Société

La culture (presque) exemplaire dans l’égalité homme / femme

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 6 avril 2020 - 1161 mots

La huitième édition du rapport annuel de l’observatoire dans la culture montre que la parité est acquise, voire « inversée », dans de nombreux domaines des arts visuels. Des points de vigilance subsistent.

Tiphaine Calmettes, Lectures gustatives, 2017. Tiphaine Calmettes est la lauréate du prix Aware 2020. © Tiphaine Calmettes.
Tiphaine Calmettes, Lectures gustatives, 2017. Tiphaine Calmettes est la lauréate du prix Aware 2020.
© Tiphaine Calmettes

Paris. S’il est un domaine où le ministère de la Culture est en avance par rapport aux autres ministères, c’est bien dans l’égalité entre hommes et femmes. Il est d’abord en avance dans l’outil de mesure. « Nous bénéficions de l’antériorité, explique (par téléphone) Agnès Saal, haute fonctionnaire à l’égalité et à la diversité Rue de Valois, l’observatoire existe depuis 2013 et grâce au département des études, de la prospective et des statistiques (Deps) du ministère, nous pouvons l’enrichir chaque année. » Le rapport comprend près de 90 tableaux qui comptent chaque année la part des femmes dans quasiment tous les secteurs de la culture. Et les chiffres qui sont donnés à voir sont particulièrement encourageants. Les taux de progression sont soutenus et permettent d’approcher la parité dans de nombreux postes d’encadrement (voir tableau ci-dessous).

Part des femmes dans l'administration culturelle 2019 vs 2020 © Le Journal des Arts
Part des femmes dans l'administration culturelle 2019 vs 2020

Les femmes sont très présentes, voire majoritaires, dans les conseils d’administration, dans diverses commissions ou dans les instances consultatives. Ainsi le pourcentage de personnalités qualifiées dans les conseils d’administration des musées ou lieux patrimoniaux sous forme d’établissements publics est passé de 46 % au 1er janvier 2018 à 51 % au 1er janvier 2020. 51 % des membres des commissions d’acquisition ou de soutien à la création du Centre national des arts plastiques (Cnap) sont des femmes (en baisse cependant de 4 points).

Un satisfecit que souligne Agnès Saal : « Assurément, la dynamique politique s’amplifie depuis 2017 ; la progression est marquée dans les structures culturelles et audiovisuelles. L’accès aux postes de responsabilité, aux moyens de création et de production s’ouvre davantage aux femmes, à leurs compétences, à leur talent. »

Art contemporain, le bon élève, quoi que…

La dynamique est telle – et depuis plusieurs années – dans les arts plastiques, que le secteur est plus féminin que masculin, du moins dans les structures de diffusion. 62 % des directeurs des 47 centres d’art sont des femmes, et même 65 % des directeurs des 23 fonds régionaux d’art contemporain (Frac). Des taux bien supérieurs à la moyenne (34 %) pour les 348 lieux de création et de diffusion des arts plastiques et du spectacle vivant subventionnés par le ministère de la Culture. Les directeurs d’écoles d’art restent cependant encore très masculins (37 % de femmes), même si ce pourcentage a gagné 3 points depuis l’an dernier.

Les Frac ont fait d’énormes efforts dans l’acquisition d’œuvres d’artistes femmes. Après avoir longtemps stagné autour de 20 % (19 % en 2012), le taux a bondi à 58 % en 2018, dans une volonté manifeste de rattraper le temps perdu. En revanche, en dépit d’une proportion largement majoritaire d’étudiantes dans les écoles d’art (66 %), et ce depuis longtemps, le pourcentage d’artistes femmes exposées reste encore faible : 33 % des artistes montrés dans les centres d’art en 2017 (dernier chiffre connu) étaient des femmes, et même uniquement 25 % dans les Frac, où les directeurs sont très majoritairement des directrices. Un paradoxe que l’on a du mal à s’expliquer.

