Musique

Chronique

Musique : comment inverser la courbe du public

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 24 juillet 2018 - 620 mots

Classique. L’expérience est toujours saisissante : constater avec quelle fluidité et quelle rapidité les quelque 2 400 spectateurs d’un concert à la Philharmonie de Paris parviennent à se glisser hors de la grande salle Pierre-Boulez, pour ensuite, pour nombre d’entre eux, s’agglutiner sur l’étroit quai du métro Porte-de-Pantin.

En attendant, un peu anxieusement, la rame, les commentaires sur le concert du soir fusent, les yeux se plongent dans la lecture du programme et c’est l’occasion, pour votre serviteur, de tenter de scruter ce public. Car l’affaire était entendue : le public des concerts classiques est élitiste, âgé, et, plus préoccupant, ce vieillissement s’accélérerait. Le diagnostic d’une mort lente paraissait sans appel.

Mais voilà que la Cité de la musique - Philharmonie de Paris et le ministère de la Culture publient les résultats d’une large enquête montrant les effets d’une politique volontariste de programmation sur le rajeunissement et le renouvellement des publics, conclusions dont devrait s’inspirer tout opérateur culturel. 38 185 questionnaires ont été recueillis auprès de visiteurs âgés de 15 ans et plus, durant la saison de septembre 2016 à août 2017, succédant à l’ouverture du nouveau lieu. L’âge moyen de l’auditeur d’un concert classique à la Philharmonie est de 51,3 ans. En 2013-2014, l’Association française des orchestres l’avait évalué à 54,1 ou 57,7 ans (selon la population retenue), après avoir distribué trois fois moins de questionnaires mais dans différents lieux. En 2015, le sociologue Stéphane Dorin affirmait un âge médian de 61 ans, contre 36 ans en 1981 ! En 2008, les statisticiens du ministère de la Culture avaient relevé qu’une personne indiquant avoir assisté au moins à un concert classique au cours des douze derniers mois avait 41 ans en 1981, mais 10 ans de plus à la date de l’enquête. La diversification des goûts musicaux était avancée comme explication, les jeunes générations de l’époque avaient été bercées au rock, aux variétés, aux musiques dites « amplifiées » et leur restaient fidèles en vieillissant. La programmation mise en œuvre par le président de la Philharmonie, Laurent Bayle, l’attrait pour un nouveau bâtiment signé Jean Nouvel montrent donc qu’il est possible d’inverser une telle courbe.
 

97 % de satisfaits dans le public

Le résultat est encore plus significatif si l’on considère l’ensemble du public du nouvel établissement culturel, celui qui vient aux autres concerts, qui visite les expositions et le Musée de la musique. Son âge moyen est de 47,9 ans, comparable à celui de la population française âgée de 15 ans et plus (48 ans). 30 % des personnes interrogées déclarent être venues pour la première fois, et ce chiffre grimpe à 55 % pour les expositions ou le Musée, ouvert lui en 1997. En 2016, les expositions « Le mythe Beethoven » et « Matthieu Chedid rencontre Martin Parr » ont attiré de nouveaux et jeunes amateurs, comme la programmation de week-ends thématiques à des tarifs attractifs et celle d’ateliers éducatifs. La musique classique survit si elle est proposée au sein d’une offre variée et intelligente.

Le niveau de diplôme reste, lui, clivant : 65 % des publics de la Philharmonie ont un diplôme bac + 3, niveau atteint par 21 % seulement de la population francilienne. Mais cette segmentation vaut pour la fréquentation d’autres lieux culturels. En 2016, le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) rappelait que 72 % des bac + 3 avaient visité un musée dans l’année, contre 15 % seulement des non-diplômés.

Enfin, la Philharmonie peut se féliciter d’un très haut niveau de satisfaction : 97 % des publics se réjouissent de leur expérience. Ces résultats remarquables ne sont qu’un début et pourraient devenir une base statistique redoutable pour les successeurs de Laurent Bayle. Les enquêtes seront renouvelées et les tutelles ne manqueront pas d’exiger l’amplification de la dynamique amorcée.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Musique : comment inverser la courbe du public

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