LONDRES / ROYAUME-UNI
The End de l’artiste britannique Heather Phillipson sera bientôt installée sur la quatrième colonne de Trafalgar Square. Une installation provisoire qui passionne outre-manche.
Pendant près de deux ans, entre juillet 2013 et février 2015, un gigantesque coq bleu de près de cinq mètres de haut veillait sur Trafalgar Square. Œuvre de la sculptrice allemande Katharina Fritsch, il était posé sur la quatrième colonne de cette place emblématique de la capitale anglaise, à quelques mètres de la National Gallery et sous les yeux de la statue de l’amiral Nelson, célèbre perturbateur des ambitions napoléoniennes. La statue est alors un choc pour de nombreux sujets de sa majesté. Lors de son installation, le maire adjoint de l’arrondissement de Westminster se demande ainsi « quelle aurait été la réaction de l’amiral Nelson s’il avait été accueilli à son retour de bataille par l’emblème français installé en plein centre de Londres ? »
Justine Simons, la maire adjointe de Londres pour la culture, en sourit encore. « Certains y ont vu un coq aux couleurs du parti conservateur au pouvoir, d’autres l’emblème de l’équipe de football de Tottenham », se souvient-elle. « C’est l’avantage des œuvres artistiques : chacun y répond selon sa propre expérience. Mais ce coq caractérise le programme The Fourth Plinth [Le quatrième socle] : un projet d’art contemporain osé, qui génère un débat public, et fait de chacun un critique d’art. »
Le programme date de 1998. Il met un terme à plus de cent cinquante ans de débats incessants. En 1841, une statue équestre est, en effet, commandée pour être installée sur la quatrième colonne de la place, aux côtés de plusieurs rois et militaires, et sur laquelle trône l’amiral Nelson. La levée de fonds publics n’attire pourtant qu’un intérêt limité et l’argent nécessaire à son installation n’est pas réuni : le socle reste donc vide.
Il le demeurera jusqu’à ce que la Royal Society of Arts (RSA) obtienne, en 1998, l’autorisation d’y installer des sculptures contemporaines. Elle passe alors commande à trois artistes britanniques. Mark Wallinger inaugure le projet en 1999 avec sa statue Ecce Homo. Il sera suivi par les sculptures de Bill Woodrow et de Rachel Whiteread.
L’initiative suscite l’attention du gouvernement, et le premier ministre Tony Blair commande un rapport sur le rôle à donner à cet espace public. « Le monde avait changé », analyse Justine Simons. « Les gens étaient moins intéressés par les héros militaires. S’il n’y avait plus de consensus autour de l’installation d’un héros militaire sur la colonne, qui voulions-nous désormais célébrer ? » Parmi les deux cent soixante-quinze suggestions des Britanniques, on trouve la princesse Diana, le footballeur David Beckham, Nelson Mandela ou encore Mahatma Gandhi. Le rapporteur se félicite de « l’imagination » du public, mais il favorise l’idée de la RSA d’installer des œuvres contemporaines temporaires.
Cette réflexion coïncide avec la création de la fonction de maire de Londres et de restructuration importante de l’administration municipale. Le maire se voit notamment attribuer la gestion de Trafalgar Square. « Je venais d’être nommée en 2002 responsable de la culture et l’on a posé le dossier sur mon bureau en me disant : “À vous de jouer !” », raconte Justine Simons. La voilà donc à la tête d’un projet d’importance, qu’elle n’a jamais cessé de mener depuis lors. « Trafalgar Square est un lieu particulier dans l’imaginaire britannique, il bénéficie d’une connotation civique unique : c’est là que les gens se réunissent spontanément pour célébrer des événements et pour manifester », explique-t-elle. « Il est donc le lieu idéal pour casser le consensus de la fabrique de Londres, qui reflète principalement l’époque victorienne, et montrer la ville contemporaine. »
Justine Simons indique avoir rapidement décidé de la création d’une commission indépendante chargée de la sélection des artistes exposés. « Il fallait éloigner ce projet artistique du monde politique, justifie-t-elle, le remettre aux mains d’experts l’a crédibilisé, tout en protégeant le maire des polémiques. » Des conservateurs, des directeurs de galerie, mais également un ingénieur font partie de la commission. « Un ingénieur permet de gérer les défis techniques : les œuvres ne sont pas confinées à un espace fermé et protégé, mais ouverts aux éléments, aux fortes pluies, aux grosses chaleurs, au soleil, aux pigeons et aux manifestants ! Nous passons beaucoup de temps sur la faisabilité technique de chaque projet. »
Dans la pratique, les candidats envoient une esquisse de leur projet et un court texte explicatif aux organisateurs ; une participation qui est rémunérée 1 000 livres (1 180 euros). Ils sont départagés par un jury composé de directeurs de musée du monde entier (Mexico, Tokyo, Naples, Amsterdam, Brooklyn, etc.). Les six finalistes doivent ensuite réaliser une maquette, un texte plus long, un budget et une étude de faisabilité technique. Ils sont alors rémunérés 6 000 livres (7 100 euros).
« Les dossiers des six finalistes sont rendus publics et les gens sont conviés à donner leur avis », poursuit Justine Simons. « Mais nous sommes clairs : le public a un siège à la table, mais il n’est pas décisionnaire. Si tel avait été le cas, l’œuvre Alison Lapper Pregnant de Marc Quinn n’aurait jamais été sélectionnée, car elle avait véritablement agacé les gens. Or, en plus de l’œuvre en elle-même, magnifique, ce débat sur les handicapés, le regard de la société qui a du mal à accepter qu’un handicapé puisse être beau, nous a intéressés. Surtout que l’œuvre touche, grâce à sa localisation, un public qui ne se rend pas forcément dans les institutions artistiques. »
Les deux heureux artistes qui se succéderont, reçoivent chacun 30 000 livres (35 600 euros) pour cette commande publique. La municipalité contribue également à hauteur de 140 000 livres (166 000 euros) aux frais de production de chaque pièce. « Notre contrat est un peu particulier : l’artiste demeure propriétaire de son œuvre, la municipalité paie en quelque sorte pour l’exposer pendant deux ans dans sa galerie, Trafalgar Square. Si elle est vendue bien au-delà de ces 140 000 livres après l’installation, l’artiste doit alors rembourser les frais de production, qui sont réinvestis dans les productions suivantes. » Un moyen aussi de calmer l’irritation de nombreux médias britanniques, longtemps opposés à de telles dépenses, jugées inutiles. Mais aujourd’hui, la quatrième colonne est l’un des projets artistiques les plus suivis par la presse britannique populaire.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Le quatrième socle, une commande publique typiquement britannique
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°538 du 31 janvier 2020, avec le titre suivant : Le quatrième socle, une commande publique typiquement britannique