AVIGNON
Dominant Avignon, le Rocher des Doms accueille à partir du mois de juin quatre pavillons de silicone réalisés par l’un des plus grands designers italiens. Leurs parois translucides, souples au toucher, permettent à la lumière naturelle de pénétrer. Explication par Gaetano Pesce lui-même.
Dans le cadre de l’exposition « La beauté » à Avignon, je présente des pavillons sur le rocher des Doms, qui sont destinés à demeurer là après la fin de l’événement. Immédiatement j’ai pensé à la beauté du futur puisque nous sommes en l’an 2000, et le futur c’est le matériau que j’ai choisi, le silicone, qui n’a encore jamais été utilisé pour construire entièrement un bâtiment. Pour moi, l’avenir c’est également la femme. Je considère l’architecture comme une philosophie qui est là pour questionner à la fois les techniques et la culture de l’époque. Or, les valeurs actuelles sont liées à la féminité. Le passé a toujours donné de l’importance à la façon de penser masculine plutôt que féminine, jugée minoritaire. Les caractères masculins sont la rigidité, l’opacité, la dureté, le dogmatisme, la géométrie. Bref le monolithisme. Ce sont pour moi des caractères du passé. Aujourd’hui il faut capter des expressions comme le feeling, la souplesse, la translucidité (porteuse de sensations), la couleur, le mouvement, toutes caractéristiques féminines et du futur. L’architecture la plus avancée doit admettre la ligne non rectiligne, la pluridisciplinarité, le mélange. Mes constructions en silicone seront donc porteuses de joie, de sensations faisant appel à l’inconscient. Le silicone permet cette souplesse, cette chaleur, ces tonalités qui changent selon les heures de la journée grâce à la translucidité... Un matériau capable d’attirer, de séduire. Je veux montrer qu’après cinq mille ans d’architecture rigide, on peut entrer dans le nouveau millénaire avec une architecture souple. Ces petits pavillons (six mètres sur cinq et trois mètres de hauteur avec des murs de dix centimètres d’épaisseur) sont des parallélépipèdes. Rien de plus simple comme forme. C’est le matériau qui est révolutionnaire. Il permet des espaces dont on peut caresser les murs, les pousser, les faire bouger légèrement, éprouver leur mollesse et leur robustesse en même temps. On pourra dans le futur élargir l’usage de ce matériau, par exemple à la construction d’architectures élastiques dans des zones à tremblement de terre. La nuit, elles seront entièrement lumineuses comme de grosses lampes illuminant le parc. Le silicone a quelque chose de magique. Il vient du silice qui est, en quelque sorte, un très vieux matériau. Pensez aux silex ! Le plus dur et résistant de tous, plus encore que la pierre. La cathédrale Notre Dame est encore debout grâce à la silice qui aide les pierres à rester soudées, sinon elle se serait déjà écroulée. Le silicone est une matière plastique de synthèse à base de silice. Elle est tellement résistante et élastique que c’est elle qu’on utilise pour coller ensemble les plaques de verre des gratte-ciel ! De plus, elle est ininflammable et les ultraviolets n’ont aucune prise sur elle. Elle est donc d’une résistance totale et n’a besoin d’aucune manutention, ne se salit pas, ne souffre pas des intempéries, ne jaunit pas, bref ne bouge pas. C’est une matière tellement formidable que je veux l’exhiber telle quelle, brute, naturelle, incolore.
Je traite chaque pavillon de façon différente. Dans l’espace « restaurant », la cuisine ressemble à un gros plat de spaghettis. J’obtiens ce résultat par l’extrusion du silicone, exactement comme j’avais fait pour certains vases de la collection Fish Design. L’espace des gardiens, lui, est comme une énorme pierre, réalisé avec un mélange de polyuréthanne très rigide. À côté du restaurant, l’espace destiné aux déchets est formé de murs faits de mélanges de débris d’Avignon agglomérés par une résine. Les parois de l’espace-boutique sont mal dégrossies, rugueuses à l’extérieur et lisses à l’intérieur pour mettre en valeur les « souvenirs » en vente. Cet aspect « non-fini » est capital.
Si la beauté s’incarne pour moi dans le futur et dans la femme, elle est aussi dans le « mal fait », le mal fini. La beauté de la non-beauté. Je donne une grande valeur à l’imperfection, à l’erreur, au hasard. La beauté n’est plus la recherche de la perfection mais de l’imperfection, génératrice de processus nouveaux, de techniques nouvelles, d’expérimentations, de risques, de recherches de coûts encore plus bas... La seule chose qui compte, c’est innover. La non-beauté est fondamentalement la beauté de demain. Ce travail pour Avignon est en quelque sorte un manifeste.
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Gaetano Pesce entre résine et fibres de verre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°517 du 1 juin 2000, avec le titre suivant : Gaetano Pesce