidèle, intervient tardivement dans l’histoire de l’art française, aux alentours de la fin du XVe siècle. Elle est avant tout divine. L’enfant, c’est l’Enfant Jésus ou le futur roi d’essence divine. Sur ce tableau, le Dauphin, futur Louis XIV, âgé de douze ans, porte déjà, autant physiquement que moralement, le poids de sa charge. « Les enfants royaux sont représentés comme les rois qu’ils deviendront plus tard. Ils sont avant tout la promesse de l’avenir et la continuité dynastique », explique Marianne Mathieu, chargée des collections au Musée Marmottan-Monet et co-commissaire de l’exposition « L’Art et l’Enfant », présentée au musée parisien à partir du 10 mars. Comme le rappelle dans le catalogue Jacques Gélis, historien et également co-commissaire de l’exposition : « Dans un monde, celui du XVIIe siècle, où l’on ne savait pas de quoi demain serait fait, la représentation du couple et de ses enfants [dans l’aristocratie] était une manière de parier sur l’avenir. » Il faut en effet rappeler que la mortalité infantile est élevée : un enfant sur quatre mourrait avant l’âge d’un an. « De sorte que l’on a pu dire qu’il fallait “deux enfants pour faire un adulte” », précise-t-il.
2 L’amour familial s’expose au grand jour
François-André Vincent, Madame Boyer-Fonfrède et son fils, 1796.
« À ces représentations austères succèdent des représentations de mères et de pères enlaçant leurs enfants. Il y a une tendresse qui se donne à voir », poursuit Marianne Mathieu. Ce fils qui se jette dans les bras de sa mère illustre la nouvelle relation des enfants à leurs parents qui s’instaure au XVIIIe siècle. Deux grandes évolutions de société expliquent un changement notable de l’attention envers l’enfant : le développement de la médecine et les débats sur la famille, notamment en faveur de l’allaitement et du lien affectif entre la mère et l’enfant qui était trop souvent confié dès la naissance à une nourrice. Évoquons simplement L’Émile ou De l’éducation de Jean-Jacques Rousseau publié en 1762. « L’appétit nouveau de savoirs, […] l’influence des sociétés de pensée et des académies, le goût pour le débat d’idées, le rôle croissant de la presse, les nouvelles conditions de vie liées à l’urbanisation […] vont permettre, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, un début d’émancipation de l’individu et de l’enfant », raconte Jacques Gélis. Toutefois, la présence de la pomme dans ce tendre portrait rappelle les possessions coloniales de la famille et donc la postérité assurée grâce à l’enfant qui continue avant tout à s’inscrire dans une lignée.
3 Fille ou garçon ? La séparation des genres
Jean Siméon Chardin, L’Enfant au toton, 1738.
Auguste-Gabriel Godefroy, âgé de dix ans, fait tourner un disque que l’on nomme alors toton et qui ressemble à la toupie moderne. Sur le bureau, les livres, les papiers et le portemine font allusion à l’éducation qu’il reçoit. Le siècle des lumières va en effet encourager l’éducation de la population et aussi des enfants dès leur plus jeune âge. Cette émancipation de l’enfant entraîne aussitôt une séparation nette des genres. Filles et garçons ne partagent pas les mêmes jeux ni les mêmes apprentissages. Quelques années plus tard, en 1753, le même peintre illustre l’éducation de l’autre genre. Au coin d’une fenêtre, une mère fait réciter la Bible à sa fille debout devant elle. Sur la chaise libre, un coffre à pelotes évoque l’une des activités manuelles que doivent maîtriser rapidement les petites filles, comme le tricot et la couture. Le garçon, lui, est seul et joue tandis que la fille est accompagnée et récite les Évangiles. Les rôles sont d’ores et déjà distribués.
4 Misère et prostitution
Jules Bastien-Lepage, Petit Cireur de bottes à Londres, 1882.
Ce qui caractérise la représentation de l’enfant au XIXe siècle, c’est l’illustration de toutes les enfances et non plus seulement de celles de la royauté et de l’aristocratie. À partir de cette période, de violents contrastes se manifestent entre une enfance passée en ville ou à la campagne, dans une famille bourgeoise ou parmi les plus humbles. Ces derniers ont les faveurs des artistes comme Camille Corot, Honoré Daumier, Jean-François Millet et Jules Bastien-Lepage, le peintre de la vie rurale. « Avec le réalisme et le naturalisme apparaissent des enfants beaucoup plus modestes, représentés dans leur quotidien », remarque Dominique Lobstein, commissaire des expositions des musées Marmottan et Anne-de-Beaujeu. Le Petit Cireur de bottes à Londres ainsi que La Petite Marchande de fleurs de Bastien-Lepage évoquent les petits métiers exercés par les enfants pour survivre, mais également un sujet plus grave, la prostitution enfantine. Une première loi de protection est promulguée le 11 mars 1841. Elle limite le temps de travail à 10 heures pour les enfants de moins de huit ans et à 12 heures pour ceux âgés entre 12 et 16 ans.
5 L’enfant choyé des impressionnistes
Berthe Morisot, Eugène Manet et sa fille dans le jardin de Bougival, 1881.
Cette illustration solaire d’une enfance privilégiée peinte en 1881 par Berthe Morisot s’oppose âprement à l’image d’un petit vendeur de violettes, pieds nus, endormi sous un porche, réalisée exactement à la même période par Fernand Pelez et présentée en contrepoint dans l’exposition parisienne. La peintre capture ici un instant rare : un père, Eugène Manet, jouant avec sa fille Julie. C’est l’image de la famille moderne qui se répand au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, dans le cercle restreint de la bourgeoisie dont font partie les impressionnistes. Les toiles de Claude Monet, Édouard Manet et Pierre-Auguste Renoir, immortalisent des enfants bien vêtus, éduqués et en bonne santé. C’est le cas dans le double portrait par Renoir des enfants de Martial Caillebotte, musicien et photographe, et frère du peintre Gustave Caillebotte. Confortablement installés sur un canapé, Jean et Geneviève s’instruisent et s’amusent en feuilletant un livre d’images dans un cadre chaleureux et familier.
6 L’école de Jules FerryJean Geoffroy, En classe, le travail des petits, 1889.
Situé à Moulins, le Musée Anne-de-Beaujeu consacre une exposition au peintre Jean Geoffroy, dit Géo. Intitulée « Un engagement républicain », elle retrace la carrière de l’artiste qui devient, après 1879 et ses débuts chez l’éditeur Hetzel, l’illustrateur privilégié des réformes de la République concernant la santé, la vieillesse et surtout l’école, ce qui lui vaudra d’être considéré comme le peintre de l’enfance par excellence. « Entre 1875 et 1900, au moment de sa plus grande production artistique, il est entièrement au service de la démonstration républicaine », explique Dominique Lobstein, commissaire de l’exposition. Cette toile de grand format est présentée pour la première fois à l’Exposition universelle de 1889 et montre une classe réunissant les plus petits, écrivant sur une ardoise, et les plus âgés qui apprennent à tenir une plume. Trois autres tableaux faisant partie d’une grande commande de 1893 sont réunis dans l’exposition moulinoise : ils illustrent les différentes formations de l’élève, de la maternelle jusqu’à l’école professionnelle, tous présentés dans une section de l’Exposition universelle de 1900 consacrée à l’enseignement.
7 L’enfant et ses dessins, une source nouvelle d’inspiration
Picasso, Le Peintre et l’Enfant, 1969.
« De promesse d’avenir à sujet de peinture, l’enfant et sa propre création vont devenir source d’inspiration pour les artistes au même titre que les arts primitifs, explique Marianne Mathieu. Car ils y voient l’art à son origine, autrement dit l’enfance de l’art. » Au début du XXe siècle, en quête de formes inédites débarrassées de toute influence académique, les peintres se tournent vers la fraîcheur, la naïveté et la gaucherie des dessins d’enfants, à commencer par les leurs (leurs dessins et leurs enfants). Un album présente des croquis du jeune Maurice Denis reproduisant les images d’Épinal que son père y collait. « Quand j’avais leur âge, je dessinais comme Raphaël, mais il m’a fallu toute une vie pour apprendre à dessiner comme eux », disait Pablo Picasso à propos des plus jeunes. Dans ce tableau, présenté à la toute fin de l’exposition parisienne, il met en scène le peintre et l’enfant. Celui-ci n’est plus seulement le sujet, mais tient désormais le pinceau. Peint en 1969, le tableau évoque un Picasso (re)devenu un enfant, atteignant ainsi l’étape ultime de la maîtrise de son art.
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7 clefs : L’enfant en peinture
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Abonnez-vous dès 1 €« L’art et l’enfant. Chefs-d’œuvre de la peinture française »
Du 10 mars au 3 juillet 2016. Musée Marmottan Monet, 2, rue Louis-Boilly, Paris-16e. Du mardi au dimanche de 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h, fermé le lundi.
Tarifs : 11€ et 6,50€.
Commissaires : Jacques Gélis, Marianne Mathieu et Dominique Lobstein. www.marmottan.fr
« Jean Geoffroy. Un engagement républicain »
Du 28 novembre 2015 au 18 septembre 2016. Musée Anne-de-Beaujeu, place du colonel Laussedat, Moulins (03). Du mardi au samedi de 10h à 12h et de 14h à 18h, le dimanche seulement l’après-midi, fermé le lundi. Horaires particuliers du 1er juillet au 31 août : de 10h à 12h30 et de 14h à 18h30.
Tarifs : 5€ et 3€.
Commissaires : Maud Leyoudec et Dominique Lobstein. www.mab.allier.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°688 du 1 mars 2016, avec le titre suivant : 7 clefs : L’enfant en peinture