Cinq ans après la fronde menée par la Bibliothèque nationale de France (BNF) à l’encontre de Google, accusé de dérive monopolistique, la BNF serait finalement en tractation avec le géant américain pour la numérisation de ses collections. Motivé par des offres de services gracieux, ce revirement ne fait pas l’unanimité.
PARIS - La déclaration a sonné comme un coup de tonnerre au milieu de l’été. Le 18 août, le quotidien économique La Tribune a révélé que la Bibliothèque nationale de France (BNF), par la voix de Denis Bruckmann, directeur général adjoint et responsable des collections, serait en tractation avec Google pour la numérisation de ses collections. Fin 2004, la même institution avait pourtant été l’instigatrice de la fronde lancée contre le géant américain des moteurs de recherche, suspecté d’impérialisme culturel par le biais de la mise en place d’un monopole sur la numérisation et l’indexation des ouvrages. Les inquiétudes portaient également sur les conditions du respect du droit d’auteur. Une procédure lancée aux États-Unis par plusieurs éditeurs américains lui reprochant d’avoir numérisé massivement sans autorisation – dont l’épilogue sera bientôt signé par un accord de 125 millions de dollars (plus de 87 millions d’euros) –, semble sur ce point avoir donné raison à ses contempteurs. Le sursaut de la BNF, relayé à l’époque par le président Jacques Chirac, avait été notamment à l’origine du lancement d’« Europeana », la bibliothèque numérique européenne, et de l’accélération de la numérisation des fonds destinés à Gallica, la bibliothèque digitale de la BNF lancée en 1997. Qualifié d’« insupportable tête-à-queue » par son ancien président, Jean-Noël Jeanneney, dans une tribune du Figaro (daté du 26 août 2009), ce revirement s’expliquerait d’abord par des raisons financières. Seuls 5 millions d’euros seraient alloués tous les ans à la numérisation des collections, alors que, selon les déclarations de Denis Bruckmann, il en faudrait au moins dix fois plus pour numériser les seules collections de la IIIe République. Or Google, comme il le fait déjà pour la bibliothèque municipale de Lyon depuis juillet 2008, se propose de numériser gratuitement, en contrepartie d’une copie des textes utilisable librement à des fins commerciales. Faut-il donc céder à Google en raison simplement d’un manque de moyens ? « En un temps où la crise conduit à des investissements spécifiques, chacun mesurera sans peine combien, par rapport à l’enjeu, par rapport à tant d’autres dépenses, celle-ci mérite que la nation y consente », poursuit Jean-Noël Jeanneney.
Embarras au ministère
La BNF signera-t-elle vraiment un accord de cet ordre ? Dans un communiqué publié le 18 août, l’institution a rapidement tenté de calmer le jeu en précisant qu’aucun contrat n’avait encore été signé mais qu’un partenariat privé « conforme à la stratégie du ministère » n’était pas exclu. Son président, Bruno Racine, est en revanche resté muet sur le sujet tout comme l’autre partie, Google France. Rue de Valois, l’affaire semble pourtant avoir irrité le nouveau ministre, déjà empêtré par la question du respect du droit d’auteur sur Internet dans le cadre de la loi Hadopi. Dans un communiqué ne citant pas même la BNF et publié dès le lendemain, Frédéric Mitterrand a précisé qu’il avait pleinement conscience des enjeux et de l’importance des moyens à mettre en œuvre mais qu’aucune orientation n’était encore fixée. Depuis, ce dernier réserve sa parole pour le séminaire interministériel prévu le 10 septembre. Consacrée à la place du numérique dans le cadre de l’emprunt national, la session sera présidée par Nathalie Kosciuscko-Morizet, secrétaire d’État chargée de la Prospective et du Développement de l’économie numérique. Cette sortie impromptue d’un des responsables de la BNF serait-elle un coup de poker, à l’heure des tractations budgétaires, pour obtenir les moyens de ses ambitions ?
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La BNF tentée par Google
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°308 du 4 septembre 2009, avec le titre suivant : La BNF tentée par Google