BRASÍLIA / BRÉSIL
L'architecture particulière de la capitale brésilienne serait pour un chercheur américain peu propice aux émeutes.
Le 8 janvier, les partisans de l'ancien président Jair Bolsonaro ont franchi les barrages de police et pris d'assaut le palais présidentiel, le Congrès et la Cour suprême du Brésil à Brasília, la capitale fédérale du pays. Ils ont vandalisé les bâtiments et détruit de nombreuses œuvres d'art.
L'émeute est un écho de l'attaque, par des partisans de l'ancien président Donald Trump, du Capitole américain à Washington le 6 janvier 2021. Un facteur particulier distingue cependant ces deux événements : leurs décors urbains radicalement différents. À Washington, des foules ont pris d’assaut un bâtiment néoclassique du XVIIIe siècle, alors que le site gouvernemental de Brasília est une création moderniste inaugurée en 1960.
Selon Adrian Anagnost, professeur d'histoire de l'art à l'université de Tulane de La Nouvelle-Orléans (Louisiane), spécialiste du modernisme brésilien, le plan de la capitale fédérale du Brésil a peut-être joué un rôle dans le déroulement des événements. Par exemple, alors que les manifestants américains ont traversé une longue étendue d'herbe pour atteindre le Capitole, l'Axe monumental de Brasília, l’Eixo Monumental, n'est pas, contrairement au National Mall de Washington, une voie touristique praticable à pied, parsemé de musées gratuits. C’est un paysage quasi-désert, fait de terre rouge, d'herbes folles et d'énormes routes interdites aux piétons. Ses espaces vides sont si vastes qu’ils pourraient avoir tempéré l'énergie des foules.
Adrian Anagnost explique sa thèse en revenant sur l’histoire de la conception de la ville. Comme Washington, Brasília est une ville récente, une capitale nationale dont l'emplacement a été choisi comme alternative à Rio de Janeiro. Conçue par l'urbaniste Lúcio Costa et l'architecte Oscar Niemeyer, sous l'impulsion du président Juscelino Kubitschek, Brasília s'organise autour de l'énorme Axe monumental, qui aligne les bâtiments gouvernementaux lesquels sont coupés en deux par des ailes destinées aux logements et aux services. Dès le début, les bâtisseurs de Brasília ont envisagé la ville comme un projet mixte avec une certaine dose d’utopie. Lúcio Costa a disposé d'énormes superquadras (pâtés de maisons) de logements qui, espérait-il, « neutraliseraient » la différenciation sociale.
Parallèlement, les courbes en béton des bâtiments de Niemeyer, comme la cathédrale de Brasília et le palais Planalto, ont été pensées pour offrir aux habitants des édifices inspirants. Ces proportions grandioses et ces espaces ouverts promeuvent implicitement l’idée d’une ville sans classes sociales, puisque tout le monde a accès aux mêmes édifices.
Malheureusement, l’utopie a eu du mal à résister au temps. Les défauts de Brasília sont connus : sa population a largement dépassé ce que ses concepteurs avaient imaginé et la plupart des habitants vivent dans des lotissements satellites qui s'étendent loin du quartier central de Lúcio Costa. De nombreux politiciens font même la navette en avion, participant de la déshumanisation du centre. Le président Lula n'était pas à Brasília au moment de l'émeute, pas plus que les législateurs du Congrès national du Brésil, en vacances : les manifestants ont attaqué des bâtiments pour la plupart vides.
Contrairement aux formes complexes du Capitole américain, les façades de Niemeyer offrent de grandes façades de béton et de verre, que les manifestants se sont empressés de briser. Mais la facilité avec laquelle les assaillants ont pu pénétrer dans l'édifice a peut-être émoussé leur énergie. N'ayant que peu de cibles humaines pour diriger leurs protestations, ils ont erré sans but. Alors que les images tournées à Washington le 6 janvier montraient des corps qui se massaient furieusement devant des entrées étroites pour se frayer un chemin dans le bâtiment, les manifestants brésiliens étaient alignés le long de la rampe de Niemeyer qui monte vers le toit du bâtiment du Congrès brésilien.
L'Axe monumental a souvent servi de toile de fond à des manifestations, comme celles des infirmières pendant le Covid ou celle des groupes indigènes réclamant une protection de leurs terres. Mais ses vastes proportions limitent l’intensité des rassemblements. Cela s’est particulièrement vérifié pendant les 21 ans de la dictature militaire, lorsque l'immensité déshumanisée de la ville rendait difficile toute forme d’organisation en son sein.
Si l'œuvre de Niemeyer a souvent été décrite en termes de courbes séduisantes, sa vision de l'avenir de Brasília a, pour Adrian Anagnost, quelque chose d'aliénant. Mais le 8 janvier, ce futur angoissant a peut-être contribué à sauver la situation.
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L’architecture de Niemeyer pourrait avoir émoussé l’ardeur des émeutiers à Brasília
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