La réputation de l’hôtel des ventes parisien pourrait être sérieusement ternie par la mise en cause de plusieurs professionnels pour vol et recel d’objets d’art.
«L’année 2009 aura été marquée par des enchères de haut vol », souligne Georges Delettrez, président de Drouot Holding, dans un communiqué de presse du 23 décembre annonçant un chiffre d’affaires de 410 millions d’euros d’objets vendus pour l’hôtel des ventes parisien. L’année 2009 aura surtout été entachée d’un scandale de haut vol, impliquant des professionnels de Drouot, principalement des commissionnaires en charge du transport des œuvres d’art. À la suite d’un dépôt de plainte pour le vol d’un tableau qui a conduit l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) à enquêter pendant des mois, huit commissionnaires et un commissaire-priseur ont été mis en examen début décembre pour association de malfaiteurs, vol et recel en bande organisée (lire le JdA no 315, p. 3).
Les manutentionnaires de Drouot sont réunis au sein de l’Union des commissionnaires de l’hôtel des ventes (UCHV), une société en nom collectif indépendante créée en 1832 et comptant 110 membres. Ils travaillent à Drouot en situation de quasi-monopole. Rappelons aussi qu’ils sont employés de la même façon par Artcurial et Christie’s à Paris. À Drouot, où ils se sont rendus incontournables, rares sont les maisons de ventes, comme la SVV Camard, qui se passent de leurs services. « Depuis dix ans, j’utilise un autre transporteur tout aussi efficace et beaucoup moins cher », explique Jean-Marcel Camard, qui laisse néanmoins aux commissionnaires de Drouot le soin d’aménager ses salles de ventes. Jugeant également la facture très salée, le commissaire-priseur Olivier Collin du Bocage a fait appel à une société concurrente, mais s’est vu bloquer l’accès aux chariots et aux ascenseurs de l’hôtel Drouot en guise de représailles. « Je devais faire appel de temps en temps aux commissionnaires pour ne pas être trop embêté », confie-t-il.
« Tout le monde savait »
Les commissionnaires sont reconnaissables à leur veste noire à col Mao rouge, ce qui leur vaut le surnom de « cols rouges » ou « collets rouges ». Depuis toujours, ils tiennent secret le nom et l’adresse du fournisseur de leur uniforme, de crainte que des voleurs ne se déguisent en commissionnaires pour dévaliser des clients (!). Huit cols rouges sont à présent poursuivis pour ce délit. Mais d’autres pourraient être prochainement inquiétés pour les mêmes faits. Car la pratique semble répandue dans la profession. Un jeune commissaire-priseur se souvient de son premier inventaire, il y a quelques années : « Quand les commissionnaires sont arrivés pour l’enlèvement des biens, l’un d’entre eux m’a demandé où était sa “part”. J’ai refusé de rentrer dans la combine. Et j’ai toujours pris soin de numéroter scrupuleusement tous mes lots pour qu’aucun ne se perde en route. » Si certains commissaires-priseurs ont porté plainte à la suite de mystérieuses disparitions constatées après inventaires de successions, d’autres, par négligence, ont pu encourager le vol d’objets de plus ou moins grande valeur (vins, bibelots, montres, bijoux, pages de livres enluminés...) jamais réclamés dans la mesure où les ayants droit n’ont pas connaissance de tous les biens que possédait leur défunt parent.
« Tout le monde savait pour les vols, les commissaires-priseurs en premier. Certains encourageaient même leur clerc à “se servir sur la bête” », témoigne un ancien employé d’une étude de commissaires-priseurs. Drouot et la Compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris ont voulu se constituer partie civile dans cette affaire, mais ils ont été déboutés de leur demande par une ordonnance du 22 décembre 2009 rendue par le juge d’instruction Jean-Louis Peries. Peut-on y voir le signe que des officiers ministériels pourraient également se retrouver d’ici peu sur le banc des accusés pour vol aggravé et/ou recel ? Les investigations sont en cours pour identifier ceux qui, peu regardants sur la provenance de la marchandise, acceptaient régulièrement de remplir leurs vacations avec des lots apportés par des commissionnaires.
Image ternie
Dans une lettre du 18 décembre envoyée aux sociétés de ventes volontaires (SVV), le Conseil des ventes volontaires (CVV) dont deux membres sont des commissaires-priseurs de Drouot, rappelle que les SVV ont, vis-à-vis de leurs clients, « une obligation de contrôle des prestataires qui interviennent dans les ventes qu’elles organisent » (ce qui est aussi valable pour les ventes judiciaires). S’en est suivie la décision de Drouot de restreindre l’activité des cols rouges à Drouot en leur interdisant désormais de procéder à des achats, comme à des ventes d’objets dans l’hôtel des ventes, même s’ils ont la qualité de commerçants. Les commissionnaires ne sont également plus autorisés à prendre des ordres d’achat pour compte de tiers durant les ventes aux enchères. Ce qui a été qualifié de « mesures fortes » par Georges Delettrez. Le président de Drouot est ensuite parti un mois en vacances en pensant que l’affaire se tasserait d’elle-même, ce qui a scandalisé plus d’un confrère, au vu de la gravité de la situation. « Arrêtons de faire la politique de l’autruche. Il faut remettre toutes les choses à plat, faire le ménage et instaurer une discipline chez nous », tempête l’un deux.
En fonction de l’ampleur du « trafic d’objets d’art » mis à jour, il n’est pas exclu que l’UCHV soit poursuivie en tant que personne morale. L’hôtel des ventes serait en partie paralysé si toute la corporation des cols rouges cessait de travailler pour Drouot, soit seize salles en activité permanente. Sans compter l’implication possible de commissaires-priseurs, ce qui risque de ternir davantage l’image de Drouot et de faire fuir les déposants à la concurrence. Enfin, dans un contexte de réforme du marché des ventes publiques en France, les intéressés ne seraient plus dans une position de force pour défendre les points qui leur tiennent à cœur, notamment la possibilité de faire des ventes de gré à gré.
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Quel avenir pour Drouot ?
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Quel avenir pour Drouot ?