Les dictatures au Portugal ou au Chili, l’immigration latino-américaine aux États-Unis, la répression en Iran, la mémoire post-coloniale à Cuba, l’idéologie franquiste en Espagne, le capitalisme sauvage en Chine : à travers le thème « Interfaces » qui interroge le genre du portrait comme « machine à communiquer », le politique habite le festival PHotoEspaña11 (PHE), à Madrid.
Nommé commissaire pour trois ans, le critique cubain Gerardo Mosquera, fondateur de la Biennale de La Havane et l’un des anciens conservateurs du New Museum of Contemporary Art à New York, opère un virage radical en déplaçant la XIVe édition de PHE dans le champ de l’art contemporain. Une transition qui reste inaboutie. « PHE va pousser à l’extrême la réflexion déjà amorcée sur “le photographique” en développant le concept de “condition photographique”, défend Gerardo Mosquero. Le programme multimédia, déployé en 66 expositions, réunit 370 artistes de 55 pays. Il fait le grand écart entre des portraits du Fayoum (Égypte, Ier-IVe siècle), présentés comme des « passeports primitifs pour l’Au-delà », et leurs sosies conceptuels qu’incarnent des immigrés en partance dans la vidéo-performance de l’Albanais Adrian Paci (Musée archéologique national). Des séries phares de Thomas Ruff et Cindy Sherman relisent les liens entre identité, représentation et communication dans l’exposition « 1 000 caras [visages]… » (Alcalá 31) à partir des portraits précurseurs au XIXe siècle de Frank Montero, un inconnu mexicain qui se représente en chanteur d’opéra, en journaliste, en moine…
La photographie est inégalement défendue à travers « Un monde heureux » (Casa de America), qui présente une vision idéalisée du melting-pot au Panama par l’Équatorien méconnu Carlos Endara (1865-1954) ; le glamour de « Ron Galella, paparazzo extraordinaire » (Circulo de Bellas Artes), des instantanés maîtrisés de « people » traqués par ce photographe de presse américain ; ou le « gothique tropical » des portraits de prostituées par le Colombien Fernell Franco. Sous le commissariat du postmoderne Gerardo Mosquera, l’exposition collective centrale « Face contact » (théâtre Fernán-Gómez) déconstruit la métaphore de l’interface : trente et un artistes inversent les positions entre regardeur et regardé. Ainsi du portrait par Juan Downey d’un Indien d’Amazonie en train de nous filmer dans la jungle, ou des représentations d’immigrées par Marta Soul en parodie du portrait bourgeois. La blogueuse dissidente cubaine Yonia Sánchez, interdite de sortie dans son pays, photographie ceux qui la surveillent, une œuvre manifeste qu’elle se risque à montrer à PHE.
Dans un accrochage dépassé, l’influent commissaire chinois Hou Hanru convoque quinze artistes, en majorité asiatiques et arabes (Shahzia Sikander, Wong Hoy Cheng, Harma Abbas/Serkan Taycan) autour des utopies/dystopies qu’examine l’exposition « Le pouvoir du doute » (Museo Ico). Touffue, illisible, « Le mouvement de la photographie ouvrière 1926-1939 » (Musée Reina-Sofía) compile à partir du journal allemand AIZ plus de 1 000 photos de propagande produites par des amateurs et des figures gauchistes telles que Tina Modotti, mêlées à des scènes anachroniques de la Commune de Paris. Sans nuances, PHE11 oppose les documents d’une rare violence sur le quotidien à Caracas (Juan Toro) ou au Honduras (Mauricio Palos), dans la section « Découvertes » (Institut Cervantes), à l’oisiveté de la grande bourgeoisie française saisie par Jacques Henri Lartigue dans « Un monde flottant » (Caixa Forum). Cette édition de transition passée, le festival devrait retrouver son vrai visage.
Jusqu’au 24 juillet, « Interfaces », divers lieux à Madrid, www.phe.es. Catalogue (espagnol/anglais), éd. La Fabrica, Barcelone, 216 p., 24 euros, ISBN 978-8-49284-193-6.
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Madrid et ses « Interfaces »
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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°351 du 8 juillet 2011, avec le titre suivant : Madrid et ses « Interfaces »