À l’occasion de son intervention dans l’espace du Bon Marché, l’artiste argentin, dont les interventions s’arriment souvent à l’espace public, revient sur l’influence du Japon sur sa pratique.
Internationalement reconnu, Leandro Erlich (né en 1973 à Buenos Aires) a été invité par Le Bon Marché, après Ai Weiwei et Chiharu Shiota, à intervenir dans son magasin parisien. Entre trompe-l’œil et illusion d’optique, son intervention, intitulée « Sous le ciel », se fond dans l’espace commercial pour mieux le subvertir et suggérer, non sans humour, que la réalité est une construction du regard.
Qu’est-ce que cela implique d’intervenir dans un espace commercial?
La contrainte la plus importante, c’est d’imaginer un travail dans un espace où le public ne vient pas pour voir de l’art. Par ailleurs, en dehors du cadre de légitimation du musée, l’artiste est moins protégé. Mais on suppose que, puisqu’il est présenté dans un grand magasin prestigieux, son travail est connu ; de la même façon que mon intervention sur l’architecture du lieu part du principe que tout le monde sait à quoi ressemble l’escalator du Bon Marché dessiné par Andrée Putman. C’est donc comme une conversation entre deux univers de référence.
« Sous le ciel » a bénéficié d’une très large couverture médiatique et d’un important relais sur les réseaux sociaux. Ce succès a-t-il des implications ?
Au-delà de la satisfaction que je ressens à voir le projet rencontrer un bon accueil, cela m’offre une visibilité. J’ai eu de très nombreuses occasions de montrer mon travail en France ; à Paris pour la Nuit blanche en 2004 et en 2015 ; au Printemps de septembre à Toulouse en 2003 ; au Centre d’art contemporain Le Grand Café à Saint-Nazaire en 2005… J’ai pris part à plusieurs expositions collectives, jusqu’à être nommé pour le prix Marcel Duchamp en 2006. J’ai réalisé des pièces dont j’étais très content, comme en 2013, dans le cadre du Voyage à Nantes, avec le Monte-meubles installé au centre-ville [une portion de façade suspendue à 10 mètres dans les airs]. Cependant, depuis l’installation de La Maison fond devant la gare du Nord en 2015 je n’avais rien fait à Paris.
Le Musée d’art contemporain du XXIe siècle de Kanazawa présente en permanence une de vos œuvres, La Piscine, tandis que le Mori Museum, à Tokyo, est le premier à vous consacrer une rétrospective (« Seeing and Believing », jusqu’au 1er avril). Avez-vous un lien privilégié avec le Japon ?
Ce petit pays lointain dont la culture, dans beaucoup de domaines, exerce une influence majeure, m’a toujours attiré. J’étais très enthousiaste à l’idée d’y travailler lorsque j’ai été invité par le musée d’art contemporain de Kanazawa avant que celui-ci ouvre ses portes. Hiromi Kurosawa, la conservatrice du musée, avait vu mon installation La Piscine à la Biennale de Venise en 2001, et avait d’abord pensé acheter la pièce. Finalement nous sommes convenus d’une version conçue spécialement pour le site. Malgré l’obstacle de la langue, je me suis très bien entendu avec les Japonais dont j’apprécie la sensibilité, le sens de l’humour, l’attention à des choses très ténues… C’est une dimension que l’on retrouve dans mon travail, qui comporte une dimension spectaculaire, mais aussi, je crois, une autre plus subtile. La Piscine a été ma première installation permanente, et c’est devenu une pièce iconique pour le musée.
Par la suite j’ai répondu à plusieurs invitations au Japon, pour la Setouchi Triennale de Naoshima et pour la Triennale d’Echigo-Tsumari à laquelle je participe une nouvelle fois cette année. À chaque voyage, je passais par le Mori Art Museum à Tokyo et je plaisantais avec son directeur, Nanjo Fumio, sur le fait d’y faire, un jour, une grande exposition. Jusqu’à ce que le Mori m’appelle effectivement. C’était le bon moment : la rétrospective couvre vingt-cinq années de carrière à travers une quarantaine d’œuvres.
Vous travaillez beaucoup dans l’espace public. Est-ce un choix ?
Je ne produis pas des pièces faciles à vendre car elles sont souvent de taille imposante, peu susceptibles de trouver une place dans des collections privées. À une échelle plus domestique j’ai également une petite production de tirages photo, de maquettes, de sculptures, d’objets…, mais mon travail n’est pas tourné vers le marché. De ce point de vue, le Japon, avec les festivals de Setouchi, d’Echigo-Tsumari, créés avec la volonté de faire revivre des régions sinistrées, offre une conception de l’art différente. Un art en lien avec la société, qui d’une certaine façon a pu inspirer le Voyage à Nantes. Je retrouve d’ailleurs cette approche non mercantile de la culture en France, à travers le réseau institutionnel, les Frac [Fonds régionaux d’art contemporain], les centres d’art… J’ai vécu et travaillé aux États-Unis, où l’art contemporain est structuré par le marché ; cela rend beaucoup plus difficile le fait de mener à bien de grandes installations sans visée commerciale.
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Leandro Erlich : « Mon travail n’est pas tourné vers le marché »
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Abonnez-vous dès 1 €Leandro Erlich, Sous le ciel,
jusqu’au 18 février, Le Bon Marché, 24, rue de Sèvres, 75007 Paris.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°495 du 16 février 2018, avec le titre suivant : Leandro Erlich, artiste : « Mon travail n’est pas tournÉ vers le marchÉ »