PARIS
Présidents de l’institution et directeurs du Musée national d’art moderne racontent souvent avec passion ce lieu expérimental. Jusqu’à Pontus Hulten, disparu le 26 octobre, qui nous a livré son dernier entretien.
Pontus Hulten, directeur du Musée national d’art moderne (MNAM) de 1973 à 1981
« Le Centre a perdu sa vertu de laboratoire »
Avant la création du Centre Pompidou, il y avait à Paris peu d’expositions concernant l’art contemporain. J’ai choisi de montrer de grands artistes négligés, notamment Marcel Duchamp. Cette exposition a eu un grand succès. Le Centre Pompidou a d’ailleurs évolué dans ce sens. Malheureusement, il a perdu, me semble-t-il, sa vertu de laboratoire ; cela me paraît une suite logique pour toute institution trentenaire. La politique d’extension du Centre Pompidou à Metz et Shanghai me semble positive, mais la Chine est encore un rêve lointain.
Jean Maheu, président du Centre Pompidou de 1983 à 1989
« Cette maison a gardé le pouvoir d’étonner »
Quelle est la spécificité du Centre Pompidou ?
C’est un lieu de mixité artistique, sociale et urbaine, même s’il l’est moins aujourd’hui pour des questions de sécurité. Malgré sa monumentalité, les gens se l’approprient facilement, il fait partie du paysage parisien. Cette maison a gardé le pouvoir d’étonner, mais, pour être rentrée dans les mœurs, elle n’est plus un ovni. C’est une institution qui a pignon sur rue.
Comment analysez-vous son évolution ?
Le Centre Pompidou possède une des deux plus belles collections d’art moderne au monde. Il faudrait la valoriser davantage. Le Centre n’est pas très grand, l’espace dévolu au Musée n’est pas suffisant. Il faut construire un musée pour la partie historique. Le dilemme, ou plutôt le défi, est que le musée actuel reste celui de la contemporanéité. Il ne faudrait pas non plus qu’il y ait d’un côté le Centre Pompidou, de l’autre une institution avec un autre président. L’ensemble doit être placé sous la même autorité, pour que le Centre conserve sa capacité de négociation internationale.
La structure du Centre, morcelée en départements, n’est-elle pas handicapante ?
La structure est admirable. Lorsque j’étais au Centre, sa pluridisciplinarité – l’idée de rassembler des choses séparées et de les faire dialoguer – était sa raison d’être. Sans cela, nous n’aurions pas pu faire l’exposition « Vienne » (lire p. 22), qui comporte une forte partie musicale. J’ai déploré la disparition du Centre de création industrielle (CCI), qui était un poil à gratter. Le Musée est le cœur, mais Dominique Bozo en a fait l’unique cœur. Peut-être fallait-il le faire.
Comment jugez-vous la politique d’extension du Centre Pompidou ?
L’idée de créer des filiales est bonne. Le Centre a une expertise, un savoir-faire et des collections immenses qu’il ne peut pas montrer intégralement. Le choix de Shanghai me semble évident. Metz est bien choisi, un carrefour entre l’Allemagne et le Luxembourg. Je rêverais aussi d’une antenne dans la région Midi-Pyrénées. Il y a déjà les Abattoirs [Musée d’art moderne et contemporain à Toulouse], mais il reste de la place pour autre chose.
Propos recueillis par Roxana Azimi
Jean-Hubert Martin, directeur du Musée national d’art moderne de 1987 à 1990
« L’orientation vers le privé est inéluctable »
Comment le MNAM s’intègre-il dans le Centre ?
Même si, historiquement, le projet d’une grande bibliothèque au plateau Beaubourg a précédé le projet du Centre national d’art et de culture voulu par Georges Pompidou, c’est le MNAM qui marque son identité et lui confère son image internationale. Les présidents du Centre ont souvent été accueillis à l’étranger comme directeurs du Musée. Le CCI a ensuite été adjoint au MNAM. La question est plutôt celle de savoir comment les autres activités se définissent par rapport au MNAM. Sur le plan administratif, son intégration est totale depuis la réforme opérée il y a une quinzaine d’années.
