Si les musées sont de plus en plus présents sur Facebook ou Twitter, l’audience, la fonction et l’impact de ces nouveaux moyens de communication sont encore peu connus. Reste que l’innovation et la créativité sont obligatoires.
Huit ans après l’arrivée des principaux réseaux sociaux sur le web, nombreux sont les musées à disposer d’au moins un compte sur l’un d’entre eux.
Sur les 90 musées de grandes et petites villes françaises qui composent le palmarès 2013 des musées établi par Le Journal des Arts, 70 se sont ainsi créé une identité virtuelle, vitrine de l’établissement permettant d’échanger avec les membres d’un même réseau, en particulier sur Facebook et Twitter, respectivement utilisés par 28 millions et 5,5 millions de Français selon les chiffres de l’agence de conseil en social média Vanksen. Une vitrine portée par les grosses institutions, mais qui concerne de plus en plus les petits musées désireux de gagner en visibilité. Mais à l’heure où ils s’implantent de plus en plus solidement sur le web et dans l’organisation interne des établissements, à quelles missions répondent vraiment les réseaux sociaux des musées ?
Utilisés avant tout comme un moyen d’informer et de communiquer, les comptes des musées s’adressent à une audience d’abonnés de manière plus informelle et ludique que la communication traditionnelle. Ils n’en restent pas moins portés par les valeurs du musée, véhicule d’un contenu fiable ayant souvent réputation de faire autorité. Expositions, publications, activités et toute actualité liée au musée sont annoncées, commentées et illustrées en essayant de provoquer des réactions des internautes qui disposent d’un espace pour approuver, partager le contenu sur leur propre espace ou le commenter.
Les réseaux sociaux des musées constituent des canaux d’information de plus en plus complets. Souvent relié au service de la communication, de la médiation ou du numérique, le community manager, producteur de contenu de ces pages virtuelles, centralise les données émanant des différents services du musée et les livre sur les réseaux. « Le community manager est de mieux en mieux identifié au sein de l’institution », témoigne Claire Séguret, qui assure la gestion du compte Twitter du Musée Cluny, à Paris.
Même si rares sont les musées – tel le Centre Pompidou – à proposer des formations aux réseaux sociaux à l’ensemble de leurs équipes, « les informations transitent de mieux en mieux dans l’organigramme », confirment plusieurs community manager. Tout en conservant une liberté d’improvisation concomitante au web, plusieurs musées élaborent en interne des plannings hebdomadaires et mensuels afin que l’ensemble des activités de l’établissement soit présenté. Un réseau de contributeurs référents est en cours de création au Musée du Louvre pour préparer du contenu à destination du web, notamment pour Bobler, le réseau social sonore.
Cette implication des conservateurs sur les réseaux sociaux – essentielle à la valorisation des collections permanentes souvent délaissée pour celle des expositions temporaires au sein de la communication traditionnelle – reste encore marginale. En témoigne l’engouement relativement faible pour Ask A Curator, événement annuel et international qui invite les usagers de Twitter à poser des questions aux conservateurs de musées qui doivent y répondre en direct. Ask A Curator, qui a vécu sa troisième édition le 18 septembre 2013, n’a enregistré la participation que d’une dizaine de musées français seulement.
Une interaction difficile à évaluer
Les réseaux sociaux se veulent également un espace d’interaction permanent entre l’institution et les internautes ; le musée invitant ces derniers à partager leurs photos de visite, à participer à des jeux-concours ou des récits en direct de leur visite (live tweet) afin de les associer à la médiation en créant du contenu « qui pourra faire référence parmi leurs pairs », selon Hélène Fulgence, directrice du développement culturel du Musée du quai Branly. Une manière de créer un sentiment d’« appartenance à la communauté du musée », selon Niko Melissano, community manager du Louvre.
L’impact de ces actions reste cependant très difficile à évaluer, tant l’audience des réseaux sociaux des musées est peu identifiée, et l’implication des internautes difficile à mesurer. La communauté la plus visible et homogène est celle de MuseoGeek, important relais des musées sur les réseaux. Cette communauté informelle majoritairement composée de professionnels et étudiants des secteurs culturels et/ou numériques, échange en continu sur twitter, via hashtag (mot-clé précédé du signe dièse permettant aux utilisateurs de retrouver toutes les occurrences du terme). Elle alimente le wiki MuzeoNum, plateforme de ressources sur le numérique au musée et se retrouve à des soirées SMV (un soir, un musée, un verre) lancées sur Facebook.
Une audience encore peu connue
Le reste du public des réseaux sociaux des musées, tout comme ses attentes, est plus difficile à cerner. Cherchant à pallier l’insuffisance des données fournies par les statistiques des réseaux sociaux, certains community manager se sont rassemblés pour concevoir un nouvel outil statistique (NOS) ayant vocation à être diffusé largement dans les établissements culturels. Cet outil devrait permettre d’en savoir plus sur l’impact des réseaux sociaux en termes de médiation. Selon Gonzague Gauthier, pilote du projet et community manager du Centre Pompidou, le NOS devrait permettre de mesurer l’engagement des internautes sur les comptes, la compréhension et l’adhésion à la programmation du musée. Des informations qui ont vocation à être croisées avec des études des publics réalisées dans les salles des musées. Ces études, qui n’ont pas encore commencé mais qui sont en projet dans plusieurs établissements, auront pour mission de mesurer le nombre de visiteurs ayant franchi le seuil des musées après avoir été sur les réseaux sociaux.
