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HISTOIRE

L’Institut Luce célèbre son premier centenaire

Fondé en 1924, en Italie, pour servir d’outil de propagande au régime fasciste, l’Institut d’archives audiovisuelles conserve 77 000 films et 5 millions de photographies dont un grand nombre est numérisé.

Rome (Italie). Luce : peu d’Italiens sont capables de décomposer cet acronyme, mais tous connaissent cette institution publique qui conserve et valorise depuis un siècle la mémoire audiovisuelle du pays. C’est la plus ancienne au monde consacrée à la diffusion de films à des fins éducatives et informatives d’où son nom : l’Union cinématographique éducative. Fondé en 1924, à l’aube des deux décennies de dictature fasciste sous laquelle a vécu l’Italie, cet organisme était devenu un outil de propagande particulièrement efficace pour le régime de Benito Mussolini.

C’est pourtant une modeste société anonyme qui voit le jour au tout début de l’année 1924 sous le nom de Sindacato Istruzione Cinematografica (SIC). Son but est de développer l’usage du cinématographe en tant qu’auxiliaire didactique dans les écoles. À l’origine du projet, un avocat et un journaliste spécialisé dans le septième art – qui sera à l’origine de la naissance du Festival de Venise dans les années 1930 –, Luciano De Feo (1894-1974). Il en sera le premier secrétaire général. Mais sa société n’a pas les fonds nécessaires pour se développer, d’autant que les pouvoirs publics négligent les problématiques liées à l’éducation. Pour éviter la faillite, Luciano De Feo convainc les proches collaborateurs du Duce de l’utilité du cinématographe dans le projet de ce dernier de faire naître un « homme nouveau fasciste ». Le cinématographe, récente invention à l’époque, est en train de se démocratiser et constitue un canal idéal pour s’adresser aux masses.

Des projections de films obligatoires au service du pouvoir

Benito Mussolini, ancien journaliste, comprend immédiatement le rôle essentiel que peut jouer cette société. Le dictateur change son nom en « Luce » en juillet 1924 et l’année suivante le transforme en Institut national au service de sa propagande avec la mission de produire des courts-métrages et des films d’actualités afin de garantir son contrôle sur l’information. Le 3 avril 1926, un décret-loi rend obligatoire la diffusion de ces films dans toutes les salles d’Italie : « Les exploitants des salles de cinéma ont l’obligation d’inclure, dans le programme des spectacles, la projection de films ayant pour but l’éducation civique, la propagande nationale et la culture », (article 1).

Le développement de l’Institut Luce est alors vertigineux. En 1927, la suppression des journaux filmés indépendants est entérinée consacrant l’omniprésence d’un « Cinegiornale Luce », ancêtre des journaux télévisés, projeté avant toutes les séances cinématographiques. Il exalte les grandes réalisations du régime et de son dictateur, et se fait l’écho des événements internationaux. « En 1928, 201 “Cinegornali” sont réalisés, soit presque un par jour, rappelle Enrico Bufalini, directeur de l’Archivio Storico Luce depuis 2012. 1928 est également l’année d’un nouvel essor de l’Institut Luce qui remporte l’appel d’offres européen pour filmer les Jeux olympiques d’Amsterdam. En 1938, il comptait déjà 800 employés au sein d’un vaste bâtiment près de Cinecittà. »

Le slogan « La cinematografia è l’arma piu forte » [Le cinématographe est l’arme la plus puissante] était proclamé sur les banderoles déployées au moment de l’inauguration des studios l’année précédente avant d’être inscrit au fronton de cette nouvelle institution. Comme celle qui l’a précédé et avec laquelle elle est désormais intimement liée, elle vise à éduquer les masses en renforçant la propagande sur les racines romaines, l’italianité, les valeurs traditionnelles, les grands travaux qui se multiplient dans toute la Péninsule, le colonialisme (au moment de l’invasion de l’Éthiopie), le militarisme (au moment de la guerre d’Espagne) ou encore l’anticommunisme. Le tout sur fond de culte de la personnalité avec comme héros principal des films produits : Benito Mussolini.

Des archives numérisées accessibles au public

L’Institut Luce survit à la chute de la dictature dont elle a été le porte-voix pendant près de vingt ans. Après la Seconde Guerre mondiale, d’autres contenus enrichissent son catalogue et ses archives, notamment des documentaires, qui racontent la société italienne et ses évolutions jusqu’à l’avènement de la télévision. L’Institut Luce fait dès lors office de mémoire historique du pays conservant plus de 77 000 films et plus de 5 millions de photographies de l’orée du XXe siècle à nos jours. « Ce n’est pas seulement une mine qui contient d’innombrables trésors dont certains n’ont pas encore été visionnés mais, comme dans les barrières de corail, on peut toujours ajouter de nouveaux éléments, explique Chiara Sbarigia, présidente de Cinecittà depuis 2021 en charge des archives Luce. Nous avons ainsi lancé des collaborations avec d’autres centres historiques, des musées, des universités… » L’Institut Luce a ainsi rejoint en 2013 le programme « Mémoire du monde » de l’Unesco visant à sensibiliser la communauté internationale à la richesse du patrimoine documentaire, à la nécessité d’assurer sa conservation et aux efforts pour le rendre accessible au plus grand nombre.

Comme il y a cent ans lorsque l’Institut Luce a été fondé, l’Italie a été à l’avant-garde avec une mise en ligne d’une partie de ses fonds dès 2001 alors qu’Internet n’était qu’à ses balbutiements. En 2012, plus de 30 000 vidéos étaient déjà disponibles sur le réseau YouTube. Parallèlement, un vaste programme de restauration des pellicules a été lancé pour assurer leur pérennité par la numérisation [lire ci-contre]. « Les Archives Luce sont la biographie visuelle de notre pays, un outil unique pour tous ceux qui souhaitent comprendre le passé et s’orienter dans le présent, estime Chiara Sbarigia, présidente de Cinecittà. Avec les célébrations du centenaire de l’Institut Luce, nous voulons contribuer à la diffusion de ses films et photographies extraordinaires, en soulignant sa vitalité comme moteur, encore aujourd’hui, de l’art et de la culture. »

Restauration et numérisation des archives audiovisuelles

Conservation. Depuis 2010, l’Institut Luce a lancé un vaste programme de restauration de ses archives, bobines de films et photographies, pour accélérer le processus de numérisation. Jusqu’aux années 1950, les films étaient produits sur une pellicule à base de nitrate de cellulose qui les rend hautement inflammables. Pour améliorer les conditions de sécurité mais aussi gagner de l’espace, l’image et le son sont scannés à l’aide d’équipements spécialement conçus pour répondre aux exigences des archivistes. Actuellement 30 % du matériel de l’Institut Luce a été numérisé. Grâce aux fonds du plan de relance européen, l’objectif est d’atteindre les 70 % d’ici à 2026. Trois copies sont réalisées pour garantir la sécurité de conservation de ce patrimoine audiovisuel. Les bobines sont actuellement conservées dans des structures en béton armé et font l’objet d’un travail de catalogage et de restauration. Les équipes de l’Institut Luce procèdent également à la colorisation de films ou d’archives historiques. C’est le cas notamment pour la déclaration de guerre de l’Italie fasciste à la France et au Royaume-Uni, le 10 juin 1940. Au sein du Teatro 22 de Cinecittà, le recours à l’intelligence artificielle permet à la fois de reconstituer les parties manquantes de films ou d’archives conservées, mais également d’insérer des archives dans de nouvelles productions visant à les rendre plus accessibles.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°634 du 24 mai 2024, avec le titre suivant : L’Institut Luce célèbre son premier centenaire

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