Quelles sont les relations du MNAM avec les autres départements ?
Le MNAM a tout intérêt à multiplier les coopérations et les partenariats avec les autres départements. C’est ce qui fait sa spécificité et son originalité par rapport à d’autres musées.
Que pensez-vous de l’orientation actuelle du Musée, qui se tourne davantage vers le secteur privé afin d’enrichir ses collections ?
Cette tendance est inéluctable. Le MNAM a profité pendant longtemps d’un budget qui le plaçait aux premiers rangs de la compétition muséale internationale. Étant donné l’évolution du marché, seules des aides privées peuvent aujourd’hui lui permettre de garder cette place.
Germain Viatte, directeur du MNAM/CCI de 1992 à 1997
« Le Musée est un socle prestigieux »
Comment le MNAM s’intègre-il dans le Centre ?
Le Musée a toujours été l’un des fondements du Centre Pompidou et l’une des clefs de son succès. L’initiative du président Pompidou, même si elle s’est immédiatement affirmée dans une dimension pluridisciplinaire, s’est engagée sur la question de l’art moderne et contemporain et de sa représentation dans une institution après l’abandon du projet de « musée du XXe siècle ». Plusieurs fois remaniées, ses sélections et leur mise en espace se sont perfectionnées, suivant l’évolution du goût, des connaissances et de la muséographie. Tandis que ses collections s’enrichissaient considérablement, elles se sont renouvelées en donnant la possibilité au public (et aux conservateurs) d’apporter régulièrement des lectures nouvelles de ce fonds aujourd’hui incomparable. Ses expositions ont incontestablement marqué notre connaissance du XXe siècle et contribué, par ricochet et intrinsèquement, à affirmer l’interdisciplinarité du Centre. De façon récurrente depuis la gestation du Centre, la question de l’étendue chronologique du Musée a été posée tant ceux qui voulaient préserver l’unité – ou la partialité – de collections historiques que par ceux qui défendaient l’idée d’une rupture du contemporain. Je me suis toujours opposé à cette coupure, parce que je n’y croyais pas, et pour des raisons stratégiques, car le fonctionnement même de l’institution ne pouvait se passer de ce socle prestigieux, générateur d’échanges et de contreparties entre les institutions.
Quelles sont ses relations avec les autres départements ?
On a souvent souligné l’absence de relations entre les départements. Ceci est en partie vrai si l’on se borne aux collaborations directes, bien que le Centre ait fondé sa réputation sur des expositions dont la pluridisciplinarité reposait sur la collaboration des divers départements. Cela est faux quand on considère la totalité de l’institution, qui, dans son statut et ses composantes, n’a cessé de fonctionner par superposition d’offres complémentaires, dans une programmation rayonnante d’événements. La fusion du MNAM et du CCI, que j’ai été chargé de réaliser, et la constitution de collections d’architecture et de design ont constitué un moment important de l’évolution du Centre. Sa force est de préserver les missions et le professionnalisme de ses départements en s’efforçant de conjuguer leurs actions.
Que pensez-vous de l’orientation actuelle du Musée, qui se tourne davantage vers le secteur privé afin d’enrichir ses collections ?
L’enrichissement des collections doit rester l’un des objectifs prioritaires du Musée. À chaque génération de s’affirmer dans ce travail et de trouver les moyens de l’accomplir en respectant ses obligations déontologiques.
François Barré, président du Centre Pompidou de 1993 à 1996
« Le Centre s’est institutionnalisé »
D’après vous, comment se définit l’identité du Centre Pompidou ?
Le Centre est né comme symbole d’une hybridation des arts ; il est ouvert au grand public et situé au cœur de la ville, avec une identité architecturale très forte. Deux axes majeurs ont présidé à l’élaboration de son programme culturel et architectural : la pluridisciplinarité et la mobilité des personnes. Or aujourd’hui, la longévité des personnes s’est imposée et la pluridisciplinarité s’est effacée devant le cloisonnement des départements. L’esprit de collection a pris le dessus sur l’esprit de dispersion.
