Projet décrié mais porté par le président Jacques Chirac, l’installation au Louvre d’une salle consacrée aux arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques est aujourd’hui effective. Prélude à son ouverture en 2004, le musée du quai Branly inaugure ainsi sa première salle. Conçue comme une antenne, et non comme une préfiguration du futur musée, la sélection de 120 sculptures des quatre continents rend un hommage mérité, mais cérémonieux, à l’art non occidental, dans une muséographie insensible à la contextualisation des œuvres.
“Le Louvre devrait recueillir certains chefs-d’œuvre exotiques dont l’aspect n’est pas moins émouvant que celui des beaux spécimens de la statuaire occidentale”. Ce vœu, contrairement à ce que laisserait penser l’actualité, n’a pas été prononcé par Jacques Chirac mais par le poète Guillaume Apollinaire. Il est aujourd’hui exaucé grâce à la salle des “Arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques”. Pied de nez à un musée qui, s’il possède un des plus beaux ensembles d’art égyptien au monde, ne laisse aucune place à l’”art primitif” africain, une statue égyptienne de l’époque de Nagada II a été choisie pour accueillir le visiteur dans l’annexe occupée par le futur musée du quai Branly.
La petite sculpture anthropomorphique, datée entre les Ve et IVe millénaires av. J.-C., est la doyenne de la sélection établie par Jacques Kerchache, expert en art primitif et proche du chef de l’État : 120 pièces exceptionnelles de collections nationales et étrangères (lire l’encadré), destinées, selon les mots du président de la République, à “se mesurer aux plus purs trésors du Louvre” et marquer le retour anachronique de l’”art primitif” dans un musée qui a perdu depuis longtemps sa vocation encyclopédique. Institué en 1827 par Charles X, le Musée de la marine, ou Musée Dauphin, y a fait un temps figurer quelques pièces de la collection du cavalier Denon, ou celles ramenées par les explorateurs Cook, Bougainville et Dumont d’Urville. Mais l’histoire des collections françaises a amené le musée à se consacrer aux arts occidentaux, du Moyen Âge au XIXe siècle, et aux civilisations antiques qui en sont à l’origine. Les collections non-occidentales se sont alors réparties entre le Musée d’ethnographie du Trocadéro, inauguré en 1878, et le Musée des arts d’Afrique et d’Océanie ouvert à la suite de l’exposition coloniale de 1931.
S’agit-il pour autant de réactualiser les cabinets de curiosités exotiques qui ont fait le bonheur des grands musées européens à la fin du XVIIIe siècle ? Le but poursuivi par le musée du quai Branly, avant l’ouverture en 2004 du bâtiment conçu par Jean Nouvel, semble plutôt l’application à la statuaire des quatre continents du mode de présentation adopté par les musées de beaux-arts occidentaux, afin de “marquer l’identité singulière des œuvres” et “le geste créateur d’un artiste, qui, pour être le plus souvent anonyme, n’en est pas moins étonnamment présent”. Revendiqué et assumé, ce parti pris a pour mérite de mettre fin à tout débat portant sur l’équilibre nécessaire entre esthétique et ethnologie dans ce type d’exposition. Mais pour Germain Viatte, directeur du projet muséologique de l’établissement public du quai Branly, “l’accrochage est orienté uniquement sur la sculpture et doit être mis en perspective avec les salles voisines du Louvre ; le pavillon des Sessions ne peut pas être considéré comme une préfiguration du futur musée”, même s’il précise qu’”il y a à mi-parcours un espace d’interprétation pour recontextualiser les pièces”. Dans un cul-de-sac, à proximité des œuvres océaniennes, l’espace en question, revêtu de bois sombre, contraste avec l’ampleur des volumes déployés dans la totalité des parcours.