Dans les mois à venir, les femmes photographes vont faire l’objet d’une attention particulière par le ministère. L’observatoire relève que les femmes ne constituent que 30 % des effectifs dans les métiers de la photographie en 2017. Elles n’étaient que 32 % à être exposées dans les festivals en 2019, et même que 25 % lors de la précédente édition de Paris Photo. Dans la nouvelle feuille de route pour 2020-2022, en cours de rédaction, il est ainsi prévu de constituer une base de données de femmes dans les métiers de la photographie à l’instar de l’annuaire « Expertes », réalisé avec le soutien de France Télévisions, désireuse de trouver plus de femmes spécialistes pour ses plateaux de télé. Financé par le ministère, cet annuaire devait être annoncé lors des prochaines Rencontres d’Arles… sous réserve que la crise sanitaire le permette.

Des efforts à faire dans le privé

Cette dynamique positive s’explique par une large prise de conscience de la société dans son ensemble, par les outils apportés par la loi, par le volontarisme de l’administration et par les leviers à sa disposition (conventionnement, subvention…). Ainsi, alors que les directrices sont 34 % dans les lieux subventionnés (et plus dans les administrations), elles ne sont que 9 % parmi les directeurs des 100 plus grandes entreprises culturelles au sens large. Cet écart entre le public et le privé est manifeste dans les rémunérations. Alors que la rémunération moyenne des femmes agents contractuels du ministère de la Culture est inférieure de 4,6 % à celle des hommes ; elle est inférieure de 18 % pour le salaire horaire moyen dans les entreprises culturelles. Ce qui fait dire à Agnès Saal : « Le cap reste encore lointain, s’agissant des inégalités salariales, de l’insuffisante visibilité, de l’insertion professionnelle toujours plus difficile, de la prévalence des stéréotypes sexistes, des violences et du harcèlement. »

Ce dernier point – le harcèlement – prend du relief particulièrement après l’affaire Weinstein. La cellule d’écoute du ministère de la Culture a traité 92 nouvelles affaires en 2019, un chiffre stable depuis la création de la cellule, dont 18 pour des situations de violence ou de harcèlement à caractère sexuel ou sexiste. La feuille de route 2020-2022 voudrait mettre en place une cellule de soutien psychologique et juridique pour les 170 000 personnes travaillant dans le secteur culturel, au sein de la mutuelle Audiens.

Aware au service des artistes femmes
Camille Morineau © Photo Valérie Archeno
Camille Morineau, présidente d'AWARE
© Photo Valérie Archeno

Association. Le travail mené depuis 2014 par l’association française Aware (Archives of Women Artists Research & Exhibition) pour augmenter la visibilité des artistes femmes reste toujours plus nécessaire au vu du faible pourcentage de femmes exposées dans les Frac et centres d’art. L’association cofondée et dirigée par Camille Morineau a, depuis sa création, rédigé et publié sur son site Internet plus de 600 notices biographiques de femmes artistes, répertorié 2 000 expositions internationales, rassemblé 2 300 ouvrages dans son centre de documentation à Paris et organisé de nombreux colloques et tables rondes en France et à l’étranger. Elle décerne également deux prix, un prix d’honneur récompensant une artiste confirmée et un prix pour une artiste émergente. Cette année, le prix (dont la cérémonie de remise prévue initialement dans les salons du ministère en présence de Frank Riester a été annulée) a été décerné à Marie Orensanz dans la première catégorie et Thiphaine Calmettes dans la seconde.

L’association, soutenue notamment par le Channel Fund for Women in the arts & culture, ne cache pas ses ambitions internationales. Elle a ainsi récemment organisé un prix avec l’Armory Show, échappant de quelques jours au confinement généralisé. « Le nouveau challenge d’Aware n’est plus de se faire connaître ou d’éprouver un modèle dont l’efficacité a été reconnue, mais d’appliquer ce moteur de recherche et de création d’information à une plus grande échelle. Sur des territoires où l’histoire des artistes femmes est moins connue comme l’Afrique ou l’Asie ; ou tout simplement en étendant notre réseau de correspondants / auteurs dans le monde entier », explique Camille Morineau.

 

Jean-Christophe Castelain

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°542 du 27 mars 2020, avec le titre suivant : La culture (presque) exemplaire dans l’égalité homme / femme

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