Quelle est la place du Centre Pompidou dans le monde ?
Il jouit d’une image très prestigieuse même si, me semble-t-il, il n’est plus identifié à un lieu de production contemporaine. Quand j’étais président, j’ai soutenu l’idée d’une installation de la collection d’art moderne au Palais de Tokyo afin que Beaubourg reste un lieu dévolu à la création contemporaine. Cette idée était conforme à l’esprit initial du Centre, mais elle n’a pas été poursuivie par mon successeur. Le Centre s’est alors institutionnalisé, même si, grâce à son architecture, il y demeure une énergie vitale.
Comment analysez-vous son évolution et notamment l’essaimage d’antennes à Metz ou en Asie ?
Ce qui se fait à l’étranger est très positif. En revanche, ce qui se passe en France pose des questions. La France est le pays qui possède les plus nombreux et les plus beaux musées du monde. Or, lorsqu’un musée de région sollicite des prêts, notamment du MNAM, il rencontre toujours des difficultés. Donc, quand le Centre s’installe à Metz, ce n’est pas le MNAM qui aide au développement régional des musées. Il s’y installe, au contraire, comme un concurrent. Il y a là quelque chose qui relève d’une vision centraliste et « jacobiniste » que je déplore.
Le Centre Pompidou, à l’étroit dans son bâtiment du plateau Beaubourg, devrait-il s’étendre à Paris ?
Je ne pense pas que le Centre manque d’espace. Le Musée, peut-être, mais pas la BPI (Bibliothèque publique d’information), qui à mes yeux est son élément le plus important. La volonté, annoncée récemment par ses responsables, d’exercer une tutelle sur le Palais de Tokyo, relève d’une démarche inverse de celle que j’avais prônée. Elle entérine l’idée de faire de Beaubourg un lieu purement muséal, alors que j’étais attaché, au contraire, à ce qu’il demeure un lieu de production.
Quels sont l’événement ou l’orientation décidés sous votre présidence dont vous êtes le plus satisfait ?
À la suite de Dominique Bozo, j’ai participé à la définition des travaux. La magie du Centre tenait alors à certaines caractéristiques fortes : la piazza, qui établissait une gradation douce vers l’intérieur, vers le forum. Ce dernier jouait d’une même idée de porosité avec l’extérieur, rendant insensible le passage du dehors au dedans. Désormais, le public s’arrête sur le seuil. Les escaliers mécaniques avaient été conçus comme une rue ascensionnelle, un long travelling gratuit sur la ville. Aujourd’hui, ils ne sont accessibles qu’aux seuls visiteurs du Musée. Enfin, la terrasse du 6e étage offrait l’un des plus beaux points de vue sur Paris. Elle a été transformée en restaurant de luxe. Ces qualités essentielles de l’architecture, relevant de l’urbanité, ont été perdues depuis la rénovation. D’un lieu public ouvert à tous, le Centre est devenu un lieu de séparation des publics.
Quel est, justement, votre sentiment sur l’architecture du Centre Pompidou ?
Pour moi, il s’agit de l’un des plus beaux bâtiments au monde. Sa première qualité a été de marquer, en la concrétisant, le terme de l’époque des utopies technologiques, dans la mouvance d’Archigram ; il est formidable que ce soit advenu dans le Paris ancien. Enfin, il y a un véritable génie de cette architecture. Malgré les inerties administratives du Centre, elle reste active et demeure, encore aujourd’hui, l’élément le plus jeune du Centre.
Werner Spies, directeur du MNAM/CCi de 1997 à 2000
« Une collection unique au monde »
Comment le MNAM s’intègre-il dans le Centre ?
Le MNAM est le centre du Centre même si la convergence, tous les jours, de milliers de lecteurs vers la BPI le distingue des autres institutions. Par ailleurs, le MNAM est détenteur d’une collection unique au monde qui permet d’écrire une histoire de l’art du XXe siècle. Ses responsables ne devraient pas l’oublier. Il est du devoir d’une telle institution de communiquer sur l’histoire de l’art pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui, car nous vivons tellement dans l’actualité que nous oublions très vite l’histoire. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il faille constamment changer l’aspect de la collection. S’il appartient aux expositions temporaires de proposer des présentations thématiques, de rechercher la nouveauté, il faut aussi une colonne vertébrale à cette institution.