Car Facebook ou Twitter favorisent-ils vraiment la venue au musée de nouveaux visiteurs ? Voila une question qui agite les veilleurs de la démocratisation culturelle. Les community managers évoquent pour le moment et « à vue d’œil », une audience plutôt composée d’internautes connaissant déjà le musée. Une intuition que vient confirmer le nombre d’internautes abonnés aux réseaux des musées, qui est souvent proportionnel aux chiffres de fréquentation des salles de l’institution. Ainsi, les chiffres physiques, mais aussi virtuels du Musée du Louvre (1), ou le Musée des beaux-arts de Lyon (2) écrasent-ils le Musée de Boulogne-de-Mer (3) en dépit de sa gestion sur Facebook particulièrement dynamique et originale. « On aimerait inverser la tendance qui fait que gros musées impliquent de gros chiffres sur les réseaux », explique Claire Séguret. Un vœu qui semble pour le moment assez pieux.
Les grands musées, qui peuvent tabler sur une grosse fréquentation et un rayonnement international ne rencontrent pas les mêmes problématiques sur les réseaux sociaux que les petits musées. Ainsi peuvent-ils difficilement avoir la même stratégie de développement. Les musées moins fréquentés ont tout à gagner à utiliser les réseaux sociaux pour augmenter leur visibilité et donc leur fréquentation. Pour attirer et retenir l’attention de l’internaute – une gageure sur un espace aussi foisonnant que le web –, ils devront probablement développer une démarche marketing et proposer des offres qui s’appuient sur les spécificités du musée (capacité à instruire, émouvoir, faire voyager dans l’espace et le passé) et des réseaux sociaux (concision, quotidienneté et interactivité).
Un poilu sur Facebook
Le Musée de la Grande Guerre de Meaux, ouvert en 2011, a proposé d’avril à mai 2013 une offre qui a fait exploser l’audience d’un de ces réseaux sociaux au-delà de toute espérance. Sur un compte Facebook dédié, le soldat fictif Léon Vivien a raconté tous les jours et à la première personne le quotidien d’un poilu dans les tranchées. Le récit de Léon et ses proches, illustré des photographies des collections du musée, a rassemblé presque 65 000 fans – l’institution a accueilli 90 000 visiteurs en 2013 – et sa page a mobilisé un nombre exceptionnel d’interactions d’internautes, témoignant de leur adhésion à l’histoire ou échangeant leurs connaissances.
L’initiative a été fortement relayée par les réseaux sociaux, et très rapidement par la presse. À la fin de l’opération, le musée a invité les suiveurs de Léon à se transférer sur sa page Facebook et à bénéficier de tarifs préférentiels pour découvrir les collections de l’établissement et prolonger l’expérience virtuelle. Une offre qui a amené de nombreux visiteurs au musée pour la première fois.
Cette réussite en matière de médiation ne s’est cependant pas mise en place sans investissement. La réalisation de ce compte a demandé quatre mois de travail en amont, de recherche et de scénarisation. Il s’agit en outre d’une proposition de l’agence de publicité DDB, qui a réalisé le compte en collaboration avec le personnel du Musée de Meaux. « Des services qu’on n’aurait pas pu se payer si DDB n’avait pas travaillé au titre du mécénat de compétence », précise Michel Rouger, directeur du musée. Une expérience qui pourrait venir ébranler l’idée que les réseaux sociaux sont une activité très peu coûteuse. Fabriquer des comptes sur les réseaux sociaux ne nécessite en effet aucun outil, l’accès à la plate-forme étant accessible à tous gratuitement, en revanche la création d’un contenu original et de qualité peut nécessiter plus de moyens que l’emploi d’un seul community manager.
D’autres musées reprennent aujourd’hui le concept Léon Vivien. Ainsi le mémorial de Caen a créé en décembre dernier la page de Louis Castel, soldat narrateur de la Seconde Guerre mondiale, passé plus inaperçu que son inspirateur de la Der des Der. L’innovation est en effet un des principaux ingrédients du succès sur Internet. Une loi naturelle, à laquelle doivent faire face les musées.
(1) 9,7 millions de visiteurs au musée en 2012, 1,1 million de fans Facebook début 2014.
(2) 327 683 visiteurs au musée en 2012, 42 000 fans sur Facebook début 2014.
(3) 38 478 visiteurs au musée en 2012, 1 150 fans début 2014
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Quel rôle pour les réseaux sociaux ?
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- Le numérique défie les musées Léon Vivien développée par le Musée de la Grande Guerre de Meaux
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Quel rôle pour les réseaux sociaux ?