BELGIQUE
Si la Belgique est souvent évoquée pour le dynamisme de ses collectionneurs, elle demeure également une terre foisonnante d’artistes. Nous avons posé notre regard sur dix artistes à l’avenir prometteur. Nés en Belgique et/ou ayant élu ce pays comme lieu de résidence et de travail, ces jeunes artistes commencent à profiter d’une belle visibilité.
Née en 1986 à Brasschaat. Vit et travaille à Gand.
Formée à l’illustration à l’Académie LUCA de Gand, Hannelore Van Dijck s’est fait remarquer pour son travail au fusain sur papier et in situ. Ses dessins minutieux explorent les surfaces en jouant sur le sentiment de distance et de proximité, oscillant entre abstraction et réalité, entre vues d’ensemble et plans rapprochés. Recouvrant tous les murs ou parfois le sol ou le plafond, ses interventions in situ, qui constituent aujourd’hui la colonne vertébrale de son travail, apportent au lieu investi une nouvelle « peau », fragile, charbonneuse. Elle est ainsi intervenue dans différentes institutions, comme le Drawing Centre de Diepenheim (Pays-Bas) ou le Musée Kunsthaus NRW d’Aix-la-Chapelle (Allemagne). Si certaines propriétés de l’espace sont mises en évidence, d’autres sont au contraire cachées. La frontière entre le dessin et le spectateur se brouille. Ce dernier est attiré dans l’image et invité à faire une nouvelle expérience de l’espace. Lorsque la représentation épouse le lieu physique investi, l’effet de trompe-l’œil ne vise pas tant à tordre le cou à la perspective qu’à nous faire pénétrer dans un nouvel espace où rêve et réalité se confondent. Hannelore Van Dijck a été invitée en résidence au Mac de Lyon au printemps dernier dans le cadre de l’exposition évolutive « Storytelling ». En résidence actuellement au Flacc (Gand), elle prépare une nouvelle série d’œuvres.
Née en 1989 à Paris. Vit et travaille à Bruxelles.
Née en France, Léa Belooussovitch a fait ses études de dessin à La cambre, à Bruxelles, où elle vit et travaille à présent. Son œuvre est tout entière construite autour de dessins chamarrés réalisés à partir de photographies d’actualité. Trouvées dans les journaux ou sur Internet, ces images, qui illustrent souvent des faits divers tragiques (des attentats, des fusillades…), sont sélectionnées par l’artiste pour leur extrême violence et leur voyeurisme. À travers un processus de décantation et une opération de recadrage, elle retranscrit l’événement photographié à l’aide de crayons de couleur sur des feuilles de feutre blanc. La douceur des images produites, leur aspect duveteux, crée un étrange contraste avec la violence symbolique ou physique à l’œuvre dans l’image initiale. « Abreuvée et saturée d’images de plus en plus intrusives, je tente de faire un pas de côté pour réfléchir à la manière dont ces images nous parviennent », explique l’artiste qui tente de renouveler notre regard et de saper nos pulsions voyeuristes. Qu’elle reproduise sur du velours des visages honteux se cachant à la sortie d’un procès (série de Perp Walk, en 2019) ou qu’elle réécrive au stylo à bille, lettre par lettre, les derniers mots de condamnés à mort de l’État du Texas (séries des Executed Offenders), elle redonne une dignité aux êtres humiliés comme pour nettoyer l’humanité de toutes ses horreurs, dans une sorte de résilience des images.
Né en 1990 à Lommel. Vit et travaille entre Bruxelles et Amsterdam.
Nous avons pu découvrir le travail de Kasper Bosmans dans l’exposition que la Fondation Cartier a consacrée aux jeunes artistes en Europe, au printemps dernier. Deux expositions en 2016 au Smak de Gand et à Witte de With de Rotterdam ont également marqué son actualité récente. Passionné par les petites histoires qui traversent la Grande Histoire, il crée des installations et des sculptures dans lesquelles passé et présent s’entremêlent. Traditions folkloriques, légendes et anecdotes historiques touchant à des questionnements liés au pouvoir, à la transmission, à l’écologie, aux migrations, nourrissent ses investigations et son imaginaire. Il assemble diverses références et symboles pour les faire résonner avec les enjeux politiques présents. Ainsi propose-t-il de nouveaux modes de lecture de l’histoire du pouvoir et du savoir. Depuis 2013, il réalise en parallèle de ses installations une série de peintures figuratives aux couleurs acidulées sur des panneaux de bois de format toujours équivalent (des Legend Paintings) qui forment autant de rébus à déchiffrer. Il a fait partie l’an passé des artistes sélectionnés pour la 5e édition du Future Generation Art Prize du Pinchuk Art Centre à Kiev.
Née en 1982 à Zagreb (Croatie). Vit et travaille à Bruxelles.
