MOSCOU / RUSSIE
Après le cinéma et les arts visuels, le régime veut mettre au pas le théâtre et prend ses distances d’avec le plus célèbre festival de théâtre russe, trop indépendant à son goût.
Le pouvoir russe étend son emprise sur le monde culturel. Dernier épisode en date, le retrait soudain par le ministère de la Culture russe de l’organisation du plus grand festival de théâtre russe. Avec un cynisme qui frise la naïveté, le vice-ministre de la Culture, Pavel Stepanov, argue dans une lettre adressée en octobre au metteur en scène Alexandre Kaliaguine qu’« il ne peut pas peser sur la moindre décision ». Jusqu’ici, le ministère faisait partie des organisateurs du « Masque d’or » (Zolotoïa Maska), une version russe élargie de la Nuit des Molières. Ce festival, âgé de 25 ans, offre pendant un mois la possibilité au public moscovite de voir les meilleurs spectacles du vaste pays, et s’achève sur une cérémonie de récompenses pour toutes les catégories de la scène : théâtre, ballet, opéra, marionnettes. C’était l’une des dernières institutions culturelles indépendantes du pays. Le Masque d’or est respecté pour avoir su maintenir une grande exigence artistique, une ouverture aux avant-gardes et un éclectisme. Il contribue aussi à mettre en lumière la production régionale. Mais il présente un gros défaut aux yeux du ministère : il est dirigé par des artistes, et non par des fonctionnaires.
Dans le même temps, le réalisateur et metteur en scène Andreï Kontchalovski (81 ans), connu en France pour ses films Oncle Vania (1970), Riaba ma poule (1994), et Runaway Train, à bout de souffle (2004) a proposé de fonder un nouveau prix d’État. S’il est bien vu du pouvoir actuel, Kontchalovski n’a jamais remporté la moindre récompense au Masque d’or, tandis que le metteur en scène Kirill Serebrennikov, en résidence surveillée, voit ses spectacles fréquemment sélectionnés et récompensés. Le ministère de la Culture n’a pas commenté la proposition de Kontchalovski, qui est par ailleurs le demi-frère du réalisateur Nikita Mikhalkov. Devenu un poids lourd politique grâce à sa proximité avec le président Vladimir Poutine, ce dernier est considéré comme le parrain du ministre de la Culture Vladimir Medinsky, qui ne peut rien lui refuser.
La mise sous tutelle qui se profile pour le théâtre est déjà intervenue dans le cinéma et les arts contemporains. Créé en 1988, le festival de cinéma russe « Nika », organisé par un collectif de cinéastes respectés, a peu à peu été supplanté par l’« Aigle d’or » fondé par Nikita Mikhalkov (encore lui) en 2002, et bénéficiant de puissants appuis politiques.
Dans les arts contemporains, le prix Innovation, créé en 2005, a été solidement repris en main en 2017 et s’appelle désormais « prix d’État Innovation ». Le jury, qui avait à plusieurs reprises nommé et récompensé des artistes contestant l’ordre établi, a été renouvelé et mis au pas. Les sélections des deux dernières éditions s’en sont trouvées nettement affadies.
Pour l’instant, les organisateurs du Masque d’or restent confiants quant à la pérennité du festival. Cette année, le ministère de la Culture l’a financé à hauteur de 27 % du budget total. Mais l’avertissement est clair. Tout comme l’était la tentative du ministère il y a trois ans de placer ses hommes au conseil des experts. Devant le refus de l’Union des gens de théâtre de Russie, le vice-ministre de la Culture d’alors, Vladimir Aristarkhov, s’était publiquement offusqué du « soutien systématique du Masque d’or pour les mises en scène contrevenant aux normes éthiques, provocantes et contenant des éléments de russophobie ».
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Le théâtre russe dans le viseur du pouvoir
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°509 du 19 octobre 2018, avec le titre suivant : Le théâtre russe dans le viseur du pouvoir