Trois lieux parisiens mettent à l’honneur Anders Peterson, levant le voile subtilement sur les images sans fard, mais pétries d’humanité, du mythique photographe suédois.
PARIS - Anders Petersen est un photographe culte, tout comme l’est Café Lehmitz, l’œuvre originelle qui l’a inscrit en 1978 dans l’histoire de la photographie, de la même manière que The Americans de Robert Frank édité vingt ans plus tôt. Depuis son exploration du monde, dans ses plis les plus lumineux comme les plus sombres, se déploie la même onde d’énergie et de bienveillance envers ceux qu’il rencontre et photographie. Anders Petersen n’a jamais rien dissocié. Vie et photographie se fondent, se confondent, portées toutes deux par un esprit curieux, sincère et libre. Son premier livre, Café Lehmitz, publié chez Schirmer/Mosel, collait au plus près des habitués de ce café de Hambourg dont il avait partagé dix ans auparavant le quotidien pendant quelque temps. Les images noir et blanc de l’élève de Christer Strömholm frappaient par leur franchise, leur tension et acuité. La famille d’exclus, de prostituées qu’il avait faite sienne renvoyait une humanité et la subjectivité d’un regard qui n’a rien perdu de sa charge émotionnelle au cours de ces cinquante dernières années, comme le retrace la rétrospective que signe Anne Biroleau à la Bibliothèque nationale de France, la première du genre en France.
Posée en préambule, « Rome l’organique » comme il l’a définie, donne le ton, le rythme. Portraits ou morceaux de corps cadrés au plus près, nuées d’oiseaux sous un ciel chargé auréolé d’une éclaircie, chat de gouttière au regard aiguisé, assiette évidée d’un repas consommé, bouche d’une poubelle à verre… : rien ne distingue ici Rome d’une autre ville telle que Paris ou Stockholm où il vit, ni l’année 2005 – année de référence pour l’ensemble de cette série sur la capitale italienne – qui aurait pu aussi bien être l’année 1982 ou 1996, tant la prise de vue cristallise un concentré d’états, de sentiments ou de situations palpables communes à toute ville, tout lieu et à toute époque. L’ensemble de l’œuvre forme une seule et unique pièce de théâtre classique à la règle des trois unités de temps, de lieu et d’action qui renvoie, de Rome au Café Lehmitz en clôture de parcours, à la vie d’un homme qui a toujours recherché les marges, synonyme de vie directe, nue. Seuls diffèrent le noir et blanc des tirages beaucoup plus sombres, beaucoup plus théâtralisés dans les années récentes et la disposition des séries : alignement classique avec cadre d’origine pour « Café Lehmitz » ou les trois séries relatives à l’hôpital psychiatrique, la maison de retraite et la prison où il s’immergea un temps ; et des tableaux grand format composés d’une vingtaine de photographies, morceaux disparates d’une même série (Rome ou Stockholm par exemple) réunis en un puzzle déconstruit d’instants.
Chroniqueur des sentiments
Beaucoup de désirs, de peaux dénudées, tatouées, de rires, de baisers, de pas de danses, de soirées arrosées ou de petits riens dans ses photographies et autant d’amour, d’amitié que de solitude, d’attentes, de confusions ou de désespoirs ; de récurrences stylistiques et lexicales également. Anders Petersen est un chroniqueur des sentiments, réaliste et poétique. « Je photographie ce que je ressens avec mon cœur et mes tripes », dit Anders Petersen, « curieux » et porté « par le besoin de revenir à des lieux, d’instaurer une relation, de s’immerger totalement (…) [par] la prise de vue instinctive, intuitive, absolument pas mentale. » Parmi les hommes, les femmes et les enfants photographiés, il y a des amis, des femmes aimées, sa mère de profil, lui-même – une seule fois, en portrait d’homme au visage amoché et marqué par une soirée de beuverie, autoportrait placé au milieu d’autres figures, d’autres moments vécus.
Tout au long du parcours, l’ordonnancement des séries donne à entendre les battements de cœur d’un homme. Il forme un journal intime peuplé de présences hypnotiques et de profils récurrents comme celle des jumeaux que l’on retrouve dans l’exposition « To belong » que lui consacra la galerie Vu, avec une série inédite, réalisée tout dernièrement en Émilie-Romagne. À l’Institut suédois, il est une autre filiation à suivre, tout aussi importante dans l’itinéraire d’Anders Petersen. L’amitié qui le lie à Christer Strömholm (1918-2002), le professeur et JH Engström, l’élève et assistant. À eux trois, ils constituent un pan de la photographie suédoise où chacun se place vis-à-vis de l’autre, en écho. Les écritures sont distinctes, mais le positionnement sensible vis-à-vis de leurs confrères, miroir ou non de sa propre existence, est identique. Non que par clichés interposés, des clins d’œil à telles photographies n’aient été échangés. Comme cet autoportrait plein cadre de JH Engström amoché, sur le modèle de celui de Petersen, qui résonne comme un souvenir des plaisirs et soirées partagées.
jusqu’au 2 février 2014, Bibliothèque nationale de France, Site Richelieu, 5 rue Vivienne, 75009 Paris, www.bnf.fr, mardi-samedi 10h-19h, dimanche 12h-19h, catalogue « Anders Petersen », coédition BnF/Max Ström, 400 pages, 55 €.
jusqu’au 11 janvier 2014, Galerie Vu’, 58 rue Saint-Lazare, 75009 Paris, tlj sauf dimanche 14h-19h. Anders Petersen, Photo Poche, Actes Sud, 13 €.
jusqu’au 12 janvier 2014, Institut Suédois, 11 rue Payenne, 75003 Paris, www.institutsuedois.fr, tlj sauf lundi 12h-18h.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
L’intimité chahutée d’Anders Petersen
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €En savoir plus
Lire la notice d'AlloExpo sur l'exposition « Anders Petersen : Photographies »
Légende Photo :
Anders Peteresen, Stockholm, 2000. © Anders Petersen, Courtesy Galerie VU’.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°404 du 3 janvier 2014, avec le titre suivant : L’intimité chahutée d’Anders Petersen