Expertise

La Fondation Keith Haring sur la sellette

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 11 mars 2014 - 763 mots

La Fondation a été assignée par neuf collectionneurs, dénonçant tant son monopole sur l’authentification des œuvres de l’artiste que son fonctionnement.

NEW YORK - La contre-attaque menée par neuf collectionneurs à l’encontre de la Fondation Keith Haring apparaît particulièrement cinglante. L’assignation portée le 21 février 2014 devant le tribunal fédéral de première instance de Manhattan constitue l’ultime réaction des requérants à la fermeture, à l’instigation de la Fondation, d’une exposition consacrée à Keith Haring, et devant se tenir à Miami en 2013. La Fondation avait alors publiquement qualifié les œuvres y figurant de « contrefaçons » et de « faux ». Aux sept chefs de préjudice égrenés dans l’assignation, visant tant la Fondation que ses membres, s’ajoutent de très nombreux griefs. Ainsi, la Fondation est tour à tour accusée de s’être détournée de sa mission caritative, d’avoir fait fructifier à outrance la marque « Keith Haring », d’avoir créé un monopole sur l’identification de ses œuvres et de valoriser artificiellement les œuvres en sa possession, en refusant de manière arbitraire d’authentifier toute nouvelle œuvre apparaissant sur le marché.

Le présent litige repose, en effet, sur le refus systématique opposé par la Fondation, et auparavant par son comité d’authentification, de délivrer aux requérants un certificat d’authenticité, sésame indispensable à la mise en vente des plus de quatre-vingt-dix œuvres annexées à l’assignation. Or, deux des requérants, dont l’un se présente comme « l’ancien bras droit [du marchand d’art] Larry Gagosian à l’époque où la cote de Keith Haring devint élevée », avaient pour chacune des œuvres en leur possession un beau pedigree. Près d’une cinquantaine des œuvres litigieuses provenaient ainsi de la collection personnelle de deux amis proches de l’artiste, Angelo Moreno et Delta Cortez. Le premier, amant d’un temps de Keith Haring, reçut dans les années 1980 de nombreuses œuvres de la part de l’artiste. Le second est un artiste de street art reconnu, ayant travaillé directement avec Haring. Pour autant, les œuvres présentées par Cortez au comité n’ont jamais été authentifiées, ni en 1999, ni en 2006, ni même en 2007 lorsqu’elles changèrent de mains. L’assignation souligne que l’approche de la Fondation dans le processus d’authentification est irrationnel et irresponsable, relevant qu’elle opère depuis des années « en secret, avec peu ou aucune explication et souvent sans jamais étudier physiquement l’œuvre ».

La Fondation continuerait, malgré la dissolution du comité d’authentification, en 2012, d’empêcher l’émergence d’œuvres d’Haring sur le marché « à travers des tactiques malveillantes et illégitimes ». En effet, alors que les requérants ont fait procéder à des analyses tant scientifiques que stylistiques, le refus systématique qui leur est opposé n’est jamais motivé. Aux dires mêmes de la Fondation, à l’occasion de la demande judiciaire formée contre l’exposition de Miami, si chacune des œuvres se révélait authentique, celles-ci pourraient valoir entre 500 000 dollars et 1 million de dollars pièce (360 000-750 000 euros). En les discréditant publiquement, la Fondation aurait ainsi annihilé toute éventuelle vente.

Double jeu
Or la Fondation a elle-même procédé à la dispersion d’œuvres en sa possession, entre 2008 et 2011, pour un montant global de 4,6 millions de dollars. Ce double jeu, permettant tout à la fois une raréfaction des œuvres estampillées du sceau de l’authentification et la hausse corrélative de la cote de ces œuvres, est également critiqué quant à sa finalité. En effet, la moitié des bénéfices réalisés par la Fondation, fondée en 1989, aurait dû être distribuée à deux associations caritatives, dont l’une est dédiée à la lutte contre le VIH. L’assignation révèle, à cet égard, qu’en 2007 et 2008 seulement 7 % des bénéfices ont réellement été affectés à cette mission souhaitée par Keith Haring avant son décès. En guise de réponse, la Fondation a publié, le 25 février, un communiqué rappelant que les œuvres litigieuses avaient été soumises au Keith Haring Studio LLC, ce dernier ayant conclu au défaut d’authenticité.

Quelle qu’en soit l’issue, la présente affaire n’est pas sans rappeler, outre-Atlantique, la délicate mission d’authentification assignée aux fondations d’artiste. Ainsi, face à l’accusation similaire de « se livrer à une conspiration visant à empêcher et à monopoliser le commerce des œuvres de Warhol », la Fondation de l’artiste a décidé de dissoudre en 2012 son comité d’authentification, après avoir dépensé près de 7 millions de dollars en frais d’avocat. De même, les Fondations Basquiat et Roy Lichtenstein ont également procédé à la dissolution de leur comité. Néanmoins, en annonçant s’être désormais recentrée sur la rédaction du catalogue raisonné de l’artiste, la Fondation Haring continuera indirectement à influencer la cote des œuvres et sera, assurément, peu encline à y inclure celles des neuf requérants.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : La Fondation Keith Haring sur la sellette

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