Quelles sont les relations du Musée avec les autres départements ?
Je ne suis pas sûr qu’il existe aujourd’hui une collaboration efficace entre le Musée et la BPI ou l’Ircam (Institut de recherche et coordination Acoustique/Musique). L’idée de maison pluridisciplinaire existe davantage sur le papier que dans la réalité. Sur ce point, le Centre a perdu de sa vivacité. Malgré tout, la cohabitation de ces institutions sous un même toit est déjà une chose formidable. Depuis l’ouverture du Centre, de nombreux musées, dont le Louvre, se sont inspirés de cette idée de programmation pluridisciplinaire. Je tiens par ailleurs à souligner que le MNAM bénéficie d’un point fort : la scénographie de ses expositions. Il est en effet le seul musée au monde qui s’offre le luxe de créer une scénographie différente pour chaque exposition, d’adapter ses espaces à ce qui est montré.
Que pensez-vous de l’orientation actuelle du Musée, qui se tourne davantage vers le secteur privé afin d’enrichir ses collections ?
Ce discours m’a toujours laissé sceptique. Dans un pays comme la France, ce concept ne ne devrait pas marcher, car il va à l’encontre de notre histoire. L’État doit rester responsable de ce qui se passe dans le domaine culturel pour cette raison que les sponsors n’encouragent jamais l’inédit et l’inconnu, mais vont vers ce qui rapporte déjà. Ce système existe aux États-Unis, parce qu’il est le seul moyen de faire fonctionner la vie intellectuelle, mais aussi les universités, les écoles, les hôpitaux… Il est toutefois nécessaire d’encourager la participation du privé dans l’enrichissement des collections, les possibilités d’acquisitions étant réduites. Les dispositions fiscales sont une bonne chose, même si elles me font craindre l’ingérence du secteur privé dans la constitution des collections, laquelle doit rester du ressort exclusif des conservateurs.
Propos recueillis par Sophie Flouquet
Jean-Jacques Aillagon, président du Centre Pompidou de 1996 à 2002
« Le Centre est un objet culturel évolutif »
Qu’est-ce qui fait, à vos yeux, l’identité du Centre Pompidou ?
Deux choses. La première est d’avoir associé, dans une même institution et dans un même bâtiment, des activités culturelles diverses, celles d’un musée, d’une bibliothèque, d’un institut de recherche musicale…, en attendant non seulement qu’elles coexistent, mais qu’elles collaborent et qu’elles présentent au public une offre culturelle globale et cohérente. L’identité principale du Centre est donc la prise en compte prémonitoire de la globalisation de l’expression culturelle contemporaine et l’attachement aux principes de pluridisciplinarité et d’interdisciplinarité, sans qu’on renonce par ailleurs à fixer l’ambition de chacune de ses parties à un niveau d’excellence. Le second élément d’identité, c’est d’avoir placé le public, son accueil, son service, son développement, sa formation, au premier rang des missions de l’institution. De ce fait, le Centre Pompidou a quatre symboles : l’exposition pluridisciplinaire, la file d’attente sur la piazza, le laissez-passer annuel et l’atelier des enfants.
Comment analysez-vous son évolution depuis sa création ?
Le propre du Centre, c’est justement d’être un objet culturel évolutif. Chacune de ses composantes n’a cessé de se redéfinir en prenant en compte l’évolution du paysage culturel national et international ou, plus exactement, l’analyse qu’on en faisait. C’est ainsi que la réforme de 1992 fait disparaître le CCI comme département singulier et l’intègre au sein du MNAM. C’est une évolution radicale. À vrai dire, je la regrette. Il aurait mieux valu conserver ce département, consacré en propre à l’architecture, au design, au graphisme, à l’urbanisme, à l’écologie… en le développant, en l’associant par exemple avec d’autres organismes publics, comme l’IFA (Institut français d’architecture). Le Département du développement culturel (DDC), créé à sa place en 1992, reste une entité fragile et un peu artificielle ; beaucoup de ses missions pourraient relever de services communs de l’établissement.
