Radiographie des grandes places

Par Roxana Azimi · Le Journal des Arts

Le 19 janvier 2010 - 1065 mots

De part et d’autre de l’Atlantique, les effets de la crise ne se sont pas fait sentir de la même façon. New York est sévèremment touchée tandis que Paris relève la tête

LONDRES :  Plus de peur que de mal
En octobre 2008, la couverture de Time Magazine montrait la capitale britannique noyée sous le raz-de-marée boursier. Même le rapport de la banque suisse UBS sur les villes les plus chères du monde classait Londres en 21e position, contre la deuxième en 2006 ! Finalement, il y eut plus de peur que de mal. « De novembre 2008 à mars 2009, on a passé un mauvais moment. Puis les choses ont lentement repris. À l’été, les gens qui avaient arrêté de vous appeler recommençaient à le faire », résume Darren Flood, de la galerie The Hotel.

Certains ont fait de nécessité vertu. Profitant du marasme immobilier, plusieurs galeries ont organisé des expositions dans des bâtiments cossus de Mayfair, à l’instar de l’exposition de Sarah Lucas orchestrée par la galeriste Sadie Coles. D’autres jeunes structures ont profité de la baisse des loyers pour déménager, à l’image de Bischoff/Weiss qui a quitté l’East End pour le centre. Alors qu’on avait trop rapidement enterré Frieze, coupable d’avoir donné dans la hype et le glam, la foire londonienne a fait preuve d’une étonnante résilience, du moins commerciale. Mais depuis 2009, Londres a perdu la main dans le bras de fer avec Paris…

BERLIN : Peu touchée
La capitale allemande n’a pas connu de fermetures intempestives en 2009, si ce n’est celles de l’importante galerie Jablonka et l’antenne de la galerie indienne Bodhi Art (qui a également fermé à Bombay). L’attrait reste encore vif. Le collectionneur Thomas Olbricht y ouvrira en avril son lieu privé « Me Berlin ». « La situation n’a pas été si dramatique, car Berlin est de toute façon une ville pauvre. Beaucoup d’expositions en galerie ne dépendent pas d’un succès commercial », indique le galeriste Johann König. Fortement tributaires des collectionneurs étrangers faute d’un marché local fort, les galeries ont compris qu’il fallait redonner de l’élan à la foire Art Forum pour attirer à nouveau le chaland. Ce d’autant plus que le Collector’s Week-end traditionnel du printemps n’a pas eu le succès escompté suite aux défections de Christian Nagel et Johann König. Plus que la crise, les querelles intestines sont le point faible du paysage berlinois. « Si les initiatives sont mal utilisées pour mettre en place des pouvoirs locaux, cette situation aussi unique que fragile d’une capitale construite sur la multitude des expressions artistiques et des engagements individuels sera anéantie », prévient le galeriste Matthias Arndt.

PARIS :  En faveur
En 2009, Paris a capitalisé sur les valeurs de stabilité et de constance. Celles-ci ont imprégné la collection Saint Laurent-Bergé qui, le temps d’une semaine en février, a braqué les projecteurs du monde entier sur la capitale. Si le Salon du dessin et Paris Photo ont toujours joui d’une aura à l’étranger, la Foire internationale d’art contemporain (FIAC) doit beaucoup au retour de flamme dont profite l’Hexagone. Un regain de faveur qui se mesure avec l’ouverture parisienne de la galerie italienne Tornabuoni. Véritable mistigri de l’automne, l’installation de Larry Gagosian au 4, rue de Ponthieu, à proximité de Christie’s (8e arr.), n’a fait que renforcer l’intérêt d’une place autrefois dénigrée.

Bénéficiant d’un marché local resté actif, les galeries parisiennes n’ont pas connu la gifle de leurs consœurs new-yorkaises, même si certains chiffres d’affaires ont baissé de 30 %. Ce buzz providentiel en faveur de la capitale française ne risque-t-il pas de s’essouffler en 2010 ? « Paris est suivi et regardé pour des raisons d’ordre cyclique, observe Martin Bethenod, codirecteur de la FIAC. C’est une envie globale de valoriser tout ce qui s’inscrit dans une durée. Cela fonctionnera encore en 2010. Nous ne sommes pas sur une fin de tendance, mais au début d’un retournement récent. »

NEW YORK : Frappée de plein fouet
La Grosse Pomme a perdu pas mal de sa superbe cette année. Capitale financière, elle a été frappée de plein fouet par la crise boursière. Résultat des courses, durant les neuf premiers mois de l’année 2009, les Américains ont freiné, voire cessé net leurs achats. La foire de l’Armory Show en a particulièrement pâti en mars. Plusieurs petites structures ont aussi été soufflées par l’explosion. Le gel ambiant s’est ressenti dans la programmation des galeries de Chelsea, lesquelles ont fait profil bas. La plupart ont aussi allongé la durée de leurs expositions tout en allégeant leur calendrier.

« Pour certains artistes, cela a été difficile. Il y a eu moins de ventes de vidéos, un report des collectionneurs sur les objets, les pièces plus matérielles », constate Olivier Belot, directeur de la galerie Yvon Lambert. La chute du dollar n’a pas incité les Européens à mander leurs œuvres dans les ventes de New York où sont habituellement canalisés les lots les plus importants. Néanmoins, une légère reprise se dessine depuis le mois de novembre. D’ailleurs, dans le marasme ambiant, la galerie Zwirner s’est agrandie, sa consœur zurichoise Hauser & Wirth a ouvert en octobre une grande antenne, tandis que Sperone Westwater compte déménager cette année dans un spectaculaire nouveau bâtiment du quartier de Bowery. The show must go on !

ZURICH : La conservatrice
Coup de froid sur Zurich ? On pouvait le redouter, car la cité helvète est une place forte financière, au même titre que Londres et New York. La fermeture des antennes des galeries Haunch of Venison et Arndt & Partner, la sérieuse entorse d’UBS au sacro-saint secret bancaire et les retards pris par l’extension de la Kunsthalle dans le bâtiment du Löwenbrau ne présageaient pas du meilleur. « Aucune galerie proprement zurichoise n’a fermé. Celles qui ont disparu n’étaient que des antennes de galeries étrangères, martèle Victor Gisler, directeur de la galerie Mai 36. Zurich n’a pas été touchée autant que les autres places financières à cause de sa taille, mais aussi parce que la nature des Suisses est plus conservatrice. Vous y avez encore des collectionneurs qui achètent, mais à une allure et à des montants différents. »

Néanmoins, malgré son port franc et l’absence de droit de suite, Zurich n’est plus aussi populaire qu’elle le fut dans les années 2006-2007. Reste à voir comment se dessinera la future cartographie des galeries zurichoises lorsqu’une partie d’entre elles, hébergée au sein du Löwenbrau, va devoir déménager le temps des travaux.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°317 du 22 janvier 2010, avec le titre suivant : Radiographie des grandes places

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