Art contemporain

Robert Combas, dans le chaos du monde

Par Amélie Adamo · L'ŒIL

Le 19 juin 2024 - 1528 mots

Sa peinture expressive et colorée a depuis longtemps les faveurs du public, mais les institutions le boudent. À Sète, la maison de l’artiste est à l’image de ses toiles, remplie d’objets de toutes sortes, dans un joyeux désordre.

Nichée sur les hauteurs de Sète, sa demeure est un havre de paix avec un jardin regardant vers la mer et un immense atelier encore en construction. Robert Combas accueille le visiteur, les cheveux grisonnants mais le regard vif comme celui d’un enfant. Le salon, spacieux, ouvre sur l’extérieur par de grandes baies vitrées. Des œuvres envahissent les murs et le sol, de toutes époques, de toutes couleurs, des arts premiers jusqu’à Jean-Pierre Raynaud. On trouve aussi des piles de livres d’art, de revues, de bandes dessinées. Ce goût éclectique de l’artiste pour la création est à l’image de son art, qui ne s’embarrasse d’aucune hiérarchie. À l’aube des années 1980, aux côtés des Nouveaux Fauves allemands, de la trans-avant-garde italienne ou de la Bad Painting américaine, la figuration libre opère en France une rupture dans le champ de l’art contemporain. C’est ce que l’on a appelé « retour à la figuration » : un déferlement de pratiques picturales dont le goût affiché pour le narratif et la jouissance expressionniste contraste avec une scène dominée par l’art minimal et conceptuel, tout d’ascèse et de formalisme. Cela marque, rappelle la critique d’art Catherine Millet, une « rupture par rapport au formalisme, qu’entretenait encore le Pop Art, et les premières lézardes dans la forteresse de “l’art contemporain” ». C’est dans ce contexte que la singularité de Robert Combas s’impose. Le jeune sétois tape dans l’œil du galeriste Yvon Lambert, lors de l’exposition manifeste « Finir en beauté », organisée par le critique Bernard Lamarche-Vadel chez lui, en 1981. Touché par l’œuvre de Combas, Yvon Lambert l’expose et le collectionne : son « instinct très fort », son côté « drôle et spontané » tranche avec les expérimentations des artistes américains que représente, en France, le galeriste parisien.

figuration libre et peinture décomplexée

S’imposant comme anti-intellectuelle et anti-formaliste, revendiquant une expressivité très spontanée, une pratique de l’image décomplexée et volontiers nourrie de culture populaire, la « figuration libre » de Robert Combas connaît rapidement un vif succès, auprès des collectionneurs mais aussi du grand public. Cependant, comme le souligne aujourd’hui l’historien d’art Thierry Raspail, qui découvre l’artiste à cette époque et lui a consacré, en 2012, une rétrospective au Musée d’art contemporain de Lyon, ce succès populaire a été perçu comme suspect par les institutions. À l’échelle nationale, celles-ci n’ont accordé à l’artiste qu’une réception mitigée. Il est vrai, précise Catherine Millet, que « le milieu institutionnel est frileux face au succès populaire de certains artistes… Et il l’était encore plus à l’époque où est apparue la figuration libre, à l’exception du Musée d’art et d’industrie de Saint-Étienne (avec l’exposition Après le classicisme, organisée en 1980) ». Le travail de Robert Combas s’est ainsi trouvé figé dans une époque et dans une étiquette, sans rapport avec la complexité réelle de son œuvre et ni son évolution. Ainsi, remarque Thierry Raspail, « les institutions se sont interrogées sur la longévité de Robert Combas, se demandant s’il s’agissait d’un épiphénomène ou d’une œuvre qui allait tenir dans le temps. Elles l’ont finalement raté car elles ont fait de lui le symptôme d’une époque, par timidité et manque d’engagement. » Mais l’œuvre a tenu dans le temps, et l’étiquette « figuration libre » peine à circonscrire cette production fleuve. Dès le courant des années 1980, la peinture de Combas a évolué, se complexifiant dans sa forme et dans ses référents. Ainsi, Catherine Millet raconte : « J’ai découvert la peinture de Robert Combas à l’exposition de Saint-Étienne en 1980 (Après le classicisme) mais je ne l’ai vraiment regardée que lorsqu’on m’a demandé de préfacer une exposition de lui au Musée Toulouse-Lautrec d’Albi. Son travail avait énormément évolué. Ce n’était plus des “vignettes” agrandies, des images, mais des tableaux dont l’espace avait été vraiment pensé en tant qu’espace pictural. L’angle unique d’une figuration d’inspiration populaire et reposant sur une expression purement spontanée, au discours volontiers anti-intellectuel et anti-culturel, ne permet pas de saisir la fécondité d’une œuvre nourrie d’un vaste champ référentiel, dont l’histoire de l’art évidemment. Comment définir la tambouille culturelle imbriquée dans la matière grise de Robert Combas ? D’où viennent toutes les figures qui s’entremêlent à la surface grouillante de ses tableaux ? Et puis, qui est Combas ? Un peintre, un performeur, un poète, un musicien ? Fait-il du dessin avec les mots ? De la musique avec le geste et la couleur ? Dans la tête de Robert Combas c’est un magma de résonances. Ne cherchez pas d’où viennent les connexions. Robert Combas regarde tout, ressent, imprime, digère. Art populaire et grand art, hier et aujourd’hui, Occident ou ailleurs. C’est un cultivé primitif. Un savant sauvage, un athée qui rallume le sacré, un déconneur sérieux… Ne cherchez pas à le réduire à une famille, à un style. Il est ça et mille autres choses.

