À l’occasion de son exposition monographique à Tours, l’artiste multiculturelle explique la place centrale des femmes dans son œuvre pour mieux souligner leur mise en retrait dans la société et l’histoire de l’art.
Née au Caire, diplômée de la Villa Arson, à Nice, Ghada Amer vit et travaille à New York, où elle s’est imposée comme une figure féministe de l’art contemporain. Début juin, elle investit les espaces du Centre de création contemporaine Olivier Debré (CCC OD), à Tours, qui lui consacre sa deuxième grande exposition monographique en France, après celle organisée en 2000. On y retrouve une sélection de ses fameuses toiles brodées.
À des photographies pornographiques de femmes vues par des hommes, que j’ai découpées dans des magazines. Ces photos parlent d’une femme « idéale », de race blanche, devenue un canon de beauté, un corps à la fois érotisé et très normatif. Ce modèle est aussi convenu que celui des princesses de contes de fées, ce qui m’amuse lorsque j’associe parfois ces deux registres ; Cendrillon est une sorte de playmate. Mon travail est une critique du regard posé sur les femmes : dans la publicité, on les met en scène pour vendre des voitures, un procédé que je trouve encore plus obscène que l’industrie pornographique.
Je me considère comme une artiste. Point. Il s’avère que je ne suis pas un homme et que j’ai payé pour le savoir. Cela n’a pas été facile d’être une femme, qui plus est arabe, dans le monde de l’art des années 1990 : on est moins collectionnée par les institutions, par conséquent moins montrée dans les musées, donc on vend à des prix inférieurs que ceux des hommes. À notoriété égale, c’est toujours vrai aujourd’hui pour les artistes de ma génération : c’est plus simple d’être un mâle, blanc et anglo-saxon. Le marché est dominé par un boy’s club. Donc oui, je suis féministe dans le sens où je défends les droits de l’être humain de genre féminin et des artistes femmes qui sont pénalisées dans leur carrière.
C’est une question délicate : je n’ai pas envie de promouvoir un travail uniquement parce qu’il est signé par une femme. Mais les quotas permettent de rompre avec la référence masculine systématique.
La culture américaine est marquée par la religion et par un rapport très puritain au corps et au plaisir. Il arrive que mes toiles soient accompagnées de mises en garde dans certains musées, frappées quasiment par la même censure qu’elles le seraient si j’essayais de les montrer dans un pays arabe. On oublie trop souvent que les États-Unis sont rigoureusement protestants ; la devise « In God We Trust » [en français « Nous avons foi en Dieu »] apparaît jusque sur leurs billets de banque. Deux séries de toiles sont présentées dans l’exposition de la galerie Cheim & Read : dans la première, les images de femmes sont évidentes ; dans la seconde, « White Girls », le motif est quasiment imperceptible. Car ce qui m’intéresse avant tout est le rapport critique à la peinture. Mes tableaux parlent à la fois de la représentation des femmes et de leur absence dans l’histoire de l’art. C’est pour cela que j’ai choisi de faire des tableaux brodés. En signe de protestation. La peinture est un médium masculin !
Lorsque j’étais élève à la Villa Arson, à Nice, dans les années 1980, les filles étaient interdites de cours de peinture. Mais si ! Seuls les garçons apprenaient à peindre. C’est à cette époque que j’ai commencé à chercher des référents féminins dans les manuels d’art et que je me suis aperçue qu’il n’y en avait pas, ou très peu.
Les femmes se battent. Et elles ont accès à l’argent. Leur condition s’améliore, plus ou moins, dans beaucoup de régions du monde. Mais moi je milite pour une égalité absolue, on ne peut accepter aucune relativité dans ce domaine.
Oui, à Tours, dans la nef du CCC OD, je vais montrer un Cactus painting, en référence à Homage to the Square de Josef Albers. C’est une composition géométrique constituée de différentes espèces de cactus dont certains, ont, c’est vrai, des formes clairement phalliques. À Melle je vais refaire une Love Grave une sculpture du mot « love » enterrée six pieds sous terre, comme un tombeau ouvert.
Vous présentez également un travail de sculpture ?
Je vais montrer des prototypes de sculptures en métal, de petite taille, car je n’ai pas de goût pour le monumental. Il y a une tendance à la surenchère dans ce domaine. Surtout chez les hommes. Non ?
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Ghada Amer, artiste : « En art, c’est plus simple d’être un mâle, blanc et anglo-saxon »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°500 du 27 avril 2018, avec le titre suivant : Ghada Amer, artiste : « En art, c’est plus simple d’être un mâle, blanc et anglo-saxon »