Charles Saatchi a défrayé la chronique au début de l’été en offrant un important ensemble d’œuvres d’art contemporain à la Grande-Bretagne. Mais la gestion de ce fonds pose problème.
L’offre du collectionneur et marchand londonien Charles Saatchi de donner au peuple britannique un ensemble de 200 œuvres d’art contemporain d’une valeur estimée à 25 millions de livres sterling (28,5 millions d’euros) en a surpris plus d’un, y compris au gouvernement. Le ministre de la Culture britannique, Ed Vaizey, nous a confié que ses services n’avaient pas été informés au préalable de l’annonce de Saatchi. « [Ce geste] a l’air généreux et philanthropique, et un espace d’exposition indépendant appartenant à la nation est un modèle très attractif », déclare-t-il. N’est-il pas étonnant qu’un don soit annoncé avant même que ne soit désigné un récipiendaire ? Ed Vaizey botte en touche en rendant hommage à Saatchi : « Les personnes créatives n’agissent pas toujours de manière conventionnelle. »
L’offre de Saatchi, rendue publique le 1er juillet, consiste en un « don de plus de 200 œuvres provenant de la Saatchi Gallery, pour créer un Musée d’art contemporain (MoCA) pour Londres ». Lors de cette annonce officielle, la Saatchi Gallery se disait « en pourparlers avec les divers services ministériels susceptibles de conserver les œuvres au nom de la nation ». Or, selon nos informations, la réalisation de ce projet pourrait rencontrer un obstacle : le MoCA, dont l’accès serait gratuit, pourra-t-il subvenir seul à ses besoins ?
Huit œuvres clés
Le musée serait installé au siège actuel de la Saatchi Gallery, autrement dit d’anciennes casernes du duc de York à Chelsea, où elle a ouvert ses portes en octobre 2008. Charles Saatchi et Cadogan Estate, le propriétaire des lieux, ont déboursé plus de 20 millions de livres sterling (22,8 millions d’euros) pour reconvertir ce bâtiment de 6 500 m2 en espace d’exposition. Les 200 œuvres reviendraient à une Fondation MoCA encore à créer, et l’intégralité de la collection serait présentée lors de trois expositions à partir de 2012. Par la suite, le musée proposera une sélection de son fonds en alternance, et le reste des œuvres serait disponible pour des prêts extérieurs.
Si certaines œuvres sont considérées comme « permanentes », d’autres pourraient être vendues afin de procéder à de nouvelles acquisitions – une manière, selon Charles Saatchi, de permettre au musée de rester « ancré activement dans les derniers développements de l’art contemporain ». La Saatchi Gallery refuse pour l’instant de dévoiler une liste complète, à l’exception de huit œuvres clés parmi lesquelles Mon Lit (1998), de Tracey Emin, et celles des frères Chapman, de Grayson Perry, Richard Wilson, Emily Prince, Jitish Kallat, Kader Attia et Zhang Dali.
Cette donation représente une partie seulement de la collection réunie par Charles Saatchi à partir des années 1970. Si l’ampleur de cet ensemble n’a pas été révélée, le communiqué indique que le collectionneur « continuera à détenir plusieurs centaines d’œuvres à titre privé, qui iront à sa famille lors de son décès ». Il y a six ans, notre partenaire éditorial The Art Newspaper révélait qu’il possédait environ 2 500 œuvres – Saatchi en vend toutefois régulièrement.
Fondation caritative
La Saatchi Gallery ne peut préciser à quel service public échouera la gestion administrative du MoCA. À ce jour, des discussions d’ordre général ont eu lieu avec l’Arts Council, l’agence nationale britannique qui subventionne les projets culturels et artistiques. Entre 1999 et 2003, l’organisme a reçu à trois reprises un don de la part de Charles Saatchi, soit 174 œuvres au total. Mais cette nouvelle offre implique que l’Arts Council soit directement responsable de la gestion d’un musée de taille importante, ce qui ne rentre pas dans ses attributions. Une tâche rendue d’autant plus difficile que l’agence est soumise à de sévères restrictions budgétaires. Au mois d’août, l’Arts Council nous confiait que, « pendant tout le mois de juillet, [leurs responsables avaient] travaillé avec la direction de la Saatchi Gallery pour prendre la mesure de la logistique nécessaire à l’intégration de ces œuvres dans le domaine public et qu’[ils sont] tout à fait disposés à offrir des conseils ou de l’aide supplémentaires ». Selon nos informations, ces pourparlers n’ont pas abouti.
D’autres institutions publiques pourraient être approchées, bien qu’aucune discussion précise ne semble encore avoir eu lieu. L’une d’elles est la Government Art Collection, mais son rôle est de fournir des œuvres aux ambassades et aux bureaux ministériels et non de gérer des musées. Si la Tate détient la principale collection nationale d’art contemporain, rien n’indique qu’elle souhaiterait gérer le MoCA, qui se poserait en rival (modeste) de la Tate Modern. Le MoCA pourrait en théorie devenir un nouveau musée national placé sous la tutelle du ministère de la Culture, des Médias et des Sports. Or le ministère paraît très réticent à endosser la responsabilité financière du lieu. La Greater London Authority (la direction du Grand Londres) serait également hésitante à assumer la gestion du MoCA.
Si Charles Saatchi ne parvient pas à trouver un récipiendaire public, le MoCA pourrait obtenir le statut de fondation caritative indépendante – ce qui diffère de ce qu’a proposé le collectionneur. Et, en tant qu’organisation caritative, elle devrait s’assurer de son indépendance financière.
- Le bâtiment : Propriété de Cadogan Estate, il est loué à la Saatchi Gallery. Celle-ci déclare avoir « un bail commercial de longue durée », sans entrer dans les détails. Le loyer sera-t-il à la portée du nouveau musée ? Et jusqu’à quelle date le bâtiment sera-t-il disponible ?
- Le bail de Phillips de Pury & Company : Dans son communiqué, Charles Saatchi fait un oubli de taille : la maison de ventes Phillips de Pury & Company loue des espaces au dernier étage du bâtiment. Un arrangement qui a permis à la Saatchi Gallery d’accueillir ses visiteurs gratuitement. Mais pendant combien de temps cet accès restera-t-il libre ?
- Coûts de fonctionnement : D’après le communiqué de Charles Saatchi, le MoCA « restera gratuit pour le public, et continuera de fonctionner comme aujourd’hui grâce au mécénat et à ses ressources propres », générées par le restaurant, la librairie et la privatisation des espaces. Or, si l’on évalue les effectifs à une cinquantaine d’employés, les coûts de fonctionnement devraient être considérables. Pour exemple, la Serpentine Gallery, à Londres, qui emploie 51 salariés, avait en 2009 un budget de fonctionnement de 5,8 millions de livres (6,64 millions d’euros), dont 900 000 livres (103 000 euros) obtenus grâce à une subvention de l’Arts Council.
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Le cadeau empoisonné de Charles Saatchi
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°333 du 22 octobre 2010, avec le titre suivant : Le cadeau empoisonné de Charles Saatchi