De Paris à Tokyo en passant par Londres ou Milan, état des lieux de l’intérêt croissant que les musées portent au design dans leurs espaces permanents.
Quelle place le design occupe-t-il au musée ? Depuis quand intéresse-t-il les institutions publiques en tant qu’objet de collection ? Quels sont les établissements les plus à la pointe dans le domaine ? En France, si la discipline est régulièrement à l’affiche des expositions temporaires, et ce depuis une trentaine d’années, les institutions qui en ont fait une spécialité sont plutôt rares. Difficile à définir précisément, le design est souvent incorporé à un département, ou ensemble de départements, consacré de manière plus générale à l’histoire des « arts décoratifs ».
Institution de référence en la matière, les Arts décoratifs créés il y a un siècle et demi, à l’initiative de collectionneurs et installé depuis 1905 dans une aile du palais du Louvre, à Paris, présentent ainsi de nombreuses pièces de design – issues d’une collection qui compte au total près de 150 000 œuvres – dans les salles consacrées aux Art nouveau et Art déco et aux époques moderne et contemporaine. L’institution met régulièrement à l’honneur des designers en leur donnant carte blanche (comme, actuellement, Maarten Baas) et organise de grandes expositions thématiques à partir de ses collections à l’instar, début 2010, de « Mobi Boom, l’explosion du design en France 1945-1975 ».
L’importance du Fnac
Lorsqu’il franchit les portes du musée, le design est analysé non comme un art mais comme un phénomène dont il faut décortiquer le processus de création (du dessin à l’objet industriel en passant par le prototype), et ce, en le replaçant dans un contexte socio-économique tout en tenant compte des enjeux esthétiques de l’époque. C’est ce que s’attache à faire le Musée national d’art moderne-Centre de création industrielle, à Paris. En 1989, l’institution organisait l’exposition « Culture de l’objet, objet de culture », préfigurant la nouvelle collection de design et d’architecture du Centre Pompidou. L’ensemble compte à ce jour plus de 3 600 pièces, françaises et internationales, avec près de 400 designers représentés (de Charlotte Perriand à Philippe Starck en passant par Jean Prouvé ou Ettore Sottsass).
Autre institution française accordant une large place au design, le Musée d’art moderne de Saint-Étienne Métropole, émanation du Musée d’art et d’industrie, a initié sa collection dans les années 1980. Près de 1 600 objets y sont aujourd’hui inventoriés. Le fonds se veut représentatif de l’histoire du design, de la fin du XIXe siècle à nos jours, et des différents types de productions (mobilier, électroménager, audiovisuel…). Le musée a été, pour la ville, le point de départ d’une vaste initiative de valorisation du design qui s’est concrétisée, en 2009, avec l’inauguration de la Cité du design.
Le Centre national des arts plastiques/Fonds national d’art contemporain (Fnac) joue un rôle non négligeable pour la présence du design dans les musées. En 1982, une commission spéciale a été créée en son sein pour acquérir des pièces d’« arts décoratifs, métiers d’art et création industrielle ». L’établissement public, opérateur du ministère de la Culture, a acquis plus de 7 000 objets de plus de 900 designers. Certaines pièces ont été déposées dans les musées ou prêtées pour alimenter des expositions.
Confusion des genres
Ailleurs en régions, le design gagne peu à peu ses lettres de noblesse pour s’installer dans les espaces permanents des musées et non plus seulement à l’occasion d’événements temporaires spécifiques. Le Musée des arts décoratifs de Bordeaux a ainsi renouvelé, en 2010, son parcours permanent pour y faire la part belle au design, avec les créations du groupe Memphis (1981-1988) et les grandes tendances du XXe et du début du XXIe siècle. Plus récemment encore, à Riom (Puy-de-Dôme), le Musée Mandet, dans le cadre de travaux de rénovation, a inauguré en janvier 2011 un nouveau département consacré aux arts décoratifs contemporains. Sa collection compte une centaine de pièces, parmi lesquelles des dépôts du Fnac. Tandis que le design et l’art contemporain flirtent aujourd’hui parfois jusqu’à la confusion des genres, les musées regardent désormais d’un autre œil la discipline. Mais il est difficile d’enrichir les collections à l’heure où les prix du marché grimpent en flèche, faisant s’éloigner certaines pièces de cette volonté première de démocratisation par la production industrielle qui le caractérisait dans les années 1950.
Sur la scène internationale, le design est représenté de manière très hétérogène selon les établissements. Démarrée en 1850, l’une des plus anciennes collections de design est celle du Victoria and Albert Museum à Londres. Déployé sur 50 000 m2, le musée consacré aux arts décoratifs et objets d’art compte plus de 4 millions de pièces, de l’Antiquité à nos jours. Autre lieu londonien qui consacre ses cimaises à la discipline, le Design Museum, situé au cœur de la ville, a été fondé en 1989 pour exposer le design contemporain – le design industriel et graphique – aux côtés de la mode et de l’architecture. Le Museum of Modern Art de New York a, depuis les années 1920, intégré le design industriel à sa collection dans un souci de dialogue constant avec l’art moderne. Sa collection compte plus de 150 000 objets d’art dont 28 000 pièces issues de la section Architecture et design, présentée au 3e étage. Lieu de référence au statut atypique, le Vitra Design Museum a été fondé par l’entreprise éponyme, à Weil am Rhein, en Allemagne. Présentée par roulement dans un bâtiment signé Frank Gehry, la collection a démarré dans les années 1980. En 1989, elle comptait quelque 1 000 objets et aujourd’hui, plus de 6 000, allant du milieu du XIXe siècle à nos jours. Dotée d’une riche bibliothèque et d’imposantes archives, elle organise pléthore d’expositions depuis une vingtaine d’années. Il faut encore citer le Musée des arts appliqués (MAK), fondé en 1871 à Vienne, ville incontournable en la matière, où Michael Thonet élabora sa célébrissime chaise « bistro ».
Avec les années 2000, le design a gagné du terrain dans l’univers muséal. Le Mudac, Musée de design et d’arts appliqués contemporains, à Lausanne, se veut une plateforme entre design, arts appliqués et art contemporain. Inauguré en juin 2000, succédant à l’ancien Musée des arts décoratifs de la ville, il organise six expositions temporaires chaque année. En 2000 toujours, le Musée des beaux-arts de Montréal (fort d’une section Arts décoratifs créée en 1916) recevait en don l’imposante collection de design Liliane et David M. Stewart (fondateurs du musée). Pour la mettre en valeur, l’établissement a inauguré, en mai 2001, un pavillon où sont exposés 700 objets couvrant six siècles d’art décoratifs et de design, puis, en 2009, le parcours s’est encore enrichi suite à un nouveau don de 900 pièces de Mme Stewart. Le musée compte aujourd’hui plus de 5 000 objets.
Inaugurée en 2002, la Pinacothèque d’art moderne de Munich comprend un département Design aux côtés des sections Peintures, Arts graphiques et Architecture. Sur plusieurs niveaux, les pièces y sont présentées parfois de manière spectaculaire avec des voitures et motos suspendues et une vitrine-ascenseur qui tourne en continu. En 2007, après des années d’atermoiement, Milan, pourtant sacrée capitale du design, a enfin inauguré son musée du design dans le cadre de la Triennale de Milan fondée en 1933. En 2008, le 21_21 Design Sight, conçu à Tokyo par Issey Miyake, ouvrait ses portes. L’idée de créer au Japon un musée entièrement consacré au design avait vu le jour dans les années 1980. Conçu comme un lieu de réflexion ouvert, le lieu a pour ambition de donner la parole aux designers, artisans, créateurs ou chercheurs, et de révéler de nouveaux talents ou les innovations réalisées dans le domaine. Prochainement, début 2012, c’est le Museum Boijmans Van Beuningen, aux Pays-Bas, qui fera la part belle au design avec trois expositions et l’inauguration de nouveaux espaces permanents. En tous lieux de la planète, l’histoire du design avance très vite.
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Design : quelle place dans les musées ?
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Design : quelle place dans les musées ?