Formée à la photographie documentaire à l’Académie royale des beaux-arts d’Anvers, Hana Miletic explore les réalités socio-économiques visibles dans l’espace public à travers des détails qui font signe vers des situations de manque et de négligence. Son œuvre se déploie dans ses photographies, mais aussi dans des œuvres textiles, des performances, des textes… Depuis 2015, elle est active dans un atelier de tissage communautaire à Bruxelles, prolongeant une tradition dont elle a été témoin dans son enfance passée en ex-Yousgoslavie. Très vite, elle s’est mise à retranscrire ses photographies en pièces tissées, découvrant des similitudes de reproduction entre les deux techniques, et poussant plus loin encore ses réflexions sur la question du soin (le care) sous-estimée dans nos sociétés patriarcales. Les projets collaboratifs occupent une place importante dans son travail. En 2017, elle a développé avec les femmes de Globe Aroma, un centre de création pour les nouveaux arrivants à Bruxelles, un projet au sein duquel se mêlaient une réflexion sur la langue et un travail de feutrage de laine. Les pièces produites lors de ce projet ont été présentées dans l’exposition personnelle que lui a consacrée le Wiels en 2018.
Né en 1984 à Liège. Vit et travaille à Barvaux.
Jeune artiste liégeois de 35 ans formé à l’Académie royale des beaux-arts de Liège, Charles-Henry Sommelette est l’auteur de grands tableaux au fusain, noir et blanc, et de petits tableaux à l’huile en couleurs avec une dominante verte. Silencieuses et dénuées de toute présence humaine, ses œuvres inspirées par son quotidien présentent des morceaux de paysages minutieusement cadrés – des morceaux de paysages un peu à l’écart comme le sont les jardins de quartiers résidentiels ou encore les sous-bois. Les éléments présents à l’instar d’une piscine, d’un tuyau d’arrosage, d’un toboggan sont générateurs de fiction. Un mystère plane dans ces lieux dépeints de manière très réaliste et où le hors-champ compte autant, voire plus, que ce qui est donné à voir. Comparées aux ambiances énigmatiques dont David Lynch a le secret, ses œuvres produisent un sentiment d’étrangeté, avec cette sensation inconfortable mais captivante que tout peut advenir. Comme dans un rêve éveillé, la banalité qui est donnée à voir semble faire signe vers un secret à décoder ou le présage d’une catastrophe à venir ou déjà advenue et recouverte par le silence.
Né en 1983 à Louvain. Vit et Travaille à Anvers.
Nous avons pu croiser son physique à la James Dean dans une campagne publicitaire de Dior en 2016, mais Rinus Van de Velde est d’abord et avant tout un artiste. Installé à Anvers, ce jeune Flamand de 35 ans a commencé par s’essayer à la sculpture avant de se consacrer au dessin. Après quelques essais de couleur, il trouve très vite ce qui constitue sa marque de fabrique, à savoir la production de dessins monumentaux au fusain. Explorant les tensions entre la réalité et la fiction, il se met lui-même en scène dans des autofictions déroutantes, sans que nous sachions jamais réellement quelle est la part fictive des situations qu’il invente. Donnant ainsi vie à ce qu’il nomme lui-même une « autobiographie fictionnelle », son personnage occupe divers rôles (du détective au joueur d’échecs en passant par celui de tennisman). L’ajout sous le dessin d’un texte exprimant souvent des états d’âme oscillant entre questionnement métaphysique et ironie, augmente le pouvoir narratif de chacune de ses images et lui donne toute sa charge cinématographique. Si la production de décors a toujours fait partie intégrante de sa démarche, puisque c’est une base pour ses dessins, ils sont désormais présents dans ses expositions depuis son intervention au Smak de Gand en mars 2016 où l’on pouvait voir une immense vague côtoyant une nature tropicale en carton-pâte. L’exposition dans sa galerie anversoise poussa par la suite cette dynamique plus loin encore, puisqu’il créa une œuvre d’art total où se mêlaient dessins, sculptures, céramiques, éléments de décors… C’est tout naturellement qu’il a donc réalisé cette année un film en couleurs, The Villagers, où l’on retrouve tous les ingrédients de ses dessins au fusain.
Né en 1982 à Bruxelles. Vit et travaille à Bruxelles.
Ancien étudiant du Fresnoy, dont il est sorti diplômé en 2010, Emmanuel Van der Auwera mène une réflexion critique d’une très grande pertinence sur la manipulation de la réalité et la spectacularisation banalisée de la violence que provoque l’hypermédiatisation de notre société. Recourant fréquemment à des technologies de pointe (scanner, caméra, imagerie IRM…) dont il maîtrise parfaitement le protocole, il déconstruit les systèmes de représentation et de diffusion des images, à travers divers médias (vidéos-sculptures, gravures, films…). Ainsi nous conduit-il à envisager autrement la lecture des images et les relations que nous entretenons avec elles. Très remarqué et récompensé lors du Young Belgian Art Prize en 2015, son film A Certain Amount of Clarity montre des images YouTube de jeunes en train de regarder des Snuff Movies [des vidéos violentes filmant un meurtre, un viol, etc.] et réagissant diversement à la violence dont ils sont les spectateurs. Plus récentes, ses Video Sculptures, qui ont fait l’objet d’acquisitions par le Mu.ZEE d’Ostende et par le Dallas Museum of Art aux États-Unis l’an dernier, exploitent l’imagerie thermique et le système de surveillance précis qu’elle offre dans divers domaines (médical, militaire….). Impliquées dans un dispositif d’effacement, voire d’oblitération à la fois physique et mentale, elles stimulent la capacité du spectateur à être à la fois actif et critique. Cette capacité est au cœur de sa série de gravures Memento commencée depuis 2016 et réalisée à partir d’images de foule parues dans les journaux. Son dernier film réalisé à partir d’images reconstituées en 3D, Fire is Sky, poursuit l’exploration du malaise de notre civilisation confrontée aux nouvelles technologies.
