Après deux \"beaux-livres\" publiés en 1995 sur le même sujet (Gallimard et FMR), Jean-Christophe Bailly, écrivain, auteur de plusieurs ouvrages sur l’art moderne, nous livre un essai qui, d’une plume aussi sobre que précise, redonne aux énigmatiques portraits du Fayoum une actualité autre.
"Avec l’art du Fayoum, c’est comme si la finition qui n’appartenait qu’aux dieux ou aux rois était remise à l’homme, mais en douceur et loin de toute appropriation, comme un dépôt extrêmement fin – une peau, un pigment, une carnation." Jean-Christophe Bailly ne nous donne pas ici une simple étude érudite sur l’art du Fayoum qui, entre autres artistes modernes, fascinait tant Giacometti, mais bien plutôt une interrogation sur le portrait qui s’origine aux trois premiers siècles de notre ère dans l’Égypte romaine. Les difficultés d’accès à ces œuvres, que l’auteur rappelle, les rendent d’autant plus fascinantes : visages d’un autre temps figés pour l’éternité, regardant droit devant eux avec des yeux étrangement insistants et profonds, les modèles semblent "cloués vivants devant la mort" par des peintres restés anonymes. La mort est en effet au cœur de l’interrogation de l’auteur. On a émis l’hypothèse que ces portraits eurent un usage "pré-funéraire". Jean-Christophe Bailly poursuit son analyse au-delà des arguments historiques qui rendent cette thèse peu vraisemblable et insiste au contraire sur leur rôle d’accompagnement du défunt. "Envoyés dans les tombes avec les morts et non pas conservés, ni signalés ni commentés d’aucune manière […] ces portraits sont singulièrement isolés, comme une petite province de l’art antique." Province extraordinaire de l’éternité, habitée par une "population silencieuse", ils constituent un paradigme irremplaçable de l’aventure de la représentation humaine. Un ultime détour par Walter Benjamin, Emmanuel Lévinas et Antonin Artaud donne à ces œuvres, qui expriment avec une si prodigieuse intensité le "nom du visage", leur véritable lieu.
Jean-Christophe Bailly, L’apostrophe muette. Essai sur les portraits du Fayoum, éditions Hazan, 160 p., 200 F. jusqu’au 30 juin, 250 F. ensuite.
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La mort en face
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°37 du 2 mai 1997, avec le titre suivant : La mort en face