Aux deux départements, MNAM et BPI, continuent de se poser aujourd’hui des questions relatives à leurs missions. Au MNAM, la question de sa capacité – compte tenu de ce que sont les contraintes du bâtiment et l’ampleur de la collection – à déployer ses missions de valorisation de l’art moderne et de l’art contemporain dans de bonnes conditions. Il faudrait incontestablement au MNAM un deuxième site pour son activité contemporaine, les collections modernes et contemporaines de ce musée devant impérativement, à mon avis, rester associées au sein de la même institution. Celle-ci est en effet la seule à pouvoir efficacement rivaliser avec ses grands compétiteurs internationaux. À la BPI, se pose la question d’une intégration plus volontaire et plus lisible à la personnalité culturelle du Centre. L’idée d’une bibliothèque généraliste avait un sens en 1975 quand l’accès aux ressources documentaires était difficile, notamment pour les étudiants. Aujourd’hui, la BPI ne devrait-elle pas se spécialiser dans les domaines de l’art, de la création, des littératures et de la pensée, de la culture au sens très général du terme ? Ne devrait-on pas, pour mettre fin à la trop grande étanchéité des publics du Centre et de la bibliothèque, oser le conditionnement de l’accès à la BPI à la présentation du laissez-passer annuel du Centre ? On aurait ainsi le bonheur de voir ses lecteurs aller plus spontanément visiter les expositions et les visiteurs du Musée plus volontiers aller parfaire leur information dans cette grande bibliothèque. À mes yeux, il y aurait lieu, trente ans après, de repenser l’institution, dans le respect naturellement de l’esprit qui a animé l’acte fondateur du président Pompidou.
Je soulignerai une seconde grande évolution. C’est l’affirmation de plus en plus forte de l’autorité du président, qui est devenu le « patron » de l’établissement. En obtenant, par la réforme des statuts que j’ai mise en œuvre, que son mandat soit porté de trois à cinq ans, j’ai définitivement donné du poids à son autorité.
En tant que ministre de la Culture, vous avez initié la politique d’extension du Centre, et la création du Centre Pompidou-Metz. Quelle est votre opinion aujourd’hui sur les projets asiatiques, ou ailleurs, du Centre ?
Ce projet de Centre Pompidou-Metz, je l’ai engagé alors que j’étais président du Centre et confirmé comme ministre de la Culture. J’avais souhaité qu’on mette en œuvre, parallèlement, la création d’une antenne à l’étranger. Bruno Racine regarde désormais vers la Chine. C’est une bonne chose. Elle doit être soutenue.
Alfred Pacquement, directeur du MNAM/CCI depuis le 1er septembre 2000
« Les espaces du Centre sont insuffisants »
Quels sont les rapports entre le MNAM et les autres départements du Centre Pompidou ?
Le Musée s’accorde avec le Département de développement culturel sur des projets communs, ainsi en 2004 avec « Xavier Veilhan », ou pour l’exposition « Airs de Paris », prévue au printemps. Tout naturellement, les conférences et colloques voient participer les conservateurs du Musée et leurs interlocuteurs privilégiés (artistes, commissaires d’expositions…). Les programmations de cinéma, initiées tantôt par le DDC, tantôt par le Musée, sont coordonnées. Certaines expositions initiées par le DDC, telle « Beckett » en 2007, voient le Musée s’impliquer dans la production d’une œuvre nouvelle, de Stan Douglas en l’occurrence. Le nouvel Institut de recherche et de développement voulu par Bernard Stiegler donne lieu à des rencontres multiples avec les équipes du Musée qui déboucheront nécessairement sur des collaborations concrètes. Quant à l’Ircam, le Musée sollicite sa contribution et ses exceptionnelles capacités de production : ce fut récemment le cas pour l’exposition « Dada » avec le travail sonore de Gilles Grand.