Née en 1988, à Bruxelles. Vit et travaille à Bruxelles.
Très remarquée lors du Salon de Montrouge en 2018, Ariane Loze a également été présentée cette même année dans le cadre de la Biennale de Riga et a fait partie des dix artistes sélectionnés par la Fondation Kanal-Centre Pompidou pour son exposition inaugurale. Cette jeune Belge réalise depuis 2008 des microfictions en totale autonomie. Non seulement elle écrit, réalise, monte ses films, mais elle en occupe également tous les rôles. Ce personnage unique qui se démultiplie dans des identités à l’infini peut faire penser au travail d’artistes femmes comme Cindy Sherman ou Sophie Calle, qui ont fait de leur propre corps un outil central de leur démarche. Abordant des sujets de société comme le commissariat d’art contemporain, le besoin des femmes de reformuler leur vie ou les stratégies financières et économiques des grandes entreprises, Ariane Loze sonde les contradictions et tensions de notre société schizophrénique. Le travail de montage participe à faire exploser les cadres du réalisme de ce qui est donné à voir et à entendre, comme pour mieux refléter les vertiges qui nous habitent. Aux frontières de l’absurde et du tragique, elle révèle un monde qui semble au bord de l’explosion sous la pression de ses contradictions. En offrant au public le spectacle de la fabrication de ses films, Ariane Loze organise des performances à ciel ouvert, amplifiant la mise en abyme du réel auquel elle procède.
Née en 1991 à Liège. Vit et travaille à Bruxelles.
Benjamine de notre sélection, Eva L’Hoest recourt à la technologie en repoussant au maximum ses limites afin d’explorer l’ambivalence des images numériques. Fascinée par les affects souvent contradictoires et l’état d’hypnose que ces dernières génèrent en nous, elle crée des vidéos qui nous conduisent vers des mondes vidés de présence humaine où règne une ambiance postapocalyptique. Filmées avec une extrême lenteur comme une mémoire en errance, elles nous propulsent dans des territoires dominés par l’absence et une certaine mélancolie. Dans une de ses premières œuvres, Captives (2014), Eva L’Hoest introduit en pleine nuit une caméra numérique dans l’espace privé et ultra-sécurisé de zones d’habitation suburbaines qui apparaissent tels des décors abandonnés. Tournée à l’aide d’une caméra provenant de l’industrie des jeux vidéo, Under Automata (2017) retranscrit les images de passagers endormis dans un avion suivant un long travelling. L’ambiance crépusculaire convoque le souvenir de Pompéi endormi sous la suie. Retravaillé en réalité virtuelle, ce film a été exposé à la Biennale de l’image possible de Liège en 2018 et à l’Okayama Art Summit 2019 sous le commissariat de Pierre Huyghe. Cette très jeune artiste a également participé à la dernière Biennale de Lyon.
Né en 1981 à Bruxelles.
Vit et travaille à Bruxelles.
Fabrice Samyn déploie une œuvre plurielle dans ses formes (peinture, photographie, sculptures, installations…) d’une grande cohérence. Ses pièces abordent des questions fondamentales comme l’érosion du temps et de la lumière, notre rapport au sacré, notre capacité à entrer en résonance avec les autres et avec nous-mêmes. Autant d’interrogations qui irriguent une œuvre d’une grande délicatesse. Que ce soit dans son travail sur les variations de la couleur du ciel tout au long d’une journée (The Color of Time, 2016), dans ses installations des plantes sacrées chez les Mayas que sont les fleurs d’agave, ou encore dans ses panneaux en bois doré à la feuille d’or puis calciné, tout invite dans sa démarche à la contemplation et à la méditation. En résidence au Flanders Fields Museum, Fabrice Samyn mène actuellement un travail sur les lettres écrites à leur famille par les soldats durant la Première Guerre mondiale, dont il extrait les mentions de joie comme autant de signes de résilience. Son œuvre comporte également une dimension performative. Le souffle, en particulier, constitue le cœur d’un cycle de performances (A Breath Cycle) qu’il a imaginé en 2017 et présenté en 2018 au Kaaitheater de Bruxelles.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : 10 artistes belges à suivre à tout prix !