En Tunisie, le nouveau ministre de la Culture, Mohamed Zine El Abidine, veut donner un autre élan à la politique culturelle.
Point de départ du « printemps arabe » avec la chute du président Ben Ali le 14 janvier 2011, la Tunisie est le seul pays à avoir jusqu’à présent réussi sa transition démocratique. Après trois années d’un gouvernement dominé par les islamistes d’Ennahda, une coalition menée par le parti moderniste anti-islamiste Nidaa Tounès et dans laquelle figurent des représentants d’Ennahda dirige le pays depuis 2015. Un nouveau chef du gouvernement, Youssef Chahed, a été nommé le 3 août 2016 et Mohamed Zine El Abidine a été nommé ministre des Affaires culturelles. Le nouveau ministre entretient des rapports étroits avec la France pour y avoir étudié et enseigné. Il nous a indiqué être notamment titulaire d’un doctorat en musicologie (université Paris-IV) et auteur d’une thèse (1998) en sociologie culturelle (Paris-V). Il s’est spécialisé dans les politiques culturelles. Il a dirigé pendant plusieurs années l’Institut de musicologie de Sousse et l’Institut de musique et de musicologie de Tunis.
Dans quelles circonstances avez-vous été nommé ministre des Affaires culturelles ?
Youssef Chahed, le chef du gouvernement, a choisi quelqu’un sur dossier, c’est dans sa manière de faire. J’ai eu un entretien avec lui, il a auditionné plusieurs candidats et finalement son choix s’est porté sur moi. Le périmètre de ce ministère est large, trop large ! Il concerne le patrimoine, le spectacle vivant, le livre, les industries culturelles, il assure l’essentiel du financement de la culture en Tunisie.
Quelle peut être alors votre priorité des priorités ?
Elle très claire, nous voulons développer les régions. Il nous faut sortir de la centralisation autour de la capitale Tunis. Pour ce faire, nous avons lancé il y a deux mois un programme intitulé « Tunisie, cité des arts » afin de faire de chaque gouvernorat une cité des arts. Je suis déjà allé dans 13 des 24 gouvernorats. Le principe en est le suivant. Nous commençons par inaugurer une « place des arts », ce qui n’a jamais existé, une place publique que l’on occupe toute la journée avec des orchestres, des installations, des expositions et surtout une tente qui va accueillir des débats. Les habitants sont invités à exprimer leurs demandes en matière culturelle et à proposer des projets. Nous avons déjà enregistré 400 demandes de projets.
Saisissons l’esprit du 14 janvier [2011] pour dire que la Tunisie a changé. Le ministère de la Culture doit se racheter, après six décennies de silence, d’État-parti, de culture formaliste et autoritaire. Il est grand temps que ce débat soit lancé avec la société civile. Malheureusement, même après le 14 janvier, le rapport de ce ministère avec la société civile n’avait pas beaucoup changé.
Ce programme n’est-il pas une façon de lutter contre les incursions de Daech dans ces zones frontières avec la Lybie et plus généralement contre l’islamisme radical en Tunisie ?
Il faut faire de ce pays un pays de culture, de créativité, d’imagination, de goût, c’est l’objectif, et si l’objectif est atteint, tout le reste disparaîtra, y compris l’islamisme radical. Il faut inciter à l’intelligence, traduire le meilleur de la vie, en libérant cette énergie créatrice, en incitant les artistes à exprimer le meilleur d’eux-mêmes, dans les cités, y compris dans les quartiers les plus menacés et vulnérables. La Tunisie a plusieurs fois été dans l’histoire une capitale mondiale, ce pays est appelé à être lui-même.
Quelle est la situation du tourisme depuis les attentats au Musée du Bardo et ceux de Sousse en 2015 ?
Il y a eu une baisse importante du nombre de touristes après ces attentats, entraînant pour le secteur culturel une perte de recettes dans les sites archéologiques. Notre premier objectif est d’éviter de nouveaux attentats en renforçant nos mesures de sécurité, afin que la confiance des touristes se rétablisse. Nous notons une lente reprise. Les Journées théâtrales de Carthage, l’exposition au Qsar es-Saïd (lire ci-contre), l’exposition « Les lieux saints partagés » (produite et montrée au MuCEM, à Marseille) qui vient d’ouvrir au Bardo, montrent que la Tunisie peut organiser de grandes manifestations internationales.
Pour en revenir à votre volonté de décentraliser, comment allez-vous financer ces projets ?
Nous sommes en train de discuter le projet de budget pour 2017. Le budget de la Culture devrait augmenter de 13 % pour s’établir à 258 millions de dinars [105 millions d’euros] et une grande partie de cette augmentation, soit 30 millions de dinars, devrait aller à ce programme.
L’ancienne ministre de la Culture, Latifa Lakhdar, a indiqué en 2015 que 70 % du budget du ministère est destiné au paiement des salaires, dont la part a augmenté avec l’embauche massive, laissant peu de marge de manœuvre.
Je conteste ce chiffre, pour moi c’est beaucoup moins.
Le chef du gouvernement a indiqué qu’il consacrait deux heures par jour à lutter contre la corruption ; quelle est la situation au ministère de la Culture ?
Je passe moi aussi beaucoup de temps à lutter contre la corruption, le clientélisme, le clanisme, le népotisme. J’ai moi-même été dans le passé la victime de ce système. La bonne gouvernance et la lutte contre la bureaucratisation et la trop grande centralisation sont des objectifs stratégiques. Au-delà du fonctionnement de l’administration, je voudrais revoir le statut des artistes, qui sont souvent dans une grande précarité.
Quelles sont vos autres priorités ?
Notre deuxième programme, intitulé « Tunisie, cité des civilisations », vise à valoriser notre patrimoine. Nous voulons d’abord réconcilier les Tunisiens avec leur mémoire, qui est un peu délaissée quand on observe le taux de fréquentation des Tunisiens dans les musées et lieux patrimoniaux. Et pourtant le patrimoine de notre pays est incroyablement riche et ancien. Une équipe d’archéologues vient de découvrir dans l’oasis de Nefta des vestiges qui pourraient être âgés de plus de 80 000 ans, entre le Paléolithique moyen et supérieur. Nous voulons donc améliorer la médiation dans les sites archéologiques. Il nous faut également moderniser les infrastructures existantes, et optimiser le taux d’encadrement dans ces sites. Nous allons aussi inaugurer à l’automne 2017 une gigantesque « cité de la culture » à Tunis. Ce projet, qui date de 2004 et a connu bien des vicissitudes, va occuper une surface bâtie de 50 000 m² sur un terrain de 9 hectares. Il comprendra un opéra de 1 700 places, deux théâtres, un musée d’art moderne, la cinémathèque nationale, des studios d’enregistrement, des commerces, des restaurants.
Quel est le contenu du jumelage des ministères français et tunisien de la Culture, signé en août 2016 et doté d’1 million d’euros ?
C’est un accord de coopération technique avec des échanges professionnels. Le contenu sera défini plus précisément lors de la venue prochaine d’Audrey Azoulay [ministre de la Culture].
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Mohamed Zine El Abidine : « Saisissons l’esprit du 14 janvier ! »
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Mohamed Zine el-Abidine © Photo Amine Landoulsi/Anadolu Agency
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°469 du 9 décembre 2016, avec le titre suivant : Mohamed Zine El Abidine : « Saisissons l’esprit du 14 janvier ! »