Le Journal des Arts : Quel bilan tirez-vous de la politique culturelle des cinq dernières années ?
Jean-Luc Mélenchon : Globalement négatif ! Le terrain avait été préparé par le précédent quinquennat : en décembre 2006, six mois avant l’élection de Nicolas Sarkozy, le rapport Lévy-Jouyet sur « L’économie de l’immatériel : la croissance de demain » avait planté le décor : l’ensemble du champ des immatériels liés à l’imaginaire entrent dans la catégorie des actifs immatériels ; ou encore : il faut « traiter économiquement le capital humain » ; ce rapport est devenu la matrice idéologique des politiques de dérégulation de la recherche, de l’enseignement, de la culture et de la création.
La RGPP [révision générale des politiques publiques] a enchaîné : tailler à la serpe dans les missions et le fonctionnement du service public, suppressions d’emploi pour des économies dérisoires, mais aussi désorganisation complète d’un ministère, et de ses établissements. La lettre de mission de Christine Albanel fixait la feuille de route : « veiller à ce que les aides publiques à la création favorisent une offre répondant aux attentes du public » et soumettre les structures subventionnées à des « obligations de résultats », quantitatives et à court terme, par définition.
De nombreuses péripéties émaillèrent ce quinquennat. La réforme territoriale et la suppression de la taxe professionnelle firent que, pour la première fois depuis des décennies, la part de la Culture dans les budgets des collectivités locales baissa. Passons sur les péripéties comme la création du Conseil de la création artistique, gadget dont l’objectif inavoué était d’essayer d’inventer une « agence » de type anglo-saxon, machine de guerre contre un ministère de la Culture fragilisé ; Maison de l’histoire de France ; gels récurrents des crédits d’intervention… La totalité de la place réservée à cet entretien n’y suffirait pas !
JdA : Votre projet de « refonder un grand service public de l’art, de la culture et de l’information » signifie-t-il que vous souhaitez revoir en intégralité le périmètre et les missions du ministère de la Culture ?
J.-L. M : Refonder un grand service public de l’art, de la culture et de l’information est l’une des conditions majeures de l’accomplissement d’un authentique programme politique de gauche. Parce que la culture n’est pas tant pour nous un simple « secteur » de l’action publique qu’une condition de cette dernière, et de la vie politique en général. Pour reprendre la formule de Roland Gori, « il n’y pas d’émancipation politique sans émancipation culturelle ».
Cela implique effectivement de revoir les contours et les missions d’un ministère de la Culture refondé, doté de nouveaux moyens, en effectifs et en « argent frais », dont la droite l’a privé. Cela signifie aussi le doter d’une grande mission de coordination interministérielle (action extérieure de la France, Éducation, Santé, Éducation populaire, Francophonie…). Nous verrions bien à sa tête un ministre d’État, à l’instar d’André Malraux…
JdA : Vous comptez organiser des « Conférences régionales » réunissant l’État, les collectivités territoriales, les professionnels et les citoyens, pour ouvrir le débat sur la politique culturelle à adopter et son financement. Appliquerez-vous des propositions adaptées à un niveau local, ou pensez-vous mener un travail d’harmonisation au niveau national ?
J.-L. M : Notons pour mémoire que nous voulons que la gauche abolisse purement et simplement la réforme sarkozyenne des collectivités, qui n’avait pour objet que d’en organiser la « compétitivité », c’est-à-dire de les rendre concurrentes entre elles. Il est clair que les conférences régionales que nous préconisons ont pour but de permettre à tous les citoyens, artistes, acteurs culturels, élus locaux, professionnels de toutes disciplines, etc., d’exprimer leurs besoins et désirs, mais aussi de travailler à la construction des solutions collectives. On peut stricto sensu parler d’« États généraux », étant entendu que leur existence ne sera pas éphémère mais donnera lieu à la naissance d’organismes de « veille culturelle » de type nouveau, véritables outils pérennes de « démocratie culturelle » participative. Ce qui est peut-être un pléonasme…
La République, même décentralisée, est « une et indivisible ». Le rôle de l’État est de garantir à l’ensemble des citoyens de son territoire les mêmes droits et moyens, et d’assurer les régulations et péréquations nécessaires. L’indispensable réforme de la fiscalité locale, dans le cadre d’une refonte complète de la fiscalité de la Nation, sera l’outil incontournable de cette volonté d’égalité des citoyens et des territoires.
JdA : En cas d’élection, vous vous êtes donné pour objectif de porter l’effort public à 1 % du PIB en une législature, et d’annuler la RGPP. Comment allez-vous financer ces opérations ?
J.-L. M : Tout d’abord, dégonflons une baudruche : la RGPP, notamment sa mesure phare, le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, n’a procuré au budget de l’État que des économies dérisoires, sans doute moins de la moitié de ce que la baisse de TVA sur la restauration lui a coûté… La RGPP a surtout coûté à la nation une douloureuse désorganisation de ses services publics, une hémorragie de personnels enseignants, de personnels de santé, de sécurité, de culture, etc., et un grand « n’importe quoi » dans le fonctionnement des administrations et des services publics. Voir à ce sujet l’exemple emblématique de la fusion ANPE-Assedic et la création de Pôle emploi. Ce n’est pas l’annulation de la RGPP qui coûtera cher au budget de la nation… Bien au contraire.
