PARIS
La guerre contraint le centre culturel à adapter sa programmation pour contrer la propagande russe et montrer une culture ukrainienne indépendante et résolument tournée vers l’Europe.
Paris. Sur la façade de l’hôtel particulier qui abrite le centre culturel, une carte de l’Europe : l’Ukraine se détache en blanc sur un fond rouge et noir, et une question interpelle les passants : « Qui sera le prochain ? » Cette affiche réalisée par des graphistes ukrainiens illustre la nouvelle stratégie adoptée par le centre culturel depuis le 24 février. Relativement discret jusqu’alors malgré une programmation régulière, ce centre créé en 2004 est aujourd’hui un levier important du soft power ukrainien à Paris, d’autant qu’il dépend directement de l’ambassade d’Ukraine. La directrice du centre, Viktoriia Gulenko, précise qu’à ce titre « le centre constitue le service culturel de l’ambassade, et son budget est intégré à celui de l’ambassade ».
Dès le début de l’invasion russe, la directrice a donc modifié la programmation pour proposer un « Printemps ukrainien », une saison culturelle d’expositions et de conférences sur la culture contemporaine ukrainienne. L’idée est de faire du centre « une plateforme, un lieu de rencontres pour le public français et pour la diaspora ukrainienne », ajoute Viktoriia Gulenko.
La programmation se construit au jour le jour, avec peu de moyens car le centre souffre d’obstacles structurels. Il est doté d’un budget limité, et le seul poste à temps plein est celui de la directrice qui précise que « la guerre a empêché le centre d’obtenir les subventions de l’État ukrainien pour 2022 ». La première exposition de cette programmation exceptionnelle rassemble cinq photographes ukrainiens témoins de la guerre ; elle a été entièrement montée par des bénévoles. Le plasticien franco-ukrainien Igor Ouvaroff, qui a coordonné la production de l’exposition avec la commissaire Solomia Savchuk, explique que « l’équipe actuelle est composée de bénévoles dont plusieurs déplacés qui ont quitté l’Ukraine, et majoritairement des femmes ».
Malgré la qualité du travail des photographes exposés, l’espace ne leur rend pas justice. L’hôtel particulier du XIXe siècle, un temps propriété de l’acteur Alain Delon, dispose d’environ 200 m2, avec une salle d’exposition de 40 m2 recouverte de boiseries, et dotée d’une mezzanine à double escalier qui complique la scénographie. Une salle de conférences de la même surface complète les espaces publics du centre, le reste étant dévolu aux bureaux. Peu d’espace donc, contrairement au grand complexe culturel russe, aux dômes dorés, sur la rive gauche de la Seine (8 000 m2), au cœur de Paris. Dessiné par l’architecte Jean-Michel Wilmotte et construit par Bouygues, ce complexe inauguré en 2016 est le fer de lance de la diplomatie d’influence russe en France, jouissant en outre du statut diplomatique.
Dans un conflit qui se joue autant sur le terrain militaire que sur celui de la diplomatie d’influence, la visibilité à l’étranger devient un enjeu. Consciente de la situation, Viktoriia Gulenko annonce plusieurs changements, dont des expositions hors les murs en partenariat avec des institutions françaises et européennes. À partir de mi-avril, le centre propose une exposition dans les jardins du Palais Royal « sur le thème du patrimoine ukrainien, avec le soutien de la délégation ukrainienne à l’Unesco et celui du Centre des monuments nationaux ». Elle mentionne une petite exposition d’affiches créées à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris par l’artiste Nikita Kravtsov avec des étudiants de différents pays, et un événement, le 3 mai, pour la Journée internationale de la presse, en collaboration avec l’Institut polonais de Paris. « Nous avons reçu un soutien très rapide des institutions polonaises, ainsi que du Gœthe Institut et de nombreux centres culturels européens », explique-t-elle. Le centre culturel cherche à enrichir son réseau et la directrice précise que la mairie de Paris et plusieurs autres mairies françaises ont manifesté un soutien actif, ainsi que l’Institut français et le ministère de la Culture.
Viktoriia Gulenko refuse pourtant de parler de guerre d’influence face à la Russie, précisant « qu’il ne s’agit pas de combattre la Russie dans le champ culturel, mais de montrer que la culture ukrainienne existe indépendamment de la Russie ». Un des arguments répétés par Vladimir Poutine est, en effet, l’absence de culture ukrainienne proprement dite. Viktoriia Gulenko affirme ainsi que « l’Ukraine est un pays avec des valeurs européennes, et une culture qui s’est développée depuis l’indépendance en 1991 ». Là où la Russie met en valeur son passé, l’Ukraine se positionne en pays moderne et pro-européen, privilégiant les collaborations entre artistes français et ukrainiens. Igor Ouvaroff va plus loin, estimant que « les artistes doivent se situer par rapport à la propagande, et c’est pour cela que nous avons fait une exposition sur les premiers jours de la guerre, pour montrer la société ukrainienne de l’intérieur ». Face à la guerre qui s’enlise, il reste déterminé : « Il va falloir se battre pour conserver nos soutiens sur la durée. »
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Le centre culturel ukrainien de Paris monte au front
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Abonnez-vous dès 1 €Centre culturel ukrainien
22, avenue de Messine
75008 Paris
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : Le centre culturel ukrainien de Paris s’étend hors les murs