En Afrique subsaharienne, si les collections et les institutions existent, le personnel qualifié est peu nombreux et le rôle des musées souvent mal compris des habitants. En 1985, sur un total de quatre-vingts directeurs de musées et trois cents techniciens, aucun n’avait reçu de formation en muséologie. Depuis, des programmes de formation ont été lancés par les organisations internationales et un réseau efficace de professionnels africains est aujourd’hui en mesure d’assurer la formation et la promotion des collections auprès des publics, plus particulièrement des scolaires.
La collection d’un musée africain rassemble de 200 à 10 000 pièces, selon les cas, pour la plupart des objets ethnographiques et archéologiques utilisant des matières organiques qui souffrent des variations climatiques et des conditions de stockage. La documentation des objets est au mieux incomplète et les techniques d’exposition ne tiennent pas toujours compte des impératifs de conservation. À l’origine de ces maux, outre le manque de moyens, se trouve l’absence de professionnels, les possibilités de formation ayant été longtemps inexistantes sur le continent.
En 1986, le Centre international d’études pour la conservation et la restauration des biens culturels (Iccrom) a lancé le programme Prévention dans les musées africains (Prema), qui a formé un réseau de plus de 300 professionnels dans les quarante-six pays d’Afrique subsaharienne. Au total, près de cinquante cours et ateliers ont été organisés, qui ont notamment permis d’aménager les réserves de douze musées nationaux, dont celle du Musée d’Abidjan. Ce succès a abouti à la récente création, en collaboration avec l’Université nationale du Bénin, de l’École du patrimoine africain (Épa), à Porto-Novo, à charge pour elle de dispenser des formations spécialisées, soutenir la recherche et promouvoir les activités muséales auprès des populations. Pour assurer son autonomie, l’Épa a lancé un appel à contribution afin de constituer un fonds de 15 millions de francs, dont les intérêts couvriront des dépenses de fonctionnement évaluées à 600 000 francs. Dans la zone anglophone, le Programme pour le développement des musées en Afrique (PMDA) a pris le relais de Prema et travaille en collaboration avec l’Épa. Accueilli à Mombasa par les Musées nationaux du Kenya (NMK) – une des structures les plus solides, avec un réseau de seize musées régionaux et huit sites historiques –, il proposera cinq types d’activités : formation, assistance technique, diffusion des informations, soutien d’initiatives culturelles et éducation des publics. De son côté, le Conseil international des musées (Icom) a lancé en 1991 le programme Africom, afin de lutter contre les trafics illicites, former des gestionnaires et unifier les méthodes de documentation. Depuis octobre, Africom est autonome ; cette organisation continentale non gouvernementale a son siège au Kenya. Les objectifs fixés sont vastes, mais elle dote les musées africains d’un organe de référence au niveau international et constitue un point d’ancrage essentiel pour les échanges entre professionnels.
Une perception troublée du rôle du musée
Des professionnels efficaces désormais formés, les institutions doivent préciser leur place et leur rôle dans la culture des populations locales. Leur passé colonial est parfois à l’origine d’une mauvaise compréhension. Ainsi, jusqu’à l’indépendance de l’Angola, le Musée de Dundo, première institution du pays consacrée à un peuple, n’était accessible aux autochtones que tous les trois ans. De même, l’identité du Musée national de Namibie est floue depuis sa création, en 1907, par les autorités coloniales allemandes sous le nom de Landesmuseum ; il a changé cinq fois de nom et dix fois de lieu, et ses collections actuelles sont celles constituées par l’Afrique du Sud, autre puissance coloniale, à partir de 1958. Les Namibiens peuvent donc difficilement se reconnaître dans l’histoire de ce musée. Eugène Marais, entomologiste de l’institution, souligne que “la participation des communautés dans la planification des musées est essentielle s’ils veulent rester utiles et crédibles”.
La culture muséale semble pourtant se développer. Le chef traditionnel des Tshokwé a entrepris des démarches auprès de l’Unesco pour la restauration du Musée de Dundo, dépositaire du patrimoine de son peuple. De plus, les “nouveaux” musées fleurissent et les initiatives locales à “muséographie vivante” se multiplient. Le Musée de Kaya, au Burkina Faso, a été conçu en 1995 par les habitants de la région comme un abri pour les objets témoins de leur culture. Au milieu de la cour trône une meule traditionnelle circulaire, rappelant le temps où les femmes se retrouvaient pour écraser le mil. Aujourd’hui, elle sert à nouveau pour la préparation de repas rituels, faisant de l’institution un lieu d’échanges entre générations. Toujours en Angola, le Musée Manéga, ouvert en 1989, compte 11 000 objets rituels, dont beaucoup ont été donnés par des personnes âgées, inquiètes du devenir de leurs croyances. Dans le pavillon de la Mort, où sont exposés les objets funéraires, les visiteurs doivent, selon la tradition, pénétrer à reculons, décoiffés et déchaussés, par respect du sacré.
Attirer un jeune public
Dans ce contexte, la fréquentation est le principal cheval de bataille des professionnels, qui cherchent à attirer dans les musées un public jeune et principalement scolaire. Le Musée Honmé, au Bénin, avec un fonds de 261 objets cultuels, instruments de musique et attributs royaux, ne reçoit que 4 500 visiteurs par an, mais la moitié sont des enfants. Outre le message éducatif classique que peut diffuser le musée, il peut et doit aussi agir comme médiateur entre les cultures et les ethnies locales. “Contribuer à développer l’esprit de tolérance”, tel est le but du programme Prema 2 conçu et mis en œuvre par l’Épa, avec une première phase pilote de trois ans, dans des musées du Bénin, du Tchad et de Guinée. Dès la rentrée 2001, débutera une formation universitaire de quinze spécialistes en “muséopédagogie”. L’objectif est de faire passer de 4 à 50 %, en dix ans, le nombre d’élèves qui visitent un musée pendant leur scolarité, dans vingt pays d’Afrique francophone au sud du Sahara. Le musée a véritablement un rôle citoyen à jouer, comme au Rwanda, où le Musée national travaille en étroite collaboration avec la Commission du Mémorial, chargée de la création d’une base de données sur le génocide. Pour son directeur, Kanimba Misago, “le musée peut puiser dans le patrimoine des modèles utilisés autrefois pour amener les différentes parties à se mettre à la même table et à négocier.”
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En Afrique, les musées s’éveillent
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : En Afrique, les musées s’éveillent