Neutre, l’aménagement et le matériel muséographique en bronze et verre conçu par Jean-Michel Wilmotte, déjà auteur de nombreux espaces du Louvre, prend soin de ne pas interférer entre le visiteur et les œuvres. “Nous avons conservé l’aspect palatial des salles et gommé leur décor années trente afin de retrouver les grands volumes. L’objectif était d’obtenir une ambiance la plus neutre et la plus claire possible, en simplifiant l’espace et en isolant les pièces tout en gardant les transparences”, résume Alain Desmarchier, chef du projet pour l’agence. Réparti sur trois niveaux cet écrin, d’un coût de 34 millions de francs, offre un magnifique terrain de jeu à l’œil de Jacques Kerchache, mandaté par le musée pour la mise en place de son antenne.
Réparties en quatre grandes zones géographiques, sans souci d’exhaustivité ou de représentativité, les sculptures sont exposées à hauteur du regard. Elles engagent parfois un dialogue, tel le gigantesque masque du Serpent python face à un masque d’épaules nimba, ou toisent le visiteur, comme la tête de l’île de Pâques offerte en 1935 par le Chili à la France. Au rythme quasi invariable d’une par socle ou par vitrine, les œuvres occupent parfaitement l’espace et interpellent réellement le spectateur, provoquant “le choc émotionnel” tant souhaité.
Mais si nul ne nie aujourd’hui que les masques Malangan de Nouvelle-Irlande ou les reliquaires Fang du Gabon ont un intérêt esthétique comparable à l’art occidental, était-il pour autant nécessaire de leur appliquer les pires recettes des musées de beaux-arts : esthétisme à tout crin, dramatisation des œuvres et abandon du public devant des œuvres dont il ignore le plus souvent le contexte de création ? La nécessité d’un “hommage” aux créateurs de ces pièces par leur panthéonisation dans le Musée du Louvre est tout aussi discutable. Réalisé au début du siècle, le masque Inuit du cygne et de la baleine blanche, qui a appartenu à André Breton, ne serait-il pas mieux dans un musée d’art moderne, ne serait-ce que dans un souci de rigueur chronologique ? Pour le jeune artiste camerounais Barthélémy Toguo, l’exposition d’œuvres non occidentales dans le Louvre n’est toutefois qu’un premier pas : “Mettre l’art africain sur le même plan que l’art occidental me semble une bonne chose, bien que ces pièces ne soient pas faites pour être mises en vitrine. Mais aujourd’hui, le principal défi est celui de l’exposition de l’art contemporain africain. Pris dans un phénomène de spéculation, l’art traditionnel est exposé dans le monde entier, mais notre production contemporaine est toujours ignorée en Occident.”
Construit à l’extrémité ouest de l’aile de Flore, le pavillon des Sessions a été construit entre 1864 et 1872, et dévolu au musée en 1934. Laissées vides lors du chantier du Grand Louvre, les salles ont été réquisitionnées en octobre 1996 par la volonté présidentielle, au grand dam de la direction du musée qui comptait y redéployer les collections d’arts graphiques. L’établissement public du musée du quai Branly est le responsable scientifique du pavillon des Sessions, qu’il occupe par convention au moins jusqu’en 2004. Mais le Louvre assure, lui, le gardiennage et la billetterie. Le ticket d’entrée est commun, et la salle des Arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, accessible par la Portes des Lions, obéit aux horaires du Louvre, nocturnes en moins.
- Salle des Arts d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques, Musée du Louvre, entrée par la porte des Lions, tlj sauf mardi 9h-18h. Journées portes ouvertes les samedi 15 et dimanche 16 avril.
- Sculptures. Afrique, Asie, Océanie, Amériques, catalogue sous la direction de Jacques Kerchache, éditions RMN/Musée du quai Branly, 480 p., 340 F.
- Sculptures. Afrique, Asie, Océanie, Amériques, album, éditions RMN, 80 p., 60 F.
- Les Arts premiers, le temps de la reconnaissance, coll. Découverte Gallimard, 160 p., 82 F.
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Une antenne panthéon
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Une antenne panthéon