une quête de l’enfance de l’art

Thierry Raspail y voit le résultat d’un brassage singulier : « Le cerne noir de Combas est aujourd’hui à la hauteur de ce que certains verriers ont réussi à l’âge gothique. Sa peinture tient la corde entre la composition de Poussin et la couleur de Rubens. Elle clôt enfin la querelle du dessin et de la couleur, aime autant Philippe de Champaigne que Kurt Schwitters… » Catherine Millet, elle, a finement décelé, dans les liens à l’art brut et au néo-dada, la quête sans cesse rejouée d’une « l’enfance de l’art ». De son écriture fantasmatique et proliférante, Combas révèle en même temps qu’il ne cache les vérités insondables des fonds humains. Pour le philosophe Michel Onfray, enfin, Combas est « le contraire d’un homme à étiquettes et il ne s’affilie à aucun style. Il est l’homme du seul dionysiaque, le chamane en transe, qui capte l’énergie animale du monde. » Mais, peu importe d’où vient Robert Combas, sa peinture parle au spectateur parce qu’elle parle de l’humain, de notre nature première, instinctive. Sa peinture est, au fond, philosophique, « car elle traite picturalement des grands sujets – le désir, les femmes, l’amour, le sexe, la mort, la nature, le visage… », souligne Michel Onfray. Par son écriture aux formes multiples, Combas capte quelque chose du flux effréné du monde. « Il est une conscience claire et acérée du monde tel qu’il est et tel qu’il va : le monde intime, le monde extérieur, le monde cosmique. Il est un sismographe de tout cela », explique le philosophe. Cette « image-flux » nous touche, considère Thierry Raspail, parce que « c’est ce que vit l’être humain du XXIe siècle… » Ainsi, précise-t-il, « l’œuvre de Robert Combas synthétise ce phénomène : “ça va finir et on a trop peu de temps”. Robert lutte contre le tragique. Quoiqu’il arrive, ça continue ». La peinture de Robert Combas parle aux gens. Et l’artiste, généreux, fidèle à ce qu’il est, catalyse autour de lui des amis, des collectionneurs et un public qui n’ont cessé de le soutenir. Que tout un pan de l’institution l’ait « raté », l’artiste s’en moque aujourd’hui. Mais ce « dont il ne se moque pas en revanche, remarque Thierry Raspail, c’est de la trace qu’il laissera dans l’histoire de l’art ; je pense qu’il va s’en occuper lui-même et les institutions rattraperont alors le temps perdu… » Aux côtés de sa femme, Geneviève, Robert Combas imagine déjà pour l’avenir mille choses dans sa propriété sétoise. Faire une fondation où le public pourrait découvrir son art et sa collection ? Accueillir des artistes en résidence ? Des questions en suspens encore mais une certitude : Robert et Geneviève feront de ce paradis bleu un lieu à leur image. Un lieu de vie. Et de partage.

 

1957
Naissance à Lyon
1961
Arrivée à Sète avec sa famille
1974
Entre aux Beaux-Arts de Montpellier
1980
Exposition collective « Après le classicisme » , à Saint-Étienne
1981
Participe à « Finir en beauté » chez Bernard Lamarche-Vadel, à Paris
1982
Entame une colaboration avec le galeriste Yvon Lambert
1986
Exposition solo chez Leo Castelli, à New York
1991
« Combas-Toulouse-Lautrec » , au Musée Toulouse-Lautrec
2012
Rétrospective « Greatest Heats » au MAC Lyon
2016
« Les Combas de Lambert » , à la Collection Lambert, Avignon
Lyon aime Combas

Robert Combas est de retour à Lyon où le Musée d’art contemporain lui avait ouvert ses cimaises, en 2012 , avec « Greatest Hits ». Le galeriste Henri Chartier présente une cinquantaine de pièces dans une exposition intitulée « Tatouages académiques », où sont réunies entre autres des œuvres issues de deux séries : l’une, classique chez Combas, de portraits en buste, et l’autre, plus inhabituelle, de portraits en pied représentant essentiellement des corps féminins dénudés. Apparue au début des années 1990, l’appellation « Tatouages académiques » est donnée aux œuvres sur papier ayant pour support d’anciens dessins d’études académiques. Combas y superpose, comme un tatouage, son écriture propre, opérant une sorte de transfiguration où la tradition digérée par l’artiste et la question du « modèle » apparaissent dans une forme réinventée. On y trouve tout ce qui fait l’essence de Combas : une énergie fantasmatique et prolifique, un sens de l’humour et une poésie où l’art et la vie s’entremêlent.

Amélie Adamo

 

« Robert Combas, tatouages académiques »,

galerie Henri Chartier, 3 rue Auguste Comte, Lyon (69), jusqu’au 13 juillet.

Thématiques

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°776 du 1 juin 2024, avec le titre suivant : Robert Combas, dans le chaos du monde

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque