PARIS - Des œuvres conçues pour être détruites. Ainsi pourrait-on résumer les pièces exposées aujourd’hui au Musée de la chasse et de la nature, à Paris, ces cibles peintes sur lesquelles les membres des sociétés de tir d’Allemagne et d’Europe centrale mettaient, dès le XVIIe siècle, leur talent à exécution lors de vastes concours.
Les gagnants repartaient avec les cibles criblées de balles sur lesquelles on peut encore apercevoir le décor soigné dont elles avaient été ornées : des scènes de chasse et scènes de genre, des scènes mythologiques et érotiques, parfois d’un goût douteux. « Curieusement, l’image vouée à la mutilation est rarement repoussante. On ne tire pas sur la mort ou sur le diable mais sur ce que l’on désire », note Claude d’Anthenaise, directeur de l’institution et commissaire de l’exposition. En témoignent Le Tir de Cupidon (1830), une cible représentant un arbre dont les fruits ne sont autres que les têtes de personnages féminins, ou cette cible de 1804 figurant une jeune femme en robe blanche caressant son petit chat, accompagnée d’une citation grivoise.
Dans le cadre de la fin de la saison culturelle dédiée à la Croatie (« Croatie, la voici »), une cinquantaine de ces pièces historiques ont fait le déplacement depuis les musées croates pour rejoindre Paris, où elles sont confrontées à des œuvres d’art moderne et contemporain sur le thème de la cible. Certains artistes en offrent une traduction littérale en utilisant son motif même, à l’exemple de Jasper Johns avec Target with your Faces (1955), dans laquelle la surface plane de la cible est surmontée de demi-visages de cire.
D’autres ont criblé d’impacts leurs œuvres, à l’instar de Lucio Fontana avec Concetto spaziale (vers 1966-1968), une huile sur toile et bois peint perforée. Ailleurs, le tir est utilisé en tant que mode de création, ainsi chez Niki de Saint Phalle dont le visage de son Portrait of my lover n’est autre qu’une cible sur laquelle des fléchettes ont été lancées. Il y a ceux, enfin, qui évoquent la figure du « corps cible », animal ou humain, que nous décrit Claude d’Anthenaise, faisant référence à l’art comme instrument de capture. Ainsi de Mark Dion avec une carte figurant la silhouette d’un ours, perforée à l’occasion de la performance The Shooting Gallery (2010) ou de la Biche sacrifiée par Arno Kramer. Philippe Perrin signe la fin de cette troublante partie de chasse avec Kill me (1993), où la cible n’est autre que l’artiste lui-même.
Jusqu’au 31 mars, Musée de la chasse et de la nature, hôtel de Mongelas, 62, rue des Archives, 75003 Paris, tél. 01 53 01 92 40, tlj sauf lundi, 11h-18h et jusqu’à 21h30 le mercredi.
Publication, Cibles, Annie Le brun et Gilbert Titeux, , éd. Le Promeneur, 140 p., 30 €.
Voir la fiche de l'exposition : Cibles
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Abonnez-vous dès 1 €Arno Kramer, Biche, 2012, Musée de la chasse et de la nature, Paris. © Photo : Sylvie Durand.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°383 du 18 janvier 2013, avec le titre suivant : Dans le mille