Rétrospectivement, pensez-vous que la fusion du MNAM et du CCI ait été une bonne chose ?
Dans une institution culturelle fondée sur l’interdisciplinarité, cette fusion a permis d’agréer les disciplines de l’architecture et du design à la politique du Musée. L’enrichissement des collections a été et reste spectaculaire pour ces domaines jusque-là écartés de la vocation patrimoniale du Centre. Il était pour le moins paradoxal – comme l’avait souligné Dominique Bozo en 1991 – que le MNAM, dans un tel centre culturel, ignore ces disciplines. Bien entendu, ceci a eu pour corollaire de modifier la politique développée par le CCI, et de minimiser l’accent sur sa fonction d’observatoire de la société contemporaine. Pour autant, cette fusion a maintenu une large présence de l’architecture et du design dans la politique d’expositions (la prochaine sera consacrée à Richard Rogers). Et la confrontation au sein du parcours des différentes collections (accentuée récemment avec « Big bang ») permet des lectures croisées très enrichissantes, dans l’esprit d’une époque où ces disciplines se sont incontestablement rapprochées.
Le Musée doit-il selon vous être séparé en deux, historiquement (entre le moderne et le contemporain) et géographiquement (à Paris) ?
Je ne pense pas que le temps soit venu d’une telle coupure. « Dada » et l’art conceptuel doivent pouvoir cohabiter dans le même espace muséal. On pourrait multiplier de tels exemples. La lecture des œuvres contemporaines s’enrichit de leur cohabitation avec les avant-gardes historiques. Et réciproquement. Ces confrontations sont le privilège du Centre et il serait regrettable de s’en priver. Par contre, cette extension temporelle (trente années de plus depuis l’inauguration du Centre) appelle à des développements pour les espaces dévolus aux collections comme aux expositions. C’est dans cet esprit que nous coproduisons avec la RMN [Réunion des musées nationaux] une exposition au Grand Palais sur le Nouveau Réalisme. Il est certain que, pour pleinement accomplir notre mission, les espaces du Centre Pompidou sont insuffisants. Il nous faut donc réfléchir aux extensions possibles.
La création d’antennes est-elle nécessaire pour faire tourner les expositions ?
Dans notre esprit, il s’agit moins de créer des antennes que de favoriser la naissance de nouvelles institutions, ou d’établir des partenariats réguliers. Le Centre est un important producteur d’expositions et recherche à ce titre des coproducteurs. Les grandes expositions en sont l’illustration (« Dada » avec la National Gallery of Art de Washington et le MoMA à New York), mais aussi l’itinérance d’expositions initiées au Centre. Nous sommes par exemple en pourparlers avec plusieurs musées pour Annette Messager, programmée l’an prochain. Mais nous nous appuyons aussi sur nos collections pour des projets internationaux (« Nouveaux médias » à Miami après Barcelone et Taïpeh ; « Artistes étrangers en France » à Tokyo) ou en France (prochainement à Besançon). Ce sont tout particulièrement les collections du Musée qui servent de socle à nos projets de développement en France comme à l’étranger.
Quelles seront les relations entre le MNAM et le Centre Pompidou-Metz ? Qui choisira les œuvres présentées à Metz ?
Le Centre Pompidou-Metz sera une institution culturelle autonome qui développera sa politique propre. En rien un clone du Centre Pompidou. Mais, plutôt que de développer une collection, avec les charges que cela suppose, il a été décidé qu’il puiserait dans les collections nationales pour ses accrochages successifs. Il reviendra donc au directeur de Metz, Laurent Le Bon, de se mettre d’accord avec le directeur du MNAM pour des emprunts qui, du fait de leur caractère temporaire, pourront s’adresser à toutes les catégories d’œuvres, y compris les plus précieuses. Le renouvellement des accrochages, leur caractère expérimental, assureront la dynamique du projet, amplifiée par une politique d’événements (expositions, conférences, spectacles…), lesquels pourront être, selon les opportunités, réalisés en complicité avec le Centre Pompidou comme avec d’autres partenaires.
