Depuis 2011, artistes et galeristes du Moyen-Orient pallient les carences des pouvoirs publics pour diffuser un art qui veut transcender les frontières.
TUNIS - « Dans le monde occidental, les acteurs du monde de l’art sont bien déterminés, ont des rôles structurés organiquement, et se rencontrent régulièrement. Mais dans le monde arabe, ces grands rendez-vous n’en sont qu’à leurs balbutiements : il nous faut identifier les acteurs et les aider à se constituer en communauté ». Pour Lina Lazaar Jameel, il est grand temps que les énergies produites par les révolutions arabes de 2011 se concrétisent et se structurent. La jeune femme œuvre à promouvoir les artistes de la scène arabe au sein de la Fondation Kamel Lazaar, créée en 2005 par son père. Experte chez Sotheby’s, elle est à l’origine de la Jeddah Art Week en Arabie Saoudite depuis 2013.
En mai, elle a réuni pendant trois jours à Tunis acteurs et porteurs de projets artistiques, pour échanger de manière informelle leurs expériences au Maroc, en Angleterre, au Liban, en Algérie, et en France. Pour sa deuxième édition, Jaou Tunis s’est employé à faire le point sur les centres d’art contemporain au Maghreb. « Mais il faut passer au-dessus du cadre régional, rappelle en préambule Kamel Lazaar, et interroger dans un contexte global pour un dialogue des civilisations. »
À Tunis, deux ans après les émeutes qui ont éclaté lors de la Foire d’art contemporain en 2012, lors desquelles des extrémistes religieux avaient saccagé des œuvres d’art jugées « blasphématoires », l’atmosphère semble plus apaisée. Les galeristes et les artistes, malgré les troubles et l’instabilité politique, ont continué de travailler et d’exposer. Si la médiatisation des printemps arabes a braqué les projecteurs sur l’émergence de toutes parts d’une scène artistique au Maghreb et au Machrek (Irak, Syrie, Liban, Jordanie et Palestine), il s’agit maintenant de créer des liens, des collections, des résidences, des « réseaux » pour les arts plastiques et pour les artistes d’affirmer leur travail sans pour autant le réduire à l’imagerie révolutionnaire. Beaucoup ont investi le street art, forme d’expression qui transcende les aires géographiques.
Une mobilisation surtout privée et institutionnelle
À défaut de solutions proposées par des gouvernements en pleine tourmente, les initiatives sont largement venues du privé et de certaines institutions étrangères, à l’image de l’Institut Français, très actif à Tunis, et des émirats, où l’on guette avec application l’émergence de nouveaux talents à soutenir. La Fondation Kamel Lazaar a créé la revue en ligne Ibraaz, une plate-forme de données sur les artistes arabes qui a pour mission de recenser et d’étudier la scène artistique contemporaine de la région. À Jaou Tunis, durant le colloque, les organisateurs ont fait le lien entre différentes initiatives et institutions privées, avec l’envie que ce réseau informel tissé rende visibles les forces vives. Peu de galeries tunisiennes ont une présence à l’étranger : entre La Marsa et Sidi Bou Saïd, les beaux quartiers limitrophes de Tunis, les galeries se serrent les coudes, et commencent à exposer à Londres et Dubaï. Pour la première fois, Tunis accueille en mai le Salon d’Automne international, avec 111 artistes représentés. Une initiative organisée au pied levé en à peine un mois : les structures commencent à relever le défi de l’international.
Le gouvernement tunisien actuel, fruit de l’alliance d’indépendants, a succédé en janvier au gouvernement du mouvement Ennahda, parti politique islamique. Le même mois, la Constitution en cours d’élaboration depuis 2011 a été adoptée, garantissant certaines libertés fondamentales ; libertés d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication et accordant une place réduite à l’islam. Des élections devraient avoir lieu à la fin de cette année, pour doter le pays de structures pérennes. Dans un pays où l’état d’urgence en vigueur depuis 2011 n’a été levé qu’en mars dernier, la priorité est de redresser la balance commerciale, le tourisme est donc devenu un enjeu clé pour l’économie. Les récentes déclarations du ministre de la Culture tunisien Mourad Sakli en matière de valorisation du patrimoine n’y sont sans doute pas étrangères : volonté de classement à l’Unesco de l’île de Djerba, recensement du patrimoine matériel et immatériel, création de commission consultatives culturelles en région… En matière de culture, l’art contemporain n’est pas encore une priorité.
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En Tunisie, l’art contemporain cherche son réseau
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Abonnez-vous dès 1 €Le Palais Abdellia, à La Marsa, Tunis, futur siège de la fondation Kamel Lazaar. © Khaled Ayed Architecte.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°414 du 23 mai 2014, avec le titre suivant : En Tunisie, l’art contemporain cherche son réseau