ZURICH / SUISSE
À Zurich, le « Pavillon Le Corbusier », tout de métal, rouvre en mai au terme d’une importante restauration. Ce vaste lieu d’exposition est l’objet d’un conflit juridique, qui voit l’ancienne propriétaire assigner la Ville en justice.
Zurich. L’ultime bâtiment signé par Le Corbusier (1887-1965), dont il a de son vivant lancé les travaux, est un étonnant édifice de verre et de métal aux couleurs éclatantes, construit à Zurich sur une rive de son célèbre lac. Entièrement rénové, il rouvre ses portes au public le 11 mai. Parmi la myriade d’œuvres de l’architecte franco-suisse, celui-ci fait office d’exception, car, pour cet apôtre du béton brut, le métal n’allait pas de soi. Et pourtant, grâce à l’obstination de sa cliente, Heidi Weber, à l’époque fringante galeriste zurichoise, c’est ce matériau qui l’emporta : « Pour moi, le métal représentait le nouveau, la modernité. Je pensais que le béton appartenait au passé », affirmait alors la jeune trentenaire. De fait, ce projet est un vrai Meccano, dont les modules cubiques qui le composent furent assemblés avec pas moins de… 20 000 boulons. Mieux, métallique également, la toiture, spectaculaire, se révèle indépendante des cubes de verre et d’acier qu’elle protège. Ce vaste parasol brise-soleil se compose de deux parties aux profils en miroir, l’une tournée vers le bas, l’autre vers le haut, forme que Le Corbusier avait déjà tenté d’utiliser par deux fois – pour un pavillon d’exposition situé porte Maillot, à Paris, en 1950, puis pour une galerie d’art à Stockholm, en 1962 –, avant cette commande helvète. À l’origine conçu pour servir à la fois de galerie d’art et d’habitation l’édifice n’accueillera, finalement, qu’un unique et vaste lieu d’exposition.
C’est en 1964 que la ville de Zurich octroie à Heidi Weber une parcelle dans le parc du Zürichhorn, avec un « droit de superficie » d’une durée de cinquante ans, et en 1965 que le chantier commence. Heidi Weber assume seule le coût de la construction, y compris les dépassements inhérents à cette architecture expérimentale. Disparu par noyade en Méditerranée en août 1965, Le Corbusier ne verra pas le bâtiment achevé. Deux de ses fidèles collaborateurs, Alain Tavès et Robert Rebutato, méneront le chantier à son terme et l’œuvre sera inaugurée le 15 juillet 1967.
Depuis 2014, la Ville de Zurich a confié la gestion de l’édifice au Museum für Gestaltung. Entre octobre 2017 et février 2019, ont été réalisés d’importants travaux de restauration d’un coût de 5 millions de francs suisses (4,4 M€), des travaux « assez exemplaires », aux dires de l’architecte Arthur Rüegg, qui, avec son confrère Silvio Schmed, a supervisé le chantier. « La restauration fut méticuleuse et d’une incroyable précision, estime Rüegg, spécialiste de l’œuvre corbuséenne. Il nous a fallu ainsi rendre le bâtiment étanche, notamment les huisseries des façades et un sous-sol très humide, ou rénover la structure et les matériaux d’un lieu qui n’était plus chauffé depuis 1982. Nous avons eu la chance d’être autorisés à restaurer ce lieu destiné à recevoir du public selon les normes en vigueur lors du permis de construire originel, et non selon la réglementation actuelle, ce qui l’aurait complètement dénaturé. » Une rénovation en forme de long fleuve tranquille. D’autant que la Ville, dès réception, a voté un budget de fonctionnement de 500 000 francs suisses (440 000 €) par an, pour les années 2019 à 2022.
Tout irait donc pour le mieux si l’ancienne propriétaire des lieux, Heidi Weber, 91 ans, n’avait intenté un procès à la Ville de Zurich. Depuis l’achèvement du bail cinquantenaire, rien ne va plus entre les deux parties. Résumé de la situation. En 2014, à la fin du bail, la Ville propose à Heidi Weber, pour le rachat de l’édifice et son contenu, une « compensation » de 1,16 million de francs suisses (1 M€). Très loin des 23,5 millions de dollars (21 M€) estimés par un cabinet indépendant local, plus loin encore de l’estimation fournie, en 2013, par le commissaire-priseur Simon de Pury à Weber : une fourchette de 45 à 70 millions de dollars qui tient compte « de la valeur ajoutée du bâtiment en tant que monument historique conçu par Le Corbusier ».
Outre ce différend important quant au prix de rachat, deux points posent problème. Selon Heidi Weber, la Ville se serait engagée en 2014, d’une part, à ce que le musée devienne, dans les deux ans qui suivent, une institution de droit public ; d’autre part, à ce que le nom de la « bâtisseuse » figure dans la dénomination officielle du musée.
Deux ans plus tard, ne voyant rien venir, Heidi Weber enrage : « Je suis dégoûtée, car la Ville de Zurich n’avait, jusqu’à aujourd’hui, jamais montré un véritable intérêt pour Le Corbusier et maintenant ils veulent apparaître comme ayant toujours planifié [le projet] avec Le Corbusier et comme si ma personne n’avait été qu’un fournisseur de fonds. Ni maintenant ni dans le futur, je ne permettrai à la ville de Zurich de s’attribuer le mérite de mes réalisations et je ferai tout pour empêcher cela », explique-t-elle sur son site (1).
Fin 2016, Hedi Weber décide de déposer plainte auprès du procureur général de Zurich pour diffamation contre l’adjoint à la culture de la Ville de Zurich, Peter Haerle, lequel l’aurait calomniée lors d’un entretien radiophonique diffusé sur Radio 1. Ce sera l’amorce d’une saga judiciaire qui, au jour de l’ouverture du « Pavillon Le Corbusier », est loin d’être refermée. Ce nouveau nom justement, choisi par la Ville pour le bâtiment, fait l’objet d’une autre plainte déposée en septembre 2018 par l’ex-propriétaire, afin que son nom figure à nouveau dans le libellé officiel du « Pavillon ».
À l’entrée du Pavillon, un panneau émaillé blanc arbore aujourd’hui une esquisse de l’édifice par l’architecte avec, en dessous, la mention « Heidi Weber Haus von Le Corbusier ». Une manière de calmer le jeu ?
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Le pavillon Le Corbusier ouvre sur fond de procès
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°523 du 10 mai 2019, avec le titre suivant : Le pavillon le corbusier ouvre sur fond de procès