Dans les années 1920-1930, suivant l’exemple de Josef Hoffmann, Robert Mallet-Stevens construit des hôtels particuliers dont il dessine jusqu’au mobilier. Retour sur la carrière du maître fasciné par l’esthétique moderne.
Le cheveu lissé, le costume impeccable, une préférence affichée pour la cravate au détriment du nœud papillon réglementaire en vigueur chez ses confrères – on pense en particulier à Le Corbusier –, Robert Mallet-Stevens était toujours tiré à quatre épingles, élégant même lors des visites de chantier. Pas étonnant alors si une image de dandy de l’architecture moderne lui est restée longtemps attachée. Il aurait suffi d’ailleurs de jeter un coup d’œil dans son carnet d’adresses, lequel regorgeait alors des grands noms de l’élite parisienne de la haute couture et du luxe, pour en déduire que cette réputation, il ne l’avait sans doute pas volée. Or cette étiquette d’« architecte mondain » aurait, semble-t-il, empêché d’apprécier l’œuvre à sa juste valeur. C’est du moins l’avis des organisateurs de l’exposition « Robert Mallet-Stevens, architecte (1886-1945) », au Centre Pompidou, à Paris, qui entend « rendre sa véritable place » à cette figure emblématique de l’entre-deux-guerres. Leur but : « Retrouver, derrière cette silhouette, le créateur. Mettre en avant le professionnel – le grand professionnel – qu’il a été. » En clair, il s’agit d’un vaste exercice de « réhabilitation » de l’œuvre de Robert Mallet-Stevens, sinon du personnage lui-même. Le troisième en un quart de siècle.
Une carrière fulgurante
En 1980 déjà, l’architecte français avait, en quelque sorte, été célébré au travers d’une monographie exhaustive publiée par les Éditions des Archives d’architecture moderne, à Bruxelles, « premier jalon dans la reconnaissance contemporaine de l’architecte ». Le deuxième interviendra six ans plus tard lors du centenaire de la naissance de Mallet-Stevens, lequel provoque une sorte d’« engouement commémoratif » soudain (exposition à Paris, Villeneuve-d’Ascq, Bruxelles et Tours ; monographie consacrée à la villa Noailles ; « redécouverte » de la villa Cavrois…). Cette fois, l’exposition que présente le Centre Pompidou se veut la première rétrospective d’envergure, en France, dédiée à Mallet-Stevens – mort à Paris, le 8 février 1945, des suites d’une grave maladie. Dessins et tirages photographiques originaux, meubles, extraits de films, ainsi qu’une série de maquettes réalisées pour l’occasion retracent ainsi, de manière chronologique, la carrière fulgurante, environ une quinzaine d’années, et néanmoins prolixe de cet architecte hors pair. Pour rassembler les documents ici montrés, il a fallu se soumettre à un minutieux travail de recherche, Mallet-Stevens ayant lui-même demandé, on ne sait vraiment pourquoi, que ses propres archives soient détruites à sa mort. Ce qui, en passant, explique peut-être aussi la rareté des manifestations qui lui ont été consacrées.
Robert Mallet-Stevens est né « Mallet » le 24 mars 1886, à Paris. Son père, Maurice André Mallet, expert en tableaux, est un proche des peintres impressionnistes. Sa mère, Juliette Stevens, est la fille d’Arthur Stevens, un important collectionneur d’art belge. Le jeune Robert accolera le nom de sa mère à son nom de famille en 1903, au moment où il entre à l’École spéciale d’architecture, à Paris, d’où il sortira diplômé le 17 octobre 1906. C’est d’ailleurs au cours de ses études que Mallet-Stevens découvrira une architecture qui va fortement l’influencer : celle du maître d’œuvre viennois Josef Hoffmann, lequel construit à l’époque, à Bruxelles, un « palais » pour son oncle et sa tante – Adolphe et Suzanne Stoclet –, dont il suit assidûment le chantier. Jusqu’en 1923 pourtant, l’architecte, alors âgé de 37 ans, est tout sauf un praticien. Observateur finaud de cette architecture moderne en marche, il se mue d’abord en journaliste et publie, dans plusieurs revues étrangères, des dessins d’aménagements intérieurs et des textes sur l’architecture moderne, telles ces « Notes from Paris », dans la revue anglaise Architectural Review (1907-1908) ou les « Lettres de Paris » dans le magazine belge Tekhné (1911). Mallet-Stevens écume également les Salons d’automne, où il expose des séries d’esquisses, en noir et blanc, qui représentent « les principales réalisations architecturales qui constituent une ville moderne ». Il n’est pas encore la vedette qu’il deviendra lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, où il conçoit les pavillons pour le Syndicat d’initiative de Paris et celui du Tourisme. Encore moins celle de l’Exposition internationale des arts et des techniques dans la vie moderne, en 1937, où il construit une flopée de pavillons : celui de l’Électricité et de la lumière, de la Régie des tabacs, de l’Hygiène, et enfin de la Solidarité nationale.
