Art ancien

Lille retrouve ses "plans-reliefs"

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 21 février 2019 - 1321 mots

LILLE

Le 16 mars 2019, le département des plans-reliefs du Palais des beaux-arts de Lille se dévoile dans un nouveau parcours faisant la part belle à la médiation et valorisant davantage ce patrimoine exceptionnel. Histoire.

Depuis plusieurs mois, une armada de restaurateurs s’affaire à dépoussiérer, décrasser et consolider cette collection hors norme, classée Monument historique, couvrant une superficie de 400 m2 et pesant la bagatelle de douze tonnes : les plans-reliefs. Un chantier pharaonique à l’image d’une collection unique dont la constitution s’échelonne du règne de Louis XIV à la chute de Napoléon III. En 1668, c’est Louvois, ministre de la Guerre du Roi-Soleil, qui ordonne la réalisation de plans-reliefs des sites fortifiés et plus particulièrement des villes frontières récemment conquises par la France.

Des drones avant la lettre

D’emblée, ces objets ont donc une double fonction pratique et symbolique. Ces maquettes d’une extraordinaire précision font office d’outil d’expertise à distance pour le souverain et l’état-major, car elles offrent une vision globale des défenses du territoire et permettent de visualiser les aménagements en cours, mais aussi de planifier des campagnes militaires. Mais ces drones avant la lettre sont aussi des objets de propagande, car ils matérialisent la puissance du royaume. « Évidemment, il y a une dimension conquérante dans cette manière de saisir si précisément les villes récemment conquises, remarque Florence Raymond, attachée de conservation en charge du département XVIIIe du Palais des beaux-arts. Montrer une vue aérienne à une époque où la photographie et l’aviation n’existaient pas ne pouvait qu’impressionner les spectateurs. » Pour obtenir ce résultat stupéfiant de réalisme, on n’hésite pas à employer les grands moyens, puisque l’on estime qu’un plan nécessite entre trois et quatre ans de travail et requiert le labeur de huit à dix hommes.

Un ingénieur, accompagné d’assistants, est d’abord dépêché sur place pour cartographier la cité dans ses moindres recoins et réaliser des aquarelles. L’architecture, la topographie, le paysage et même la couleur des tuiles sont ainsi consignés. Plusieurs corps de métier collaborent ensuite pour rendre le plus fidèlement possible cette ville à l’échelle 1/600. Un assemblage de lames de bois de différentes épaisseurs ainsi que du carton mâché restituent le relief, tandis que les aspérités du sol sont évoquées par du sable saupoudré sur de la colle et que les arbres et les espaces verts sont représentés grâce à de la soie et les cours d’eau tracés à la peinture à l’huile. Les éléments d’architecture sont quant à eux constitués de petits blocs en tilleul ou en peuplier cloutés sur la structure en chêne massif et habillés de papiers peints ou imprimés pour évoquer les détails. Seule variation notable au fil des siècles, la taille des tables de campagne croît considérablement, ce qui correspond à la progression de la force de feu de l’artillerie.

Des œuvres d’art classées secret défense

Les différentes tables sont ensuite clipsées entre elles à la manière d’un puzzle, et le plan livré en un seul bloc au château de Versailles. Rapidement, cette collection, qui compte deux cents pièces à son apogée (contre cent aujourd’hui), prend trop de place et le roi décide de l’installer à Paris dans une galerie du palais du Louvre. Pour impressionner ses homologues, le souverain aime à montrer ces trophées et à les commenter ; une pratique qui se maintient jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Toutefois, elle ne concerne que des visiteurs triés sur le volet, car ces pièces sont de nature très sensible ; on l’ignore souvent, mais elles ont même été classées secret défense jusqu’en 1920.