Les arts, les médias, l’action culturelle, les industries culturelles, représentent aujourd’hui plus de 4 % du PIB national, soit plus que tout le secteur de l’automobile. Le champ de la culture occupe plus de 900 000 actifs, dont 77 % de salariés, très concentrés en Île-de-France et particulièrement à Paris. Cela dit pour montrer la hauteur de l’enjeu. La part des crédits publics dans la dépense culturelle est aujourd’hui de l’ordre de 0,7 %, tous niveaux confondus, soit environ 14 milliards d’euros. Parvenir en une législature à 1 % du PIB correspondrait à une augmentation de moins de 7 milliards d’euros 2012, en cinq ans. Soit l’équivalent d’une journée moyenne de transactions à la Bourse de Paris… Qui peut prétendre que la cinquième puissance économique au monde est incapable d’un tel effort ?
JdA : Avez-vous prévu de lancer la construction d’un ou de plusieurs grands équipements culturels au cours de votre quinquennat ? Si oui, comment allez-vous la financer ?
J.-L. M : On entend fréquemment dire que l’aménagement culturel du territoire national est achevé, et qu’il ne faudrait plus procéder qu’à quelques rééquilibrages Paris-Régions, par exemple. Il ne faudrait plus, par conséquent, construire de « grands équipements » prestigieux… Cette idée a la vie tellement dure qu’il aura fallu attendre plus de vingt-cinq ans pour que la Cité de la musique soit enfin dotée du grand auditorium prévu lors de son installation à la Villette, en 1985. Et encore, ce « grand projet de l’État », la « Philharmonie » ne verra le jour que parce que la Ville de Paris a accepté d’en prendre la moitié de la charge…
Pour ma part, je ne suggérerai aucun « grand projet » en particulier…, ou alors plusieurs dizaines, particulièrement en régions, car le déséquilibre avec Paris n’a fait que s’aggraver, en ce domaine comme en tant d’autres.
JdA : Allez-vous maintenir la Maison de l’histoire de France ?
J.-L. M : Non ! Ce projet opportuniste développe une vision passéiste du patrimoine, le retour aux valeurs conservatrices du repli sur soi, du rejet de l’autre et du refus de la diversité culturelle. Ajoutons qu’il s’inscrit dans une démarche de « remise à plat » du service public de la culture, au détriment des Musées et des Archives de France… Non décidément, il n’y a rien à sauver dans ce projet. La communauté scientifique ne s’y est d’ailleurs pas trompée.
JdA : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour rendre la culture plus accessible à ceux qui en sont éloignés ?
J.-L. M : La question que vous posez est celle de la « démocratisation ». Bien des efforts ont été accomplis depuis la Libération, depuis les années 1960 et 1980. Pourtant, malgré de réels efforts en matière d’aménagement du territoire, malgré de réelles politiques de soutien à la création, malgré l’entrée en lice des collectivités locales, notamment depuis les premières lois de décentralisation, ce sont toujours les mêmes couches sociales qui fréquentent, qui pratiquent, qui « consomment »… Les logiques de l’offre montrent aujourd’hui leurs limites. Les inégalités territoriales et financières n’expliquent pas tout. Nous devons reformuler la question et reprendre le chemin de la démocratisation, en renouant avec ce que les pionniers de l’Éducation populaire avaient entrepris au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui a été négligé chemin faisant. Pour cela, il faut faire confiance à ce que chacun porte en bagage et en potentialité – savoirs, filiations culturelles, expériences –, et permettre à tous de lire et produire des signes, de « partager la métaphore ».
JdA : Quelles mesures concrètes allez-vous prendre pour favoriser l’enseignement de l’histoire de l’art dans les lycées et collèges ?
J.-L. M : L’introduction de l’histoire de l’art dans les programmes de l’enseignement secondaire est incontestablement un progrès. Mais il n’a de sens que s’il est articulé à une réelle pratique artistique des élèves, inscrite elle aussi dans les programmes : il faut qu’y soient introduites les heures nécessaires à la sensibilisation à trois disciplines artistiques au moins, parmi celles-ci : image et cinéma, architecture et ville, musique, arts visuels, théâtre, danse ; que, au-delà des nécessaires apprentissages modulés comme pour toute matière du programme, chaque élève ait la possibilité de faire l’expérience de pratiques aux côtés d’artistes ou d’équipes artistiques ; que chaque élève, au cours de sa scolarité obligatoire, bénéficie d’une année de forte option artistique, une fois par cycle (école élémentaire, collège, lycée). Ce qui implique la prise en compte de la nécessité absolue d’articuler les enseignements de base avec une pratique sérieuse, encadrée par des artistes en activité. L’Éducation nationale, le ministère de la Culture et les collectivités locales devront collaborer tant en matière d’aménagement des lieux pour les pratiques artistiques que de relations avec les institutions culturelles dont ils ont la responsabilité.
JdA : Comment améliorer la notoriété internationale de nos artistes contemporains ?
J.-L. M : Il en est de même en matière d’art qu’en matière de sport de haut niveau : plus la base de la pyramide est large, plus son sommet monte haut ! La notoriété internationale de nos artistes ne saurait être que le fruit de leur talent. Encore faut-il que celui-ci soit en mesure de s’exercer dans les meilleures conditions, que sur les quelque 60 000 artistes visuels connus de la Maison des Artistes, plus que quelques centaines d’entre eux aient la possibilité de gagner, ne serait-ce que leur vie, et d’avoir de la puissance publique quelques retours sur leur utilité sociale… Le reste n’est que littérature.
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Réponses pour Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche de la culture)
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°367 du 13 avril 2012, avec le titre suivant : Réponses pour Jean-Luc Mélenchon (Front de gauche de la culture)