PARIS
L’enseignant aux Beaux-Arts revient sur la polémique suite au retirage d’un ouvrage après suppression de passages controversés.
L’école des Beaux-Arts de Paris a réédité l’ouvrage intitulé Les suffragettes de l’art par Anaïd Demir en supprimant des pages relatives au harcèlement sexuel dans l’école et qui mettaient en cause l’ancien directeur Jean-Marc Bustamante. L’artiste Olivier Blanckart enseignant à l’école, proche de l’ancien directeur, est réputé pour son franc-parler. S’estimant victime d’une campagne menée contre lui, il a tenu à retracer la chronologie des événements qui ont abouti au pilonnage des anciens exemplaires et rappeler son engagement contre le harcèlement à l’école.
Que reprochez-vous aux passages du livre qui ont été supprimés à la réimpression ?
Plusieurs choses. D’une part que l’on présente l’ancien directeur de l’école Jean-Marc Bustamante d’une manière que je trouvais diffamante en rapportant des propos anciens, totalement hors contexte. Je reprochais ensuite qu’il fût le seul directeur à ne pas avoir été interviewé alors qu’il était mis en cause. Je reprochais enfin que l’ouvrage attribue à des étudiants le mérite d’initiatives anti-harcèlement prises à l’école alors que c’est précisément Bustamante avec le ministère de la culture qui en était à l’origine. C’était une réécriture de l’histoire. L’ouvrage « silenciait » comme on dit maintenant, ce que Bustamante avait fait contre le harcèlement, mais aussi pour la parité. Il a pourtant nommé une présidente au conseil d’administration, une directrice adjointe, une directrice des études, une chorégraphe, une cinéaste…
Quelle est la chronologie des événements qui ont abouti à la réimpression du livre ?
Après avoir lu le livre et en tant que membre du conseil d’administration de l’école, j’ai adressé le 8 décembre 2023 une note confidentielle à Alexia Fabre [la directrice] où je pointais les différentes aberrations évoquées précédemment. Convoqué dans son bureau, j’ai amené un exemplaire -sauvé- d’une monographie sur Claude Lévêque éditée par l’école naguère, et que le service édition a fait pilonner suite à sa mise en examen pour viols sur mineur. Je voulais étayer les pratiques étranges d’une école ou d’un service qui n’hésitait pas à censurer. Résultat, Alexis Fabre et son adjointe me crient dessus, tandis que le directeur des études Jean-Baptiste de Beauvais, me reprochant de rédiger des notes au ton polémique, m’inflige un avertissement verbal.
Et ensuite ?
La suite, on me l’a racontée. Début 2024 Jean-Marc Bustamante aurait négocié une solution amiable avec Eléonore de Lacharrière, la présidente de l’école, au terme de laquelle l’école insérerait un addendum dans les exemplaires en circulation qui relaterait son action de manière plus équitable. Et soudainement, la direction de l’école a décidé de faire reprendre et pilonner les exemplaires existants et de rééditer l’ouvrage en supprimant les passages litigieux. Suite à cette décision surprenante une campagne de diffamation par voie de presse a été lancée… contre moi, et qui m’a blessé terriblement.
Pourquoi ?
D’abord, parce que j’ai passé une bonne partie de ma vie d’artiste à prendre publiquement position contre la censure dans l’art. Ensuite, parce qu’à plusieurs reprises, depuis des années, j’ai soumis sans succès au conseil d’administration de l’école une « Résolution éthique sur le consentement sexuel ». Je proposais d’adjoindre au règlement intérieur une résolution engageant les professeurs à s’abstenir de solliciter le consentement sexuel des étudiants, pour que l’échange reste dans un cadre artistique et intellectuel purement libre et désintéressé. C’était une résolution qui n'aurait pas eu de valeur strictement contraignante, au sens qu'on ne peut pas interdire les relations entre majeurs consentants. Mais en cas de dérive d’un professeur, on aurait pu lui opposer cette résolution éthique. Étrangement, cette proposition de résolution a été repoussée. À deux reprises !
Le pilonnage de l’ouvrage par la direction n’est-il pas la reconnaissance que les passages incriminés étaient inappropriés ?
Oui. Et je pense qu’on aura préféré pilonner le stock et payer les 10 000 € de réimpression plutôt que d'insérer dans l'ouvrage quelque chose qui serait positif ou juste objectif pour Bustamante. Je sais que ça paraît invraisemblable, mais je ne vois pas d'autres explications à ce stade. Et les professeurs de l'école ne comprennent pas. Les historiens de l'art ne comprennent pas. Personne n'est convaincu. Personne n'est convaincu par les explications qui ont été données, qui sont des explications floues. Alexia Fabre assume certes sa décision mais elle n’en donne pas les véritables raisons. En toute hypothèse, c’est évidemment une façon de reconnaître que les passages incriminés étaient bien diffamatoires, mais il est regrettable que le livre désormais en vente fasse totalement l’impasse sur le bilan de Bustamante dans sa lutte contre le sexisme et en faveur de la parité.
J’ajoute que cette décision est d’autant plus incongrue que les finances actuelles de l’école ne permettent guère ce genre de fantaisies, alors qu’il y a quelques années déjà, nous avions dû verser 32 000 € de dédommagements au peintre Télémaque parce que le service des éditions avait tout simplement perdu des originaux de l’artiste !
Selon vous, y a-t-il encore aux Beaux-Arts des comportements déplacés des enseignants avec leurs élèves ?
Non je ne le pense pas. Je suis un des plus vieux professeurs de l’école et avec tous les collègues on s’accorde pour constater que les anciennes pratiques n’ont plus cours. Évidemment, la relation entre professeurs et élèves reste inégalitaire : les enseignants ont toujours un relatif ascendant moral, artistique ou administratif sur les élèves. Mais on est tous très attentifs à ne pas en abuser, et certainement pas pour obtenir des faveurs sexuelles !
Où en êtes-vous actuellement ?
Après une sérieuse explication avec Alexia Fabre, je pense que cette séquence qui a été assez pénible pour moi, est désormais derrière. Et chose beaucoup plus importante, tout le monde est aujourd’hui d’accord pour être absolument unis face aux défis bâtimentaires et institutionnels colossaux qui attendent l’école et un dialogue avec le ministère de la Culture qui s’annonce pour le moins… difficile !
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Olivier Blanckart : « pilonner l’ouvrage c’est reconnaître sa faute »
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