De fait, cette collection a été très convoitée pour des raisons géopolitiques. En 1815, à la chute de l’Empire, dix-neuf plans de villes du Nord sont saisis par les Prussiens et rapportés triomphalement à Berlin où ils sont entreposés dans l’Arsenal. En raison de leur taille imposante, ces plans sont rabotés et accrochés au mur comme des cartes d’état-major. Le plan de Lille, qui était l’un des plus grands, est mutilé, passant de 60 à 18 m2 et perdant de nombreux éléments architecturaux. Cette pièce est en réalité une miraculée, car les autres plans ont purement et simplement disparu lors des bombardements de Berlin en 1945. « Dans l’histoire de la collection, on accable souvent les Prussiens, mais la réalité est plus complexe, car les Allemands ont aussi joué un rôle important dans la sauvegarde des plans-reliefs durant la Seconde Guerre mondiale, souligne Florence Raymond. C’est en effet le gouverneur allemand des Invalides qui a autorisé en 1940 le transfert de la collection de Paris à Chambord. Une fois remontés, les plans occupent d’ailleurs tout le château, ce qui fera penser au lendemain de la guerre que le site pourrait devenir le grand musée des plans-reliefs. » Finalement, les plans seront renvoyés aux Invalides, leur site de conservation depuis 1777. Une fraction de ce fonds sera ensuite déposée à Lille dans des circonstances totalement rocambolesques.

La bataille des plans-reliefs 
 

Quelques années avant la Révolution, Louis XVI, qui souhaite transformer le palais du Louvre en musée, est embarrassé par la collection des plans-reliefs qui occupe toute une galerie. Il envisage un temps de la détruire avant de la déménager dans les combles des Invalides où elle demeure un secret bien gardé, même après son ouverture au public. En 1983, au nom de la décentralisation, Pierre Mauroy, Premier ministre et maire de Lille, demande le transfert de la collection dans sa ville. Ce projet est validé puis brutalement interrompu à cause d’un changement de majorité politique. L’affaire prend des proportions inattendues : la police municipale de Lille garde en effet les maquettes jour et nuit pour empêcher leur retour à Paris, tandis que des habitants se mobilisent. Cette affaire très médiatisée est même portée devant les tribunaux. Finalement, le gouvernement Chirac accepte que soient déposés à Lille quinze plans représentant des villes du Nord et de Belgique. Un dépôt crucial dans l’histoire du musée puisqu’il amorcera le projet de rénovation du palais qui s’achèvera en 1997.

Isabelle Manca
 

Namur

Avec près de 50 m2, le plan de Namur est le plus vaste de la collection. Il est aussi le plus haut perché, car il représente une ville fortifiée bâtie sur un éperon rocheux. Il s’agit du second plan de Namur. Le premier, ordonné par Vauban, était en effet devenu obsolète après la reprise de la place forte par les Pays-Bas. Quand l’armée française reconquiert la cité durant la guerre de la Succession d’Autriche, on en construit donc un nouveau mis à jour avec les transformations réalisées entre-temps.
 

Tournai

Le très beau plan de Tournai possède une particularité : les monuments les plus emblématiques de la ville aux cinq clochers sont en effet représentés à une échelle différente des autres constructions. Les édifices religieux, et en premier lieu la cathédrale Notre-Dame, ont été réalisés à l’échelle 1/500 contre 1/600 pour le reste du plan. Une manière symbolique d’affirmer le pouvoir du roi et de l’Église catholique dans cette cité nouvellement française et auparavant de tradition protestante.
 

Lille

Grand mutilé de guerre, le plan de Lille est le seul rescapé du bombardement de l’Arsenal de Berlin en 1945. La maquette, qui était l’une des plus grandes de la collection, a été considérablement rabotée passant de 60 à 18 m2. Par ailleurs, de nombreux éléments architecturaux ont été arrachés. Restauré, ce plan est également mieux mis en valeur dans le nouveau parcours, notamment grâce à un dispositif numérique interactif permettant de naviguer dans la maquette et proposant des repères contemporains.
 

Audenarde

Le plan-relief d’Audenarde se distingue à bien des égards. Réalisé sous Louis XV, il possède un élégant support peint en bleu et or, et un cartouche de forme typiquement rocaille. Il est aussi l’un des très rares à représenter une activité humaine, puisque l’on peut observer des bateaux naviguant sur les rivières. Mais ce qui frappe surtout, c’est la représentation de son ingénieux système hydraulique permettant d’inonder les alentours de la ville en cas de siège pour embourber les assaillants.

« Département des plans-reliefs »,
Palais des beaux-arts de Lille, place de la République, Lille [59]. Réouverture à partir du 16 mars 2019, du mercredi au dimanche de 10 h à 18 h, lundi de 14 h à 18 h. Tarifs : 7 et 4 €. www.pba-lille.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°721 du 1 mars 2019, avec le titre suivant : Lille retrouve ses "plans-reliefs"

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