LILLE
Quatorze plans de villes fortifiées du nord de l’Europe ont réintégré le Palais des beaux-arts de Lille dans un nouvel écrin. Se souvient-on qu’ils furent l’objet dans les années 1980 d’une dispute homérique entre la droite et la gauche ?
Lille. Le 16 mars, le Palais des beaux-arts de Lille rouvre le département des plans-reliefs au terme d’un chantier titanesque. Pendant plusieurs mois, une quinzaine de restauratrices se sont ainsi affairées à dépoussiérer, décrasser et consolider cette collection extraordinaire, représentant la bagatelle de 400 mètres carrés et douze tonnes. Un chantier hors norme à l’image d’une collection unique au destin rocambolesque, qui débute sous Louis XIV avec la réalisation des maquettes des places fortes récemment conquises par la France.
Ces plans, d’une précision inouïe, exécutés en bois, papier et tissu, à l’échelle 1/600, constituent des objets de stratégie militaire mais aussi de propagande, et leur réalisation sera poursuivie jusqu’à Napoléon III. Malgré son prestige, cette collection, qui compte à son apogée deux cents pièces, se révèle encombrante. D’abord conservée au château de Versailles, elle s’installe ensuite au palais du Louvre, jusqu’à ce que Louis XVI décide de libérer la galerie qu’elle occupe en vue d’y créer un musée de peintures. La collection prend alors ses quartiers dans les combles de l’hôtel des Invalides où elle demeure jusqu’en 1986. Ceci à l’exception des dix-neuf pièces saisies par les Prussiens en 1815 et dont une seule rentrera en France après guerre, celle de Lille. « Le département des plans-reliefs est aujourd’hui tellement emblématique du Palais des beaux-arts de Lille que l’on a du mal à imaginer que cette collection est en réalité conservée ici seulement depuis quelques années, et qu’elle est arrivée dans des circonstances polémiques, observe Florence Raymond, attachée de conservation en charge du département. Quand on consulte les archives des années 1980, on est frappé par la virulence du débat autour de ce projet culturel. »
L’arrivée d’une partie de la collection des plans-reliefs dans la capitale des Flandres ne s’est en effet pas faite sans heurt. On l’a un peu oublié mais ce transfert a été un feuilleton qui a tenu la France en haleine, faisant ressurgir des antagonismes politiques très forts entre la gauche et la droite, les tenants de la centralisation et ceux de la décentralisation, ainsi que la rivalité entre Paris et la « province ».
En 1983, Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand et maire de Lille, constate que cette collection, bien qu’ouverte au public parisien depuis 1943, demeure confidentielle et peu valorisée. S’appuyant sur la dynamique de décentralisation prônée par son gouvernement, il émet le souhait de transférer la collection dans sa ville. Un transfert validé l’année suivante par le comité de décentralisation. Cette décision ne fait toutefois pas l’unanimité et Jack Lang, ministre de la Culture, doit monter au créneau à l’Assemblée nationale pour défendre ce choix, expliquant que, « sur les cent plans-reliefs, près de quarante plans concernent des villes du Nord, de la Belgique et des Pays-Bas ». En revanche, rappelle-t-il, « pas un seul plan ne concerne Paris, pas un seul plan ne concerne la région parisienne ».
Le débat prend de l’ampleur en janvier 1986 quand les premières maquettes arrivent à l’hospice général de Lille. On assiste alors à une levée de boucliers de la part d’associations de défense du musée parisien et d’élus de la capitale. Même l’Académie française s’inquiète des risques encourus par cette collection unique au monde, classée monument historique.
La tension monte encore d’un cran en mars après les élections législatives qui conduisent à une cohabitation. Car la première décision culturelle du gouvernement Jacques Chirac n’est autre que l’arrêt du transfert, par une mise en cause de la validité de la convention permettant ce déplacement. « Le transfert des caisses a commencé en janvier alors que la convention, l’accord entre l’État et la Ville de Lille, [n’]a été conclue [que] le 14 mars », affirme Philippe de Villiers. Le secrétaire d’État à la culture de l’époque critique aussi le calendrier électoraliste de la précédente majorité : « Nous considérons que l’opération, qui a été faite juste avant les élections législatives, a été mal conçue et exécutée dans des conditions parfaitement irrégulières. »
Jack Lang réplique, fustigeant « une action petite, mesquine, politicienne ». Bref chacun campe sur ses positions, et Pierre Mauroy poste des policiers en faction vingt-quatre heures sur vingt-quatre devant le monument où sont entreposées les maquettes. L’ancien Premier ministre prévient également que, si une « opération de force devait être ordonnée, la population serait immédiatement informée par les sirènes ». Cette bataille des plans-reliefs fait évidemment le bonheur de la presse qui titre sur « Le hold-up des plans-reliefs »,« L’annexion des plans de Vauban par Mauroy » et s’interroge même : « La guerre des maquettes aura-t-elle lieu ? ». Les caricaturistes ne sont pas en reste et illustrent avec délectation les multiples épisodes de ce feuilleton, croquant un Mauroy défendant en armure étincelante une forteresse imprenable. Le gouvernement tente maladroitement de calmer le jeu en proposant de réaliser des copies des maquettes concernant le Nord, la Flandre et la Belgique. Un « compromis » qui braque la partie adverse qui porte l’affaire en justice. Le contentieux se règle finalement à l’amiable fin 1987 : l’État accepte que les maquettes de sept villes du nord de la France, sept cités belges et une néerlandaise, soient déposées à Lille. Il contribue par ailleurs généreusement à la rénovation totale du Palais des beaux-arts en vue de leur présentation. Une décision cruciale qui permettra au musée de changer de dimension.
Plans-reliefs 2019, Le nouveau parcours
Lille. En 2017, le Palais des beaux-arts a entrepris une profonde modernisation de son projet scientifique et culturel (PSC) visant à repenser sa muséographie, son contenu et son confort de visite, afin de mieux répondre aux attentes du public. Symboliquement, le premier département concerné par ce PSC est celui des plans-reliefs, à l’origine de la refonte du musée en 1997. « Il était important de rénover la salle en conservant son atmosphère singulière, qui fait partie de l’expérience de visite atypique de cet espace, explique Bruno Girveau, directeur du musée. Tout en intégrant davantage de contextualisation, de médiation et des éléments innovants comme la géolocalisation affective. » L’aménagement d’origine, évoquant le plat pays et permettant un regard panoramique sur les plans conservés sous vitrines, a donc été respecté, tout comme l’ambiance tamisée, répondant aux normes de la conservation préventive. Toutefois l’éclairage a été amélioré pour mieux mettre en valeur les pièces, tandis que la salle est dotée d’un nouveau mobilier muséographique. Mais le changement le plus manifeste est sa nouvelle médiation. Alors qu’auparavant le visiteur était projeté au milieu de la collection sans réelle introduction, il dispose désormais d’un important appareil didactique. Il trouve ainsi dans la galerie d’entrée des cartes, lignes du temps… et deux mosaïques tactiles afin de se familiariser avec l’histoire de la collection et découvrir ses secrets de fabrication, de Louis XIV au récent chantier de restauration.
Isabelle Manca
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Quand Paris et Lille se disputaient les plans-reliefs des villes du Nord aujourd'hui restaurés
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°519 du 15 mars 2019, avec le titre suivant : La bataille des plans-reliefs