Femmes - « Disons nettement, tout d’abord, qu’à la vérité, “l’Art” n’a pas d’existence propre. Il n’y a que des artistes. » Cette citation, tous les historiens, les étudiants et nombre d’amateurs d’art l’ont lue au moins une fois dans leur vie. Il s’agit de la toute première phrase de l’Histoire de l’art d’Ernst Gombrich, ouvrage de référence que tout lecteur se doit de posséder dans sa bibliothèque. En effet, depuis Giorgio Vasari, premier historien de l’art occidental, l’histoire de l’art s’écrit comme une succession d’aventures individuelles : après Giotto et Van Eyck, viennent Léonard de Vinci, Dürer, Grünewald, Michel-Ange, Raphaël, Caravage, Zurbarán, Rembrandt, Vermeer, puis Ingres, Delacroix, Courbet, Manet, Monet, Cézanne, suivis de Matisse, Picasso, Mondrian, Pollock… En 1550, parmi les cent quarante-deux biographies de la première édition des Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, une seule vie est consacrée à une femme artiste, la sculptrice Properzia de’ Rossi. Quatre siècles plus tard, les choses ne se sont pas améliorées puisque Properzia de’ Rossi disparaît de la première édition de l’Histoire de l’art de Gombrich qui ne compte, en 1950, aucune artiste. Une seule femme est mentionnée dans l’édition allemande du livre : Käthe Kollwitz, mais pas d’Élisabeth Vigée Le Brun, ni de Berthe Morisot, de Camille Claudel, de Sonia Delaunay et de Natalia Gontcharova. Ceci conduira, dans les années 1970, l’historienne de l’art américaine Linda Nochlin à poser cette question polémique : « Pourquoi n’y a-t-il pas eu de grandes femmes artistes ? »
Hommes - Heureusement, les mentalités changent. Une révolution s’opère dans les musées, les universités et l’édition, certes lentement mais, souhaitons-le, sûrement. Les expositions se multiplient : 2020 nous donnera ainsi à redécouvrir le travail de Nadia Léger au Musée de l’Annonciade, d’Eva Gonzalès au Musée de Dieppe, d’Artemisia Gentileschi à Londres, de Lee Krasner à Bilbao, mais aussi des « femmes peintres entre 1780 et 1830 » au Musée du Luxembourg à Paris, des femmes surréalistes à Francfort, etc. Du côté de la recherche, l’association Aware travaille d’arrache-pied depuis 2014 pour replacer les artistes femmes dans la chronologie du XXe siècle. Une autre association, Femmes d’histoire, dédie quant à elle une journée de rencontres et de débats le 25 janvier au Mans sur le thème des « Femmes artistes, de l’ombre à la lumière ». Résultat, les éditions Classiques Garnier viennent de publier un livre très sérieux sur les Femmes artistes et écrivaines dans l’ombre des grands hommes, auquel La compagnie des œuvres sur France Culture a consacré une série d’émissions en décembre. Moins scientifique, le livre 400 femmes artistesédité par Phaidon n’en est pas moins remarquable. Collection de 400 courtes fiches sur des peintres, sculptrices et photographes, depuis la Renaissance jusqu’à aujourd’hui, l’ouvrage recense celles que l’histoire de l’art a oublié de mentionner, les Rosalba Carriera, Constance-Marie Charpentier, Rosa Bonheur, Helen Frankenthaler, Carmen Herrera, Vera Molnár, Carol Rama, etc. Dans une science humaine construite comme une succession de noms, ce livre a valeur de manifeste pour un mouvement de reconnaissance désormais en marche. Mais ne nous y trompons pas, la bataille n’est pas encore gagnée. Les regards doivent encore être nettoyés des scories du temps passé. Vasari louait Properzia de’ Rossi pour ses œuvres « merveilleuses à regarder », faites à partir de noyaux de fruits, comme si la sculptrice ne pouvait qu’exceller dans le minuscule. Existe-t-il une sculpture, une peinture, une photographie, mais aussi une littérature et une musique proprement de femme ? Non, à moins de supposer que les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus.
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°731 du 1 février 2020, avec le titre suivant : Femmes Hommes