MOSCOU (RUSSIE) [24.05.17] – Sans lien apparent, pour l’instant, des policiers russes sont intervenus pour saisir des documents dans un lieu qui abrite des galeries d’art et dans le théâtre, proche, d’un réalisateur primé à Venise.
Le monde de la culture russe a été secoué mardi par plusieurs descentes de police dans un théâtre et dans une friche industrielle hébergeant les galeries d’art contemporain les plus réputées du pays. Cet épisode place à nouveau le pouvoir russe sous un jour négatif, en plein festival de Cannes et à moins d’une semaine de la visite de Vladimir Poutine à Versailles.
Le « bal masqué » (jargon russe pour désigner les descentes de police avec des policiers encagoulés) a démarré mardi matin au théâtre Centre Gogol. Puis au domicile de son directeur artistique Kirill Serebrennikov, un metteur en scène de théâtre et de cinéma réputé pour ses prises de position très critiques à l’égard du pouvoir politique.
En milieu d’après-midi, Serebrennikov a été convoqué à un interrogatoire, où il s’est rendu dans sa voiture personnelle, mais accompagné de policiers. Au moment de s’y rendre, Kirill Serebrennikov s’est dit « complètement sous le choc », ajoutant cependant que les policiers s’étaient comportés de manière courtoise avec lui. Selon un proche du metteur en scène, la police a agi sans mandat de la justice.
Le réalisateur, qui a reçu un lion d’or à Venise en 2012 pour le film Trahison, figure comme « témoin » dans une affaire de détournement de fonds publics à grande échelle. Une assistante de Serebrennikov, ainsi que la directrice du théâtre RAMT Sophia Apfelbaum ont également été entendues par la police. Le montant de la fraude est estimé à 200 millions de roubles par le Comité d’Enquête de Russie (3 millions d’euros). Une autre source policière citée par l’agence Interfax parle d’une somme totale de 25 millions de dollars.
Dans la soirée de mardi, une source du ministère de la Culture russe a confié au site meduza.io que « l’enquête criminelle » contre le Centre Gogol et Serebrennikov a été initiée par un procureur, à la suite d’une plainte déposée pour « langage ordurier, propagande de l'immoralité et pornographie » dans les mises-en-scènes du théâtre « financé par le contribuable. »
Dans un développement peut-être lié, des policiers ont aussi débarqués dans les bureaux de Winzavod, une ancienne brasserie moscovite reconvertie en « cluster culturel » hébergeant une dizaine de galeries d’art contemporain (XL, Glaz, 11.12, Regina, Pop/off/art, Pechersky, Osnova, Vladey, 21, etc). Selon Interfax, les enquêteurs, certains en uniforme, d’autres en civil, auraient saisi des documents et du matériel informatique dans les bureaux administratifs de Winzavod, sans perturber les galeries d’art. Malgré les témoins oculaires et deux vidéos postées sur des réseaux sociaux russes attestant la présence de policiers, la direction de Winzavod nie toute descente de police. Winzavod se situe à quelques centaines de mètres du Centre Gogol, d’où le rapprochement fait par de nombreux observateurs. On ignore dans le cadre de quelle enquête les policiers ont débarqué à Winzavod.
La réaction du milieu culturel a été immédiate : des dizaines d’artistes russes ont affiché leur soutien à Serebrennikov, dont l’illustre chorégraphe et danseur Mikhaïl Barychnikov, qui a réagi en accusant le pouvoir de « faire tout pour que chaque individu lui mange dans la main. »
À son habitude, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov refuse d’endosser la moindre responsabilité : « il ne s’agit ni de politique, ni de création. Le Kremlin n’a rien à en dire. Il ne s’agit que d’une banale opération. » Il se range derrière la position des enquêteurs, évoquant une simple affaire de détournement de fonds publics. Le ministre de la culture (qui est en froid avec Kirill Serebrennikov) affirme également n’avoir aucun lien avec les descentes de police. Même chose du côté du ministère de la culture de la ville de Moscou.
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La police russe fait une descente dans une friche d’art contemporain et dans un théâtre
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Légende Photo :
Vladislav Mamyshev-Monroe (1969-2013), photographie présentée à l'exposition An unfinished Berlin diary and other archival materials à la XL Gallery au Winzavod jusqu'au 20 juin 2017.
Vladislav Mamyshev-Monroe a été retrouvé noyé dans la piscine de son domicile à Bali en mars 2013. Grand défenseur de la cause gay et opposant de Poutine, Vladislav Mamyshev-Monroe devait présenté un autoportrait sous les traits de Vladimir Poutine à la fin du mois à Art Paris 2013.