Bruno Racine, président du Centre Pompidou depuis le 1er août 2002
« Le modèle initial a montré ses limites »
Comment analysez-vous l’évolution du Centre ?
Le Centre Pompidou est le contraire d’une institution statique. Entre un président de la République visionnaire et l’esprit de Mai-68, sa naissance même relève du miracle ! Le changement le plus important s’est produit au début des années 1990. Marqué à ses débuts par l’utopie autogestionnaire, le Centre s’est transformé en grande entreprise culturelle. Mais sous les changements de structure, j’aperçois une dialectique plus profonde entre les valeurs consacrées, le patrimonial d’un côté, la dimension critique, l’expérimental de l’autre. La pondération entre les deux peut varier selon l’époque et les personnes, mais l’énergie du Centre tient à cette friction permanente. C’est cette dualité essentielle que Francis Ponge avait pressentie en parlant de « mouvement », plutôt que de monument, à propos du Centre.
Le président du Centre était à sa création un arbitre. Il en est devenu le véritable patron. Qu’est-ce que cela a changé selon vous ?
Avec les années, le modèle initial a montré ses limites, la dispersion des pouvoirs conduisant à des conflits sans toujours favoriser la pluridisciplinarité. La réforme de 1992 a fait du président le responsable de la politique culturelle. Nous sommes passés d’un modèle fédéral à un modèle centralisé, sans pour autant toucher à l’autonomie de la BPI et de l’Ircam. Mais ce modèle ne peut fonctionner qu’avec une large déconcentration interne. C’est en tout cas ainsi que je conçois mon rôle, notamment au niveau du MNAM et du Département du développement culturel.
Quels sont vos projets pour le Centre ?
Le Centre Pompidou, qui avait en charge soixante-dix ans d’histoire artistique et culturelle à ses débuts, en a aujourd’hui plus d’un siècle ! Qui plus est, son horizon est désormais planétaire. Une double réalité que l’État devra tôt ou tard prendre en compte en ce qui concerne les moyens alloués à l’enrichissement des collections du Musée. C’est cette même réalité qui me conduit à engager le Centre dans la réflexion en cours sur l’avenir du paysage parisien, auquel nous souhaitons contribuer davantage. En dehors de la capitale, nous venons de poser la première pierre du Centre Pompidou-Metz ; il nous revient de mener à terme cet ambitieux projet de décentralisation culturelle, qui a aussi une vraie dimension européenne. Le développement du Centre au-delà des frontières constitue une autre priorité. La relance de la « Georges Pompidou Foundation » aux États-Unis, la création d’une société d’amis au Japon, un grand projet d’implantation en Chine sont autant de réponses au défi de la mondialisation. L’autre défi majeur, c’est de concilier notre mission d’élargissement du public sans verser dans le piège de la consommation culturelle de masse, c’est-à-dire en maintenant notre exigence critique. C’est l’une des missions essentielles que j’assigne à l’Institut de recherche et d’innovation que j’ai récemment créé au sein du DDC. Il fera travailler ensemble créateurs, critiques et ingénieurs à la définition d’outils nouveaux, tant pour les artistes que pour le public, en s’appuyant sur le développement des technologies numériques.
Le choix d’implanter un Centre Pompidou à l’étranger est-il aussi dicté par des impératifs politiques ?
Le choix de la Chine, et de Shanghai en particulier, correspond à la place que ce pays va occuper dans la nouvelle cartographie artistique qui se dessine à l’échelle mondiale. C’est le moment où jamais de nouer avec ce pays une relation étroite. Cette initiative bénéficie bien sûr du climat de coopération que vient de mettre en évidence la visite du président de la République et de Renaud Donnedieu de Vabres.
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Ils ont fait le Centre Pompidou
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°247 du 17 novembre 2006, avec le titre suivant : Pontus Hulten, Jean Maheu, Jean-Hubert Martin, Germain Viatte, François Barré, Werner Spies, Jean-Jacques Aillagon, Alfred Pacquement, Bruno Racine, Ils ont fait le Centre