Malgré la qualité de ses propositions, le nouveau « Festival international d’art de Toulouse » manque de liant et d’une idée forte pour bâtir son identité.
TOULOUSE - Que voir à Toulouse en ce moment ? Quelques belles expositions, certaines très belles même. Brillamment et intelligemment, Jorge Pardo s’est emparé d’une salle auparavant poussiéreuse du Musée des Augustins, consacrée à la sculpture romane et conservant notamment les vestiges de trois cloîtres de la ville. L’artiste en a repensé la scénographie, le mode de présentation et de mise en valeur des œuvres. Il a imaginé des supports avec des composants graphiques et jeux de couleurs engendrant des perspectives et redessinant l’espace ; en même temps, trois luminaires distincts pointent les trois origines différentes des chapiteaux.
Aux Abattoirs, Susan Hiller fait merveille avec ses recherches sur les manifestations paranormales et le langage, notamment Channels (2013), mur composé de 106 téléviseurs qui délivre en les superposant, et donc en les brouillant, des récits de personnes ayant frôlé la mort. Au rez-de-chaussée du musée s’est installé l’hyperréalisme intrigant du Suisse Franz Gertsch, qui se voit à l’âge de 83 ans consacrer sa première monographie en France.
Au couvent des Jacobins, Manon de Boer retient l’attention grâce à un dispositif audacieux de présentation de ses films, tandis qu’à l’Espace EDF Bazacle, Thomas Huber est comme à son habitude radical. Il a installé les tableaux de sa série La Frise rouge (2013-2014) sur les deux côtés d’une simple cimaise qui divise l’espace ; un espace comme mis en abyme dans un tableau récent conçu pour l’occasion.
Tout cela regroupé sous une même appellation suffit-il à faire un festival ? Pas vraiment, et c’est bien en cela que l’« événement » interpelle. Car depuis 2013 et sa migration dans le calendrier de septembre à la fin du mois de mai, accompagnée d’un changement d’intitulé, feu le « Printemps de septembre » est en panne d’identité.
Comité prestigieux
Le titre d’abord, « Festival international d’art de Toulouse », claque aussi sèchement qu’un coup de trique et semble avoir remisé définitivement le grain de folie et le décalage assumé qui ont fait les beaux jours du Printemps de septembre. Personne en outre n’a semble-t-il relevé que son acronyme en serait « Fiat ». Sauf à avoir pour principal partenaire la célèbre firme transalpine, ce qui n’est pas le cas, il eût sans doute été judicieux de s’abstenir.
Le contenu ensuite. Réunir un comité aussi prestigieux, composé de directeurs de structures qui ne le sont pas moins – Penelope Curtis de la Tate Britain, Philippe Vergne du MoCA Los Angeles, Christy MacLear de la Robert Rauschenberg Foundation… –, n’est apparemment pas gage de hauteur de vue programmatique. Lorsqu’est demandé à Jean-Marc Bustamante, artiste et directeur de la manifestation, quel serait l’axe, le lien, le fil rouge même ténu dans cet ensemble et que la seule réponse qui fuse est « l’excellence », une certaine consternation pointe. De même lorsqu’un de ses membres confie en privé que le comité ne se réunit qu’une fois par an et n’est finalement pas véritablement maître de la programmation…
« L’excellence » bien réelle des propositions données à voir ne masque pas le manque criant d’une atmosphère qui doit présider à ce que l’on nomme un festival, au travers d’une certaine forme d’investissement de l’espace public notamment, qui permet de fédérer une audience. Regrettable est également la disparition d’un contrepoint vers une création moins installée. Des centres d’art de Toulouse et de la région se sont bien associés à la manifestation, ainsi le Pavillon blanc-centre d’art de Colomiers, le BBB où se déploient les sculptures attachantes de Sven’t Jolle ou Lieu-Commun qui accueille un projet de Jean Denant focalisé sur les processus de construction…, mais leurs propositions ne relèvent pas de choix voulus et portés par la direction du festival, ce qui s’en ressent.
Afin de constituer une force de proposition crédible et audible dans la multitude d’événements artistiques, le Festival international d’art de Toulouse doit impérativement définir un véritable axe de programmation et se construire une identité propre qui lui font aujourd’hui singulièrement défaut.
Directeur : Jean-Marc Bustamante
Nombre de lieux : 12
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Un « Printemps de septembre » atomisé
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 22 juin, lieux divers, tél. 05 61 51 17 44, www.toulouseartfestival.com, tlj sauf lundi 12h-19h, samedi-dimanche 11h-19h. Prolongation des expositions à l’Espace EDF Bazacle jusqu’au 10 août et aux Abattoirs jusqu’au 31 août. Catalogue, éd. Fiat, 124 p., 25 €.
Légende Photo :
Manon de Boer et George van Dam, Sequenza, 2014, produit par Auguste Orts, avec le soutien du cultuurcentrum strombeek grimbergen, Vlaamse Gemeenschapscommissie et le Jeu de Paume, Paris. Courtesy de l'artiste et Jan Mot, Bruxelles/Mexico City. © Photo : Nicolas Brasseur/Festival international d'art de Toulouse.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Un « Printemps de septembre » atomisé