Au début des années 1920, Mallet-Stevens découvre un domaine qui, pour lui, va être déterminant : le cinéma. Il devient alors décorateur de films, enchaîne les collaborations comme on enfile des perles, la plus précieuse restant évidemment celle qu’il tissera avec le réalisateur Marcel L’Herbier (Le Vertige et surtout L’Inhumaine). « L’influence du décor de théâtre ou de cinéma sur l’architecture n’a pas toujours été heureuse, nuance-t-il, lucide, dans une conférence intitulée « Le nouveau visage de l’art : les décors et l’architecture » (1). L’architecte travaillant dans les ateliers de décors a composé une architecture un peu spéciale, une architecture photogénique, une architecture quelquefois arbitraire, destinée à servir à un mouvement, à une dynamique prévue. » Mais il ajoute, néanmoins convaincu : « L’architecture de décor (de théâtre ou de cinéma), en servant de base, a permis d’épurer, de simplifier, de voir clair, de composer grand. Elle a fait comprendre le charme des belles lignes géométriques. Elle a montré l’inutilité des détails décoratifs exagérés. Elle a laissé entrevoir des constructions saines et logiques… »
« Aucune note discordante »
Mallet-Stevens s’en forge une philosophie dont il ne dérogera point. Celle-ci viendra s’ajouter à un autre enseignement de taille, qu’il avait tiré lors du Salon d’automne de 1911. Mallet-Stevens y avait alors constaté le désir de certains artistes et décorateurs « de lier ensemble tous les arts, de créer une unité ». Dans leurs réalisations, rapporte-t-il, à l’époque, dans la revue belge Tekhné (n° 31, 1911), « l’architecture, la peinture, la sculpture se tiennent, se combinent, se complètent, s’apportent mutuellement les ressources de leur décoration. Et cela est fait avec une simplicité. Il semble que l’on se promène dans une maison, dans la maison d’un artiste n’ayant aucune note discordante, sachant juxtaposer des teintes qui s’harmonisent et des lignes heureuses … ».
Lorsqu’en 1921 arrive sa première commande ferme – un « château » pour le couturier Paul Poiret, à Mézy, dans les Yvelines –, le voilà donc paré. S’enchaîneront ensuite, à un rythme effréné, moult projets : du mobilier, des aménagements intérieurs de paquebots, la décoration de bureaux et de salles de réunion pour des sociétés commerciales ou bancaires (Paris), un garage pour Alfa Romeo (Paris), la caserne de pompiers de la rue Mesnil (Paris), le casino de Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques), la maison-atelier du maître verrier Louis Barillet (Paris), les magasins Bally et Cafés du Brésil (Paris), des hôtels particuliers (celui de Mme Collinet, à Boulogne-Billancourt, les cinq de la rue Mallet-Stevens, à Paris…) et, bien sûr, des villas (celle du vicomte Charles de Noailles, à Hyères (Var), celle de l’industriel Paul Cavrois, à Croix (Nord), celle de M. Trapenard, à Sceaux (Hauts-de-Seine)…). Nombre de ses réalisations sont aujourd’hui devenues mythiques. Quelques-unes, en revanche, n’ont pas dépassé le stade du mythe. Ainsi en est-il de cette « grande villa », au Brésil, qui n’a « jamais pu être localisée ». Idem avec cette autre maison particulière, à Westende (Belgique), qui n’a, pour l’heure, « toujours pas été identifiée ». Réelles ou imaginaires, ces demeures ont néanmoins toutes contribué à façonner la légende Mallet-Stevens
(1) reproduite dans Conférencia n° 18, 1927.
À l’occasion de cette exposition paraissent, notamment, deux ouvrages consacrés à l’œuvre de Robert Mallet- Stevens. Le premier, qui s’intitule Robert Mallet-Stevens, l’œuvre complète (1), sous la direction d’Olivier Cinqualbre, commissaire de l’exposition, se présente comme « la première publication scientifique » consacrée à l’architecte. Il analyse en profondeur sa formation et ses influences initiales, et constitue un catalogue raisonné de l’ensemble de ses projets et réalisations. Le second ouvrage, Robert Mallet-Stevens, la villa Cavrois (2), par Richard Klein, se focalise, lui, comme son nom l’indique, sur ce qui est un peu le grand œuvre de Mallet-Stevens : la villa que l’architecte construit entre 1929 et 1932 pour l’industriel Paul Cavrois, à Croix, près de Roubaix. L’auteur décortique non seulement la genèse de ce projet exceptionnel, mais aussi les aléas politico-administratifs qui suivirent, jusqu’à l’achat de l’édifice par l’État, en 2001. (1) Éditions du Centre Pompidou, 240 p., 400 ill., 39,90 euros, ISBN 2-84426-270-8, parution le 27 avril (2) Éditions Picard, 232 p., 110 ill., 38 euros, ISBN 2-7084-0729-5
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Mallet-Stevens, l’architecte dandy
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°213 du 15 avril 2005, avec le titre suivant : Mallet-Stevens, l’architecte dandy