Riche de nombreux enjeux, le concours international d’architecture pour la construction du musée du quai Branly consacré aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques a donné lieu à une compétition de haut niveau. Dans le dédale des sollicitations urbaines, programmatiques et symboliques, petite revue de détail des quatorze propositions en lice.
Rarement un programme de concours n’aura été si riche d’enjeux. D’un côté, les architectes devaient négocier avec un programme dense – près de 30 000 m2 de surface utile, dont environ 10 000 pour l’exposition des vingt mille objets provenant du Musée des arts d’Afrique et d’Océanie et des deux cent cinquante mille conservés au Musée de l’Homme –, de l’autre, ils se devaient de dialoguer avec un site difficile, imposant en particulier d’intégrer l’édifice à l’intérieur d’un ”espace vert intérieur protégé”, afin de préserver le cadre de vie des habitants de la rue de l’Université bordant l’arrière du terrain, soucieux de conserver la vue sur la Seine que permettait jusqu’à présent l’absence de toute construction.
À ce faisceau de contraintes s’ajoutait l’intimidante proximité de la tour Eiffel et l’obligation, pour les architectes, de prendre position sur un sujet sensible, dont la valse hésitation autour de la future appellation du musée (musée des arts “primitifs”, “primordiaux”, “premiers”,…) dit assez la difficulté : quel point de vue adopter pour la présentation d’œuvres (et de civilisations) non-européennes au cœur de l’une des principales capitales européennes, à l’heure de la mondialisation ? À ces différentes questions, certaines équipes ont répondu par une approche muséographique relativement neutre, d’autres ont privilégié un dialogue avec la tour Eiffel, d’autres encore ont interrogé – pour le contester – le principe même d’un tel musée, d’autres enfin ont joué de la dualité musée/jardin. Ainsi, tandis que Tadao Ando (associé pour l’occasion à l’architecte Jean-Michel Wilmotte ) tentait de répondre à la monumentale verticalité de la tour Eiffel en lui apportant son complément évidé, sous la forme d’un cône renversé traversant de bas en haut un cube de verre et de béton, Patrick Berger et Jacques Anziutti ont privilégié une disposition totalement intériorisée.
Musée et jardin dessinent chacun deux carrés parfaits se mirant l’un dans l’autre, le vide du jardin faisant écho à l’immense halle de présentation des collections installées en étage. De la dualité jardin/musée, Christian de Portzamparc a également fait son principal argument, enserrant un jardin d’inspiration classique à l’intérieur d’un sculptural édifice de béton brut qui circonscrit en partie le terrain, l’essentiel des espaces d’exposition étant situé sous le jardin. Plus extrême encore, Pierre Lombard et Rudy Ricciotti ont libéré la totalité du terrain en projetant le musée sous la forme d’un parallélépipède de cent quarante mètres de longueur par cinquante six de largeur, à seize mètres au-dessus du sol, disposition radicale censée exprimer l’étrangeté de la confrontation culturelle impliquée par le programme.
Face à l’immensité du vide, certains ont été tentés, à l’inverse, d’occuper le terrain : les projets de Chaix et Morel, de Sir Norman Foster et même de Renzo Piano, pourtant finaliste, proposaient des implantations extensives, libérant des jardins dans le renflement des longues façades courbes du projet pour les premiers, sous la forme d’un atrium circulaire de soixante-trois mètres de diamètre pour le second, tandis que le troisième proposait un jardin suspendu protégé par un fin vélum de verre et d’acier, au-dessus d’un musée dessiné comme un coffre de teck. Soucieux de simplifier les enjeux, les architectes franco-danois des équipes MAA et AW2 ont opté pour un sobre quadrillage de la parcelle. Vingt “cubes-écrins” régulièrement disposés définissent ainsi le musée comme un “fragment de ville”, juste traversé par un passage reliant la rue de l’Université au quai Branly. Très proche sur le plan formel – un quadrillage de douze tours identiques –- la proposition de la jeune équipe Périphériques (Paillard/Jumeau et Marin/Trottin), associée pour l’occasion aux hollandais de MVRDV, s’est pourtant élaborée sur des bases très différentes. Arguant de l’anachronisme d’un tel musée à l’heure de la mondialisation, cette jeune équipe a choisi de mettre les œuvres présentées en relation avec leur contexte géopolitique actuel par la projection d’images en temps réel (qui pourraient être celles diffusées par CNN…), l’essentiel des parois des tours étant constitué de murs-écrans. Autre jeune équipe, celle de Dominique Jakob et Brendan MacFarlane a également évacué les problèmes formels en installant le musée dans de multiples coques oblongues, couvertes extérieurement d’aluminium et intérieurement de bois, offrant ainsi aux salles d’exposition une belle et cryptique monumentalité.
Finaliste du concours, la proposition de l’Américain Peter Eisenmann, associé à l’Espagnol Felice Fanuele, témoigne malheureusement des conséquences de la confusion entre philosophie et architecture : le visqueux entremêlement de toitures, rampes et façades répandu sur le terrain ne donne qu’une illustration très approximative de la philosophie dont l’architecte s’inspire – celle de Jacques Derrida. Il a en outre fait craindre, au-delà de simples difficultés de fonctionnement, la captation de l’attention des visiteurs au détriment des œuvres présentées. Mention spéciale du jury, le projet de Francis Soler s’est distingué par son audace débridée : méduse géante échouée sur le bord de la Seine, ou empreinte primitive d’une patte à quatre doigts habillée de pierre (distribuant les collections d’Asie, d’Océanie, d’Afrique et des Amériques), la proposition entend jouer de la polysémie pour évoquer les transferts symboliques entre nature et culture qui donnent toute leur cohérence aux arts et artisanats “premiers”.
À l’issue du parcours de l’exposition des projets, au Centre Pompidou, force est de reconnaître que la réponse apportée par Jean Nouvel est certainement la plus équilibrée, alliant l’habileté urbaine à une évocation sensible, toute en mystère et sensualité, des cultures animistes : simple lame décollée du sol, tapie dans l’intériorité d’un jardin luxuriant, le musée invite très simplement à découvrir les œuvres dans un cadre en résonance avec leur objet.
- CONCOURS INTERNATIONAL D’ARCHITECTURE DU MUSÉE DU QUAI BRANLY, jusqu’au 5 juin , Centre Georges Pompidou, galerie du musée, niveau 4, tlj sauf mardi 11h-21h. Commissaire : Olivier Cinqualbre.
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Quatorze projets pour un musée
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°103 du 14 avril 2000, avec le titre suivant : Quatorze projets pour un musée