RIO DE JANEIRO / BRÉSIL
Le 15 décembre prochain, il aurait eu 105 ans. Oscar Niemeyer est mort hier à l’hôpital Samaritano de Rio de Janeiro, au Brésil. Il y était hospitalisé depuis le début du mois pour une insuffisance rénale, aggravée depuis peu par des problèmes respiratoires.
Cette nuit, les messages individuels sur les réseaux sociaux ont précédé les hommages officiels. Depuis quelques heures sur Twitter, #RIPNiemeyer est le tag le plus partagé du Brésil. Le deuil national se prépare : Niemeyer, au-delà de la figure du grand architecte moderniste, possède au Brésil un statut exceptionnel. L’identité brésilienne moderne s’est comme nourrie, décennie après décennie, de sa carrière qui épouse un siècle d’histoire nationale.
Niemeyer naît en 1907, lors de la « vieille république » brésilienne. L’année du coup d’état de 1930, il entre aux Beaux-Arts de Rio. Au milieu des années 1930 il rejoint le studio d’architecture de Lucio Costa, principal urbaniste brésilien et futur maître d’œuvre de Brasilia à ses côtés. Il y fait en 1936 la rencontre fondamentale de sa carrière : Le Corbusier est convié à participer à la première commande publique authentiquement moderniste au Brésil, le ministère de l’éducation et de la santé, dans le centre de Rio. A l’occasion d’une collaboration de près de 10 ans, l’impact théorique et technique du Corbusier sur le jeune Niemeyer est immense. Niemeyer va travailler toute sa vie les pilotis, les toits-terrasses, le plan et la façade libre. Il y appose rapidement une obsession de la courbe, et une recherche sur les possibilités physiques du béton armé qui devient sa griffe personnelle. Niemeyer rapporte dans son autobiographie une critique du Corbusier dont il s’honore : « Oscar, vous avez les montagnes de Rio sous vos yeux. Vous faites du baroque en béton armé. Mais vous le faites très bien » (1).
Brasilia, et l’identité brésilienne
Niemeyer s’impose dans les années 1950 comme l’architecte de référence au Brésil. L’ensemble de Pampulha, près de Belo Horizonte (musée, casino, église, maison de la danse, club de sport…) est sa première signature globale, urbanistique et pluridisciplinaire. Pour l’habitat individuel, c’est la casa das canoas et de son célèbre rocher - autour duquel la maison est construite – qui assure son succès aux yeux du monde. On y découvre une synthèse de l’école de Chicago (la structure est un hommage à la maison sur la cascade de Frank Lloyd Wright) et de l’affirmation de l’identité brésilienne, avec le jardin courbe et foisonnant du paysagiste carioca Roberto Burle Marx.
C’est en 1957 que commence pour Niemeyer l’aventure matricielle qui fait de lui un architecte mondialement connu : la construction de Brasilia. Le centre-ville est conçu dans une unité formelle totale, selon le plan en forme d’avion dessiné par Lucio Costa : 6 étages dans les « ailes », pilotis et façades libres pour tous les quartiers d’habitations et de loisirs ; au centre, dans le « fuselage », les courbes monumentales orchestrent les bâtiments qui représentent le peuple et le pouvoir : l’esplanade des ministères reste, cinquante ans plus tard, une merveille moderne. Les « super-blocs » (notion qui rappelle « l’unité d’habitation » du Corbusier) abritent encore les fonctionnaires de l’état. Brasilia est l’unique ville au monde érigée au XXème siècle et classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Paulo César Garcez Marins, historien et professeur à l’université de São Paulo, écrit à ce sujet : Brasilia fait de Niemeyer, « au-delà de l’audace des formes architecturales et des calculs structurels nécessaires, un architecte à la chance unique dans l’histoire » : celui dont la théorie aura connu les moyens de s’exprimer à grande échelle, à partir du vide, pour créer une ville capitale, « dont la lumière continue d’éclairer l’architecte ».
L’exil, le retour, le Pritzker
La dictature militaire qui s’installe en 1964 le fait quitter le pays en pleine gloire. A l’étranger et notamment en France, il essaime alors ses immenses courbes de béton (Le Volcan, Maison de la culture du Havre, l’Université de Constantine, en Algérie, ou le siège du parti communiste français, place du colonel Fabien à Paris). C’est également à cette période que Niemeyer réalise un travail de design peu connu du grand public, et récemment présenté à la galerie Downtown, à Paris. Son mobilier fait appel à la même sensibilité brésilienne, au même usage du temps, essentiel au songe, qu’il imposait par ses courbes aux usagers de ses bâtiments.
La démocratie réinstallée en 1985 lui permet de revenir à Rio, sur la promenade de Copacabana qu’il ne quittera plus. Le Pritzker Price en fait son lauréat 1988. Cette consécration suprême, à 80 ans, fige peut-être sa légendaire innovation: ses œuvres les plus récentes (le Musée d’Art Contemporain de Rio-Niteroi en 1996, le Mémorial de l’Amérique Latine à Sao Paulo durant les années 1990) sont dans la droite ligne de ses travaux précédents. Mais ils plaisent, adoubant la capacité unique de Niemeyer à personnifier la ville brésilienne moderne. Après plus de 600 projets réalisés dans le monde, Niemeyer laisse une profession orpheline de son doyen, et une ville de Rio étonnement calme, cette nuit comme si les Cariocas voulaient suivre les recommandations de leur présidente Dilma Roussef : « Le Brésil vient de perdre un de ses génies. Il est l'heure de pleurer sa mort et de saluer la vie ».
(1) Niemeyer, Oscar Niemeyer, Lausanne, Alphabet, 1977, p 217
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Le Brésil orphelin d’Oscar Niemeyer
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Abonnez-vous dès 1 €Oscar Niemeyer discutant du projet de l'Onu en 1947- Photo Frank Scherschel - source www.globo.com