Le Musée des arts décoratifs, à Paris, montre les travaux de commande du graphiste entre 2001 et 2009. Humour et ironie garantis.
À 49 ans, l’Autrichien Stefan Sagmeister est l’un des graphistes les plus talentueux de la planète. Pas étonnant si moult groupes industriels (Levi’s, BMW, Zumtobel…) ou de rock (Rolling Stones, Aerosmith, Lou Reed…) font appel à lui pour réaliser rapports annuels et autres pochettes de disque. Diplômé de l’École des arts appliqués de Vienne (Autriche) et du Pratt Institute de New York, Stefan Sagmeister a ouvert sa propre agence à New York, en 1993 : Sagmeister Inc. Dans l’exposition présentée au Musée des arts décoratifs, à Paris, le graphiste a choisi de ne montrer que des travaux de commande. Sous-entendu : pas de créations libres (dommage !). Quatre sections aux titres non dénués d’ironie composent donc ce parcours qui évoque la période 2001-2009 : « Selling Culture » (Vendre la culture), « Selling Corporations » (Vendre des entreprises), « Selling my Friends » (Vendre mes amis) et « Selling Myself » (Me vendre).
Stefan Sagmeister est d’abord un homme de lettres. Il jongle avec elles jusqu’à plus soif, s’amuse à en inventer de plus insolites possibles. Pour une présentation à la galerie new-yorkaise Deitch Projects, il déploie une ahurissante « mosaïque » constituée de 10 000 bananes vertes et jaunes. Les vertes composent une sentence déclamatoire – « Self-Confidence produces fine Results » (Une confiance en soi génère de bons résultats). Au fur et à mesure de l’exposition, la déperdition est à l’œuvre : les bananes mûrissent et le slogan, fatalement, disparaît.
Affiche dérangeante
Des travaux de Sagmeister sourdent beaucoup d’humour et un plaisir certain à surprendre. Pour un catalogue de la styliste Anni Kuan, il applique durant cinq minutes un fer à repasser chaud telle une presse typographique, laissant derechef une empreinte sur les seize pages de l’ouvrage. Pour un opus retraçant les activités culturelles de la firme bavaroise BMW, il conçoit un livre à roulettes qui se déplace comme un jouet télécommandé.
Parfois, pour faire passer le message, le graphiste n’hésite pas à donner de sa personne, usant de son propre corps. Pour l’affiche d’une exposition monographique au Japon, il parodie le classique comparatif « avant/après ». Sur l’image du haut, on le voit en slip assis sur un canapé. Son poids : 81 kg. L’image du dessous le représente dans la même position, mais une semaine plus tard, avec 11 kg de plus et, étalés au pied du canapé, tous les emballages des produits qu’il a ingurgités pendant ce laps de temps. Mais l’affiche la plus dérangeante est à n’en point douter celle de son intervention à la conférence annuelle de l’Aiga (American Institute of Graphic Arts), à Detroit, en 1999, pour laquelle il a demandé à son assistant de graver le texte directement sur la peau au… cutter. Pour le natif de Bregenz, cette performance provocante et irritante n’est, à la réflexion, pas si éloignée de celles de ses compatriotes Actionnistes viennois.
Anecdotes hilarantes
Lorsqu’il quitte la 2D pour s’exprimer en volume, Sagmeister excelle également, en particulier avec ses livres d’artistes : la Japonaise Mariko Mori, le Chinois Cai Guo-Quiang, feu l’Allemand Oubey… Sur le couvercle du sophistiqué coffret qui fait office de catalogue à une exposition de Douglas Gordon au Musée Guggenheim de Berlin, les lettres du titre ne sont dessinées qu’à moitié. Seul un petit miroir astucieusement placé permet de le lire en son entier : The Vanity of Allegory.
L’exposition propose plusieurs niveaux de lecture et il ne faut en manquer aucun. En particulier, les cartels sur lesquels Sagmeister distille quelques anecdotes hilarantes de sa vie personnelle, comme lorsqu’il a décroché son premier Grammy Award (la plus grande récompense, aux États-Unis, dans le domaine de la musique), dans la catégorie Packaging – autrement dit « pochette de disque » –, pour le coffret de l’album Once in a Lifetime des Talking Heads. Lors de la soirée qui suivit la remise des prix, tout le monde le regardait avec un sourire en coin, le mot package en anglais, signifiant, entre autres… sexe masculin. Nous sommes à mille lieues du cartel technique et ennuyeux.
Commissariat : Stefan Sagmeister ; Chantal Prod’Hom, directrice du Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) de Lausanne ; Amélie Gastaut, conservatrice de la collection de publicité au Musée des arts décoratifs de Paris
Scénographie : Big-Game (Suisse)
Jusqu’au 19 février 2012, Musée des arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris, tél. 01 44 55 57 50, www.lesartsdecoratifs.fr, tlj sauf lundi 11h-18h, jeudi jusqu’à 21h
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Dans la vie de Stefan Sagmeister
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €- L’universalité selon Szekely
- Emilia Philippot : « Une collection singulière »
- Quelle place dans les musées ?
- Pause-café
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°358 du 2 décembre 2011, avec le titre suivant : Dans la vie